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La protection juridique des populations civiles dans les conflits armés internes

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par Jean Paul Malick Faye
Université Gaston Berger de Saint- Louis - Maitrise  2009
  

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B/ Les obstacles d'ordre juridique

Contrairement au Statut de Nuremberg qui ne prévoyait l'inculpation que des « grands criminels de guerre », les Statuts des tribunaux ad hoc donnent mandat au Procureur d'enquêter et de poursuivre les « personnes présumées responsables de violations graves du DIH » sans autres limitations. Or le seul terme « responsable » en droit pénal laisse la porte grande ouverte à des milliers de cas individuels. Sans plus d'indications ou de limites dans les Statuts, les Procureurs des TPIY et TPIR ont mis en accusation plus de deux cent personnes. Très rapidement, l'ensemble du système s'engorgea. Les Tribunaux se trouvèrent confrontés à la gestion du « quantitatif » sans qu'il leurs soient possible de renoncer au caractère exemplaire et « qualitatif » de ses procédures. La durée des procès qui en est la conséquence génère des détentions préventives de plus en plus longues. La conciliation de ces impératifs n'est pas aisée.

Pour surmonter ces difficultés, le Conseil de sécurité intervint à deux reprises. Il demanda d'abord au Procureur et aux Juges de se concentrer sur la poursuite et le jugement « des principaux dirigeants portant la plus lourde responsabilité » (Rés. 1503 du 23 août 2003), proposant ainsi une interprétation limitative de la notion plus ouverte de personne « responsable », ensuite il adopta la Résolution 1534 (26 mars 2004) s'adressant directement aux juges en ces termes: « demande à chaque Tribunal de veiller à ce que les nouveaux actes d'accusation qu'il examinera et confirmera visent les plus hauts dirigeants soupçonnés de porter la responsabilité la plus lourde des crimes relevant de leur compétence, comme indiqué dans la résolution 1503 (2003) »

Bien que l'objectif de ces résolutions soit louable, il n'en soulève pas moins de sérieuses questions de compétence. Les Juges pouvaient-ils introduire un nouveau critère de sélection des accusés non prévu au Statut ? N'y a-t-il pas atteinte à l'indépendance du Procureur, qui voit ainsi son pouvoir discrétionnaire limité par l'action des juges? Chose certaine, cette approche risque d'entraîner des différences de vues entre les juges et le Procureur sur les questions de stratégie d'achèvement.

La CPÏ est également confrontée à des obstacles d'ordre juridique, en ce sens que le statut de Rome contient des dispositions qui restreignent considérablement la répression des violations graves du DIH.

Ces limites tiennent d'une part aux dispositions contenues dans les articles 16 et 124 du statut, d'autre part, aux insuffisances constatées dans l'organisation de la coopération entre les Etats et la CPI.

S'agissant d'abord de l'article 16, il constitue, à n'en pas douter une entrave à l'action de la CPI, de par sa logique le judiciaire est battu en brèche par le politique, qui à tout moment peut contrecarrer l'action de la Cour. Cet article reconnaît en effet au Conseil de sécurité des le pouvoir d'imposer un sursis des enquêtes ou des poursuites devant la Cour, pour une durée de 12 mois indéfiniment renouvelable, simplement en adoptant une résolution sur le fondement du chapitre VII de la Charte. Cet article institutionnalise un véritable droit pour le Conseil de sécurité de paralyser l'action de la justice permanente.

Pour ce qui est ensuite de l'article 124, force est de noter qu'il constitue un autre obstacle, puisqu'il autorise à tout Etat, au moment de la ratification ou de l'adhésion, à décliner unilatéralement, et pour une période de sept ans à compter de l'entré en vigueur du statut, à son égard la compétence de la Cour à l'effet de connaître des crimes de guerre, commis par ses nationaux ou sur son territoire. En réalité, cette disposition constitue une véritable légitimation de la volonté des Etats souverains de suspendre à leur guise la mise en oeuvre du statut à l'égard des crimes de guerre perpétrés par ses ressortissants ou sur son territoire. Son objet est de donner à un Etat la possibilité, au cours de cette période transitoire, d'empêcher la multiplication des plaintes abusives contre ses forces armées engagées dans des opérations extérieures. Quoiqu'il en soit, l'article 124 demeure, à l'instar de l'article 16, une disposition fort regrettable, d'autant plus qu'il réduit considérablement la portée des compétences de la Cour.

