II) Facteurs explicatifs de la
sous-évaluation
Cette section revient sur les principales théories
explicatives de la sous-évaluation des titres à l'introduction
puis présente la problématique de l'évaluation des titres
préalablement à cette introduction. Les théories les plus
couramment mises en oeuvre pour expliquer la sous-évaluation des actions
lors de l'introduction en bourse s'appuient principalement sur :
· L'existence d'asymétries informationnelles et
de phénomènes de signalisation ;
· L'anticipation de possibles litiges devant les
tribunaux ;
· La recherche d'une certaine liquidité des titres
sur le marché secondaire.
Nous tenterons dans les paragraphes qui suivent de
développer ces théories tout en nous intéressant aux
facteurs les plus importants que ces théories ont retenu :
1) Les asymétries informationnelles
Les modèles informationnels reposent sur
l'hypothèse que lors d'une introduction l'un ou l'autre des acteurs,
société émettrice, banque introductrice ou investisseurs,
dispose de meilleures informations. Rock (1986) suppose que certains
investisseurs, mieux informés sur la valeur intrinsèque des
titres, ne répondent qu'aux émissions les plus attrayantes. Au
contraire, les investisseurs les moins bien informés répondent
à toutes les émissions, ce qui entraîne une demande
relative plus forte pour les seules émissions attrayantes. Cette forte
demande génère une apparente sous-évaluation qui se
traduit par une forte rentabilité après l'introduction. Ceci
entraîne un phénomène qualifié de «
malédiction du gagnant » (winner's curse) qui
pèsent sur les investisseurs les moins bien informés : ceux-ci
reçoivent proportionnellement plus de titres lors d'introductions
surévaluées que lors d'introductions sous-évaluées.
La rentabilité obtenue par ces investisseurs peu informés,
conditionnée par la demande des autres investisseurs, est
généralement plus faible et peut même se traduire par une
rentabilité négative pour des introductions
particulièrement surévaluées et donc, peu ou pas
demandées par des investisseurs mieux informés.
Pour éviter la disparition de ces « investisseurs
maudits », susceptible d'entraîner des difficultés dans les
placements ultérieurs des titres sur le marché primaire, il
parait nécessaire que ceux-ci obtiennent, en moyenne, des
rentabilités positives et donc que les introductions de titres soient
relativement sous-évaluées. Cette relative
sous-évaluation, coûteuse pour les firmes émettrices, peut
conduire à des tentatives de réduction de celle-ci.
Ainsi plusieurs penseurs, a travers des modèles
empiriques ; ont tenté d'apporter leurs explications du
phénomène de la sous-évaluation.
Rock (1986) aboutit à partir de son modèle
à démontrer que si un investisseur non informé
reçoit des actions lors d'une introduction en bourse, il a des chances
supérieures à la moyenne de recevoir des actions qui se
négocieront ensuite sur le marché à un cours
inférieur au prix d'introduction.
Le modèle de Baron (1982) repose sur un type
d'asymétrie de l'information totalement différent puisqu'il
s'agit de celle pouvant exister entre la société qui s'introduit
et son banquier. Ainsi, il cherche à voir s'il existe un contrat optimal
entre la firme émettrice et son banquier sachant que :
· La firme émettrice ne peut pas observer
l'effort réalisé par le banquier pour placer ses titres. Or, la
demande pour l'émission va dépendre de cet effort de distribution
dans la mesure où le banquier peut persuader les investisseurs d'acheter
des titres et peut influencer leurs anticipations à travers
l'information qu'il donne sur l'introduction.
· Le banquier possède avant de signer le
contrat, des informations privilégiées sur le marché des
capitaux et donc sur le marché futur des titres.
Sachant cela, l'entreprise émettrice aura pour objectif
de trouver une fonction de compensation pour le banquier qui le poussera
à augmenter son effort de placement et à utiliser ses
connaissances sur le marché des titres. Le contrat prendra donc en
compte le partage du risque entre la firme émettrice et son banquier
avec une compensation payée au banquier pour ses conseils sur le prix
d'offre et pour les efforts qu'il fait pour vendre les titres émis.
En premier lieu, Baron (1982) arrive à conclure que, si
la firme émettrice et son banquier possédaient des informations
équivalentes sur le marché des capitaux, un prix
d'émission optimal pourrait être obtenu. Par contre, si la firme
émettrice ne connaît pas les conditions du marché, elle est
obligée de compenser le banquier afin de le pousser à faire
état de ses informations privilégiées. Ceci va
éloigner le prix d'offre et l'effort de placement du banquier de
l'optimum trouvé précédemment.
