6. L'approche des Représentations Sociales
Joffe, en 2003, dans l'analyse des risques sanitaires,
préconise une approche en terme de «Représentations
sociales» plutôt qu'en termes de «Cognition sociale» ; et
ainsi de « Considérer les deux processus de construction d'une
représentation dans le sens commun, l'objectivation et l'ancrage »
plutôt que d'« Évaluer le sens commun sur la base des
standards du raisonnement rationnel et à partir d'une conception
déficitaire de l'activité cognitive ».
6. 1 Représentations sociales et conduites
addicitves
Comme nous l'avons précédemment, les conduites
additives ne sont pas seulement une
question sanitaire. Le comportement d'usage est un comportement
social, étroitement lié à la relation aux pairs,
à la famille et à l'institution scolaire, inscrit dans un
processus de
socialisation. En effet, là où les sciences
exactes (physiologie, épidémiologie...) voyaient du «
comportement d'usage », nous voyons finalement des pratiques sociales et
là où on parlait de « déviance », nous nous
questionnons sur les représentations sociales ainsi que la place des
acteurs de terrain et des entrepreneurs de morale dans cette stigmatisation.
Cette notion de représentations sociales est née
de la notion de représentation collective (Durkheim,
1895) et a été conceptualisée par Moscovici à
l'occasion de son étude princeps sur la psychanalyse en 1961. Pour
Moscovici, les représentations seraient des données relevant de
l'activité cognitive des groupes et des individus dans des contextes
particuliers, et non pas, comme pour Durkeim, des données collectives
mentales qui s'imposeraient aux personnes.
En effet, les représentations sociales désignent
« l'élaboration d'un objet social par une communauté avec
l'objectif d'agir et de communiquer ». (Moscovici, 1961). Selon Jodelet
(1989), elles sont reliées à des systèmes de pensée
plus larges (idéologiques ou culturels), à un état des
connaissances scientifiques, comme à la condition sociale et à la
sphère de l'expérience privée et affective des individus.
Ce ne sont donc pas les caractéristiques objectives des objets qui font
de ceux-ci des objets sociaux, mais la relation que les
personnes entretiennent avec ceux-ci. Ainsi, il n'y a pas de
représentation sociale en soit, « toute représentation
sociale est représentation de quelque chose et de quelqu'un ».
(Jodelet, 1984, p.71).
Les représentations sociales sont une forme de
connaissance courante, dite de sens commun, caractérisées par les
fonctions suivantes :
- Savoir : elles permettent de comprendre et
d'expliquer la réalité.
- Orientation des conduites et des comportements
: le comportement des individus serait déterminé par
quatre composantes de leur représentation de la situation :
représentation de soi, du contexte, de la tâche et des autres. Ces
composantes agissent sur la signification de la situation pour les sujets et
induisent donc les comportements (Doise, 1969). L'individu se servirait donc
des représentations comme d'un mode d'emploi du monde,
en les appliquant localement, tel un guide pour l'action.
« Les représentations sociales décrivent, expliquent et
prescrivent. Elles fournissent un mode d'emploi pour interpréter la
réalité, maîtriser notre environnement et nous conduire en
société ». (Jodelet, 1993, p.22).
- Constitution et renforcement de l'identité :
elles définissent l'identité et permettent la sauvegarde
de la spécificité des groupes. La représentation est
générée collectivement et partagée par les
individus de ce groupe. Lorsque l'objet de la représentation est en
relation directe avec des pratiques importantes pour le groupe, la
représentation joue un rôle essentiel dans la constitution d'une
identité sociale et la réduction d'éventuels conflits
identitaires.
- Justification des comportements et des prises de
décisions : la représentation peut par exemple permettre
au groupe de se donner bonne conscience. Par exemple, la représentation
négative de l'autre groupe justifie l'hostilité du comportement
adopté à l'égard de celui-ci. (Doise, 1969).
Moscovici a mis en évidence deux processus qui rendent
compte de la façon dont le social transforme une connaissance en
représentation et de la façon dont cette représentation
transforme le social : l'objectivation et l'ancrage.
L'objectivation est le processus par lequel le groupe va
naturaliser un concept abstrait (ex : addiction). Ce processus relève
très directement de la pensée sociale qui simplifie les
éléments de l'information qui provient de l'objet, qui
concrétise les notions (et pour cela, les résume à grands
traits) à partir d'une logique interne au groupe. Dans le cas d'un objet
complexe comme une théorie, l'objectivation comporte plusieurs phases :
sélection perceptive et décontextualisation.
L'ancrage, quant à lui, permet l'enracinement de la
représentation sociale dans le système de pensée
pré-existant. On va accrocher quelque chose de nouveau à quelque
chose qui est ancien et on pourra ainsi « rendre familier ce qui est
étrange ». L'ancrage va consister dans l'intégration
d'éléments nouveaux dans un réseau de catégories
plus familières déjà existantes pour le groupe,
déjà signifiantes.
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