Enfin, s'agissant des insuffisances constatées dans l'organisation de la coopération entre les Etats et la CPI, elles apparaissent à travers l'article 72 qui fixe les règles relatives à la protection du secret en matière militaire, mais également à travers les articles 86 et 87, relatifs respectivement à l'obligation générale de coopération des Etats parties et aux dispositions générales sur les demandes de coopération formulée par la Cour. La lecture croisée de ces dispositions laisse apparaître la prééminence de la volonté de l'Etat souverain, sur celle de la juridiction. En effet, en dehors du cas ou le Conseil de sécurité, éventuellement saisi par la Cour, prendrait une résolution sur le fondement du chapitre VII de la charte des Nations Unies, pour contraindre à la divulgation d'informations considérées comme protégées par le secret défense, l'Etat concerné, fort de sa souveraineté, conserve toujours le dernier mot, le statut ne prévoyant aucune disposition qui autorise la Cour à ordonner, contre la volonté de l'Etat en cause, la communication de telles informations.

Malgré ces obstacles, il faut reconnaître qu'il y a une évolution notable dans la répression des violations graves du DIH au niveau internationale, même si des efforts restent à faire.

En un peu plus de trente ans après l'adoption du protocole additionnel aux conventions de Genève du 12 août 1949, relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux, les civils continuent toujours à être frappés de plein fouet par les effets des conflits armés internes. Ils restent les principales victimes des violations du DIH commises par les forces gouvernementales et les groupes armés non étatiques. Les attaques délibérées contre les civils, le déplacement forcé de populations, la destruction d'infrastructures vitales pour la population civile et de biens de caractère civil, ne sont que quelques exemples d'actes interdits qui sont perpétrés régulièrement. Les personnes civiles sont aussi victimes de violations du droit telles que le meurtre, la disparition forcée, la torture, les traitements cruels et les outrages à la dignité personnelle, le viol et les autres formes de violence sexuelle. Ils sont utilisés comme boucliers humains. Les personnes détenues en raison d'un conflit armé sont privées de leurs droits fondamentaux, notamment de conditions de détention et de traitement appropriés, de garanties procédurales destinées à prévenir la détention arbitraire et du droit à un procès équitable. Le personnel médical et les travailleurs humanitaires sont également victimes de violations du DIH. Dans de nombreux cas, les organisations humanitaires sont empêchées de mener à bien leurs activités ou gênées dans leur effort de travailler avec efficacité. Cela aggrave encore les souffrances des personnes qui devraient bénéficier de l'assistance et de la protection de ces organisations. En outre, les attaques contre les journalistes et autres membres des médias sont une source de préoccupation croissante.

Si les souffrances infligées par les conflits armés internes n'ont pas changé, ces deux dernières décennies ont été caractérisées par une meilleure sensibilisation de l'opinion publique au DIH et à ses règles fondamentales et, par conséquent, aux actes qui constituent des violations de ces règles. Les principes et les normes du DIH sont non seulement le centre d'intérêt des débats d'experts habituels, mais font de plus en plus l'objet d'un examen approfondi et complet de la part des gouvernements, des milieux universitaires et des médias. Il convient de saluer et d'encourager la croissance de l'intérêt pour le DIH et l'augmentation de la sensibilisation à cette branche du droit, en se rappelant que la connaissance de tout ensemble de règles est une condition nécessaire à sa mise en oeuvre. De plus, les Conventions de Genève de 1949 sont devenues universelles, ce qui les rend juridiquement contraignantes envers tous les pays du monde. Nous espérons que l'étude du CICR sur le DIH coutumier, publiée en 2005, contribuera aussi à mieux faire connaître les règles qui régissent tous les types de conflits armés.

Le fait que l'on peut dire que le DIH s'est étendu au delà des milieux d'experts pour entrer pleinement dans le domaine public signifie, cependant, qu'il existe un risque croissant que l'interprétation et la mise en oeuvre de ses règles soient politisées. Les années passées ont donné des preuves de cette tendance générale. Parfois, des États ont nié l'applicabilité du DIH à certaines situations, même si les faits sur le terrain indiquaient clairement qu'il s'agissait d'un conflit armé. Dans d'autres cas, des États ont tenté d'élargir le champ d'application du DIH pour inclure des situations qui ne pouvaient pas, en se basant sur les faits, être considérées comme des conflits armés. Outre les controverses sur la question de la définition juridique d'une situation de violence, dans certains cas, on ne peut parler que de mauvaises interprétations opportunistes de certaines règles juridiques spécifiques qui sont bien établies. La tendance de certains acteurs à mettre en avant des violations prétendument perpétrées par d'autres, sans montrer aucune volonté de reconnaître celles qu'ils commettent eux-mêmes, a aussi porté préjudice à l'application adéquate du DIH. Il faut souligner que la politisation du DIH l'emporte sur le but même de cet ensemble de règles. Les principaux bénéficiaires du DIH sont les civils et les personnes hors de combat. L'édifice même du DIH est fondé sur l'idée selon laquelle certaines catégories de personnes doivent être protégées autant que possible contre les effets de la violence, quelle que soit la partie au conflit à laquelle elles appartiennent, et indépendamment des raisons avancées pour justifier le conflit armé.