De plus, Baron montre que la valeur de la
délégation au banquier du choix du prix d'offre est une fonction
croissante de l'incertitude de la firme émettrice en ce qui concerne la
demande future pour ses titres. Ainsi, le prix d'offre est une fonction
décroissante de l'incertitude ce qui implique que plus l'incertitude est
grande, plus l'émission est sous-évaluée.
Beatty et Ritter (1986) ont, quant à eux essayé
de tester les hypothèses concernant la sous-évaluation en
utilisant des données empiriques sur les émissions.
Bien que ses modèles sont différents, les
implications sont les mêmes en ce qui concerne la sous-évaluation
des titres à l'introduction.
2) Hypothèse de signalisation
Welch (1989) Grinblatt et Hwang (1989) et Allen et Faulhaber
(1989) expliquent la sous-évaluation par l'hypothèse de la
signalisation. En effet, les entreprises introduites en bourse recourent
à la sous-évaluation pour refléter le signal non apparent
de leur qualité récupérant ainsi le coût de la
signalisation sur le marché boursier. N'oublions pas de signaler selon
cette même hypothèse que les performances positives correspondent
à des entreprises de bonnes qualité et susceptibles de
performances à long terme.
3) La sous-évaluation comme outil de gestion
des litiges
Dans certains pays, surtout aux États-Unis, et plus
particulièrement depuis l'implosion de la Bulle Internet, les
investisseurs déçus par leurs investissements sont tentés
de poursuivre en justice les émetteurs afin de recouvrer les pertes
financières résultant d'informations incorrectes ou omises. Dans
ce contexte, la sous-évaluation peut être un moyen de diminuer les
risques juridiques. Tinic (1988) observe que la sous-évaluation à
l'introduction aux États-
Unis a considérablement augmenté après le
Securities Act de 1933, qui oblige à une divulgation complète et
équitable des caractéristiques des titres dans le prospectus
d'introduction. Lowry et Shu (2002) confirment cette hypothèse et
montrent que les entreprises qui présentent un risque plus
élevé de litiges sous-évaluent plus fortement leurs
titres. Cette plus forte sous-évaluation s'accompagne d'une plus faible
probabilité de poursuites judiciaires et abaisse le coût de ces
poursuites. Pour cette raison, les banques d'investissement introductrices
auraient fortement sous-évalués les introductions des entreprises
liées à l'Internet. Cependant, cette menace juridique ne semble
pas être une motivation importante dans les pays européens,
où les procès sont relativement rares.
4) Hypothèse des bulles spéculatives
Cette hypothèse suggère que les rendements
anormaux positifs constatés sur le marché des titres
récemment introduits en bourse s'expliqueraient par les achats
spéculatifs des investisseurs qui n'auraient pas reçu de titres
à l'introduction. En d'autres termes, les prix d'offre des titres
introduits seraient en rapport avec leur vraie valeur économique, mais
la spéculation s'empare de ces titres après qu'ils soient
introduits et poussent leurs prix à des niveaux déraisonnablement
élevés. L'hypothèse des bulles spéculatives
implique pour être vraie que les rendements anormaux positifs soient
suivis de rendements anormaux négatifs, une fois le
« soufflé retombé », ce qui ne correspond
à aucune évidence empirique comme l'ont montré Jacquillat,
Mac Donald et Rolfo pour le marché français et Ritter pour le
marché américain.
5) Hypothèse d'aversion au risque des banquiers
Selon cette hypothèse, les banquiers introducteurs qui
conseillent les sociétés sous-évalueraient le prix des
titres des sociétés dont ils conseillent l'introduction afin de
réduire leurs risques et leurs coûts. En d'autres termes, la
sous-évaluation aurait pour objet de réduire la
probabilité que la demande de titres soit inférieure à
l'offre et les risques qui en découlent.
6) Hypothèse d'assurance des banques introductrices
Selon Tinic (1988), la sous-évaluation sert d'assurance
implicite aux banquiers introducteurs qui engagent leur responsabilité
civile auprès des investisseurs. La sous-évaluation est donc
considérée comme une forme d'assurance contre les poursuites
éventuelles que pourraient encourir conjointement l'entreprise
émettrice et le courtier de la part d'acheteurs d'émissions mal
évaluées.
7) Hypothèse de pouvoir de monopsone du banquier
introducteur
Certains auteurs dont Ritter (1984) ont montré que la
sous-évaluation des titres à l'introduction résultait du
pouvoir de monopsone qu'exerceraient les grandes banques introductrices
vis-à-vis des petites et moyennes entreprises. En effet, les banques ont
tendance à sous-évaluer les titres de ces sociétés
dans le but de les placer ultérieurement auprès d'institutions
avec lesquelles les banques entretiennent des relations d'affaires.
