5.2 Facteurs centrés sur l'interaction jeune/autrui
: formation de l'identité ; choix rationnels ; recherche d'espaces
transitionnels
Selon Coslin (2003), les raisons des conduites addictives, chez
les jeunes, peuvent être
« liées à des caractères
-psychologiques- inhérents à cette période de la vie
». (p.2). En effet, pour Erikson (1979, cité par Assailly, 2003),
les principales tâches développementales de l'adolescence sont la
résolution de la crise de l'adolescence et la
formation de l'identité personnelle qui supposent des
expérimentations, des conduites d'essais et d'erreurs, à propos
des styles de vie. Braconnier (1998) stipule d'ailleurs que l'adolescent doit
faire face à quatre
ruptures majeures dans son développement :
l'acceptation de la sexualité, la fin des liens de dépendance
à ses parents, la projection dans l'avenir, la maîtrise de ses
émotions et de ses affects. L'adolescence est donc une
période de transition entre l'enfance et l'âge adulte au
cours de laquelle se construit l'identité du jeune.
Construction combinant, selon Tap (1980, cité par Favresse, 2011), le
développement individuel et social qui va amener le jeune à se
différencier et se singulariser pour devenir un être unique, et
à s'identifier, à s'intégrer et à se
référer aux autres pour devenir un être social. Pour
Favresse (2011) « Dans ce processus dialectique entre le moi et les
autres, la relation développée avec les parents
et avec le réseau amical est fondamentale. » En
effet, dans son processus de singularisation, le jeune va
se confronter aux prescrits parentaux et dans son
processus d'identification, le jeune va se confronter
aux autres jeunes parmi lesquels il va se constituer un réseau
amical et des symboles identitaires (vêtements, goûts musicaux,
manières de parler, etc.). Et, les consommations de produits
psychoactifs peuvent, dans une certaine mesure, faire partie de ce processus
parce qu'elles permettent au jeune de tester ses limites, d'exprimer son
autonomie envers ses parents, et parallèlement, son rapprochement envers
ses pairs.
Bergeron (2009), dans son ouvrage La sociologie de la drogue,
spécifie qu'« il y a donc tout intérêt à
regarder la toxicomanie au travers du prisme particulier de la
théorie "choix rationnel" plutôt que de le faire sous
l'angle de la "pathologie individuelle ou sociale". » (p.49). Ainsi, les
comportements sont causés par les raisons qu'ont les acteurs d'agir
comme ils le font, et résultent d'un calcul stratégique
d'optimisation de l'utilité personnelle. Cette approche permettrait en
outre d'expliquer pourquoi dans un contexte similaire, deux individus ne
choisissent pas forcément la même conduite. Par exemple,
d'après Favresse (2011), l'échec scolaire
favorise le rapprochement du jeune vers des pairs connaissant les mêmes
problèmes scolaires. Ils constituent en quelque sorte une «roue de
secours» (p.3) en lui permettant, entre autres, d'avoir un groupe
d'appartenance, d'obtenir une reconnaissance sociale et de se construire, ou
reconstruire une image positive. En contrepartie, le jeune va s'adapter et se
conformer aux normes et modes de vie de ce groupe (Pavis et al., 1999, Favresse
et al., 2011).
Matuszak (2010), étudie les liens entre les
médias et les jeunes. Ainsi, cette appropriation des
technologies de l'information et de la communication par les jeunes entrerait
plus largement dans le désir d'autonomisation par rapport aux parents
(Metton, 2006). Cependant, l'utilisation massive des réseaux
sociaux pose question en terme de construction identitaire, que ce
soit pour les stratégies de mise en scène de soi tendant vers des
comportements d'exposition, ou pour la possibilité de changer
d'identité virtuelle en permanence. Mais c'est surtout « la
focalisation sur l'instant immédiat » (Geroges, 2009,
cité
par Matuszak, 2010) qui laisserait présager une
construction identitaire problématique. Pour ce qui relève des
jeux « massivement multi-joueurs », Janssen et
Tortolano (2010) pointent que les exigences de notre société sont
telles que l'individu souffre de sa subjectivité. Selon le sociologue
Ehrenberg (1995, cité par Janssen & Tortolano, 2010, p.75), à
partir des années 80, l'individu « n'allait [...] devoir
[son épanouissement] qu'à lui-même ». Il
précise encore : « le «nouvel» individualisme signale
moins un repli généralisé sur la vie privée que la
montée de la norme d'autonomie : se comporter en individu signifie
décider de sa propre autorité pour agir par soi-même, avec
les libertés, les contraintes et les inquiétudes qu'une telle
posture implique ». Ainsi, les individus, pour échapper à
ces normes, se réfugient dans un monde virtuel
où « le moi peut se prendre pour le moi idéal »
(Janssen & Tortolano, 2010, p.75). Mais si les mondes virtuels ne
garantissent pas le maintien à la fois du lien et de la
séparation (au sens d'une différenciation) de ces deux
réalités, l'investissement de ces mondes par des individus
psychiquement fragilisés (par structure, traumatisme ou via la
confrontation à un environnement trop défaillant) peut engendrer
de réelles difficultés.
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