La non application ou l'application sélective du DIH, ou la mauvaise interprétation de ses règles à des fins internes ou politiques, peuvent avoir, et ont même inévitablement des conséquences directes sur la vie et les moyens d'existence des personnes qui ne participent pas ou ne participent plus aux hostilités. Une approche fragmentaire du DIH est en contradiction avec le principe fondamental d'humanité, qui doit s'appliquer de la même façon à toutes les victimes des conflits armés, s'il veut garder sa signification propre. Les parties aux conflits armés ne doivent pas oublier que, du fait de la logique même du DIH, des interprétations politisées ou biaisées du droit n'ont pas seulement un impact sur la seule partie adverse. Souvent, après quelques temps, on voit ses propres civils et combattants détenus exposés aux effets pernicieux de la politisation réciproque et de la mauvaise interprétation du droit par l'adversaire.

En dépit des risques d'instrumentalisation que rencontre le DIH dans son application, quelques éléments apparaissent qui autorisent un certain optimisme dans le domaine des mécanismes devant assurer le respect du droit humanitaire.

Le premier élément réside dans l'instauration d'une justice pénale internationale qui a contribué à mettre fin à l'impunité des criminels de guerre les plus odieux. Les tribunaux ad hoc ont permis à la communauté internationale de prendre conscience de ses responsabilités en matière de respect des règles de droit humanitaire et, en ce sens, ils ont grandement favorisé l'adoption du Statut de Rome instituant la CPI, vieux rêve de l'humanité. Les tribunaux ad hoc ont aussi proposé une lecture dynamique du DIH ce qui devrait encourager une meilleure application de ses règles.

C'est en effet le deuxième élément qui autorise un certain optimisme dans le domaine des mécanismes du respect du droit humanitaire. On perçoit les signes d'une extension du champ d'application de ces mécanismes, grâce à l'extension du champ d'application du DIH lui-même. Une des causes de la faiblesse des mécanismes tenait à la distinction traditionnelle entre les conflits internationaux et les conflits internes. Les dispositions du P.2 en matière de respect du DIH sont très faibles, voire inexistantes comme nous l'avons vu. Aussi faut-il se féliciter de l'évolution que l'on constate de plus en plus, d'un effacement de la frontière entre les deux types de conflits, notamment dans la jurisprudence tout à fait remarquable du TPIY, ce qui conduit à faire bénéficier les conflits internes des mécanismes plus élaborés prévus à l'origine pour les seuls conflits internationaux. Le TPIY est en effet confronté à une situation extrêmement complexe où les conflits internationaux classiques et internes s'imbriquent et s'entremêlent de manière inextricable. Vouloir isoler ce qui relève du conflit international et ce qui n'en relève pas est une tâche pratiquement impossible. Le TPIY dans l'affaire Tadic a sagement renoncé à s'engager dans cette voie périlleuse.

Face à une dichotomie que les États estiment irréductible, entre les conflits armés internationaux et internes, le seul idéal juridique que l'on puisse considérer comme réaliste à l'heure actuelle, consiste à unifier le régime juridique applicable aux conflits armés internes tout en maintenant un seuil d'applicabilité qui, sans inclure les tensions internes et les troubles intérieurs, soit aussi bas que possible.

Quoi qu'il en soit, la protection des populations civiles dans les conflits armés internes relève essentiellement de la responsabilité des Etats et des autres parties aux conflits. Mais l'ONU et les Organisations internationales, de même que le CICR et les ONG, ainsi que l'opinion publique en général, ont aussi un rôle important à jouer, pour qu'enfin les règles du DIH et celles des droits de l'homme qui assurent cette protection, soient pleinement appliquées et que les trop nombreuses violations des Conventions de Genève et des protocoles, justement dénoncées, ne restent pas en définitive impunies.

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"Le doute est le commencement de la sagesse"   Aristote