8) Hypothèse du comportement stratégique
Les performances anormales à court terme sont dues
d'une part, au choix de la période propice d'introduction et d'autre
part, à la sélection de la méthode de cotation la plus
appropriée.
9) La sous-évaluation, un moyen de rendre
le marché secondaire plus liquide
Ruud (1993) montre que les introducteurs évaluent les
introductions à la valeur attendue par le marché et soutiennent
les offres dont les cours tombent sous le prix initial sur le marché
secondaire. Selon lui, ce n'est pas l'espérance inconditionnelle de la
rentabilité initiale qui est observée, elle devrait être
proche de 0, mais l'espérance conditionnée par l'intervention de
l'introducteur. Les tests empiriques de cette hypothèse produisent des
résultats contradictoires.
Alors que Degeorge (1995) rejette l'hypothèse alors que
Asquith et al. (1998) constatent que les prix d'introduction sont
sous-évalués d'environ 18 %, et que la prise en compte des effets
de soutien des cours annule la sous-évaluation. Pour Hanley (1993), le
soutien des cours constitue une assurance à destination des animateurs
de marché. Il confirme qu'il diminue le risque de liquidité des
animateurs de marché et les conduit à abaisser leurs fourchettes
de cours. Ainsi, cette baisse contribue à rendre plus compétitif
l'introducteur par rapport à ses concurrents. Pour d'autres chercheurs,
la sous-évaluation renforce le marché secondaire. Parce que les
opérations sous-évaluées sont souvent sursouscrites, les
investisseurs servis à l'introduction ont la possibilité de
revendre leurs actions aux investisseurs rationnés à un prix
supérieur au prix d'introduction. Ces achats et ventes le jour de
l'introduction génèrent des revenus de courtage pour les
intermédiaires qui compensent les pertes liées à la
sous-évaluation initiale
10) Hypothèse de la dispersion de la
propriété et de liquidité du marché
Cette hypothèse suggère que la
sous-évaluation provient de la volonté du propriétaire de
disposer le capital offert lors de l'introduction en bourse pour assurer au
titre une liquidité plus importante sur le marché. De plus, la
liquidité supplémentaire promise devrait contribuer au fur et
à mesure de la cotation du titre de faire progresser le cours. Le taux
de rendement requis par les investisseurs baisera en raison d'une
réduction du risque de liquidité.
Conclusion
Au cours de ce chapitre, nous avons présenté
l'un des problèmes pouvant résulter de l'introduction en bourse.
En effet cette présentation a juste constitué à faire un
tour des littératures existantes et qui ont eu a parle des principales
hypothèses pouvant expliquer le phénomène de sous
évaluation lors de l'introduction en bourse.
Une partie que nous n'avons pas certes développe nous
permet d'affirmer que le facteur principal de la sous évaluation est que
cette dernière améliore la liquidité des titres
nouvellement introduits en bourse.
Les études qui s'intéressent à la
rentabilité initiale sont principalement américaines. Ibbotson
(1975) a mené des études sur le marché américain et
a conclu que pour 5000 entreprises nouvellement introduites en bourse pendant
la période 1960-1982, la rentabilité initiale moyenne est de
18,8%. En suivant la méthodologie de d'Ibbotson et Jaffe (1975), Ritter
J. (1984) a démontré durant la période 1977-1982, que les
émissions initiales sur le marché américain avaient
enregistrées une rentabilité initiale moyenne égale
à 16,3% pendant le premier jour de cotation. Ritter J. a expliqué
cette forte rentabilité par la présence de marché
hautement réceptif face aux premières émissions des titres
sur le second marché.
Durant la période 1960-1992, Ibbotson et Al (1994) ont
enregistré une rentabilité initiale moyenne égale à
15,3% pour les émissions nouvelles en Amérique.
Récemment, de Ritter J. et Welch I. (2002) ont
travaillé sur un échantillon composé de 6249 entreprises
nouvellement introduites en bourse sur le marché américain durant
la période 1980-2001 et ont enregistré une rentabilité
initiale moyenne de 18,8%. Les études de Ljungqvist A. et Wilhem W.J
(2004) pendant la période 1993-2000 ont montré que la
rentabilité initiale moyenne des nouvelles émissions est
égale à 28,1% et ce pour un échantillon composé de
3435 entreprises américaines.
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