§7. Les quartes-chapelles.
Trop préoccupés par leurs tâches
spirituelles et temporelles, les évêques de Liège ont
confié à leurs subalternes la charge de visiter, à titre
personnel, les paroisses de leur diocèse. Les doyens ruraux ont
hérité de cette fonction pour les quartes-chapelles. Nous ne
savons pas s'ils tiennent ce droit de l'évêque ou des
archidiacres. Nous ignorons aussi quand cette évolution s'est
opérée. Néanmoins, nous pensons qu'elle doit être
mise en parallèle avec la cession de la présidence du synode
paroissial aux archidiacres, puis aux doyens ruraux, respectivement aux XIIe et
XIIIe siècles.
Les doyens ruraux visitent annuellement les quartes-chapelles
de leur district. Les statuts synodaux de 1288 leur accordent deux chevaux pour
leur voyage, le premier pour eux-mêmes et le second pour un assistant ou
un domestique. Cette loi a été édictée afin
d'éviter aux paroisses pauvres le coûteux entretien d'une horde de
cavaliers et de leurs montures. Les doyens se voient aussi défendre la
visite de quartes-chapelles au hasard de la chasse car il leur est
désormais interdit d'emmener avec eux des chiens et des faucons.164 De
trop nombreuses exactions ont sans doute été commises dans ce
domaine.
Le même esprit d'épargne et de
sobriété se rencontre dans un autre précepte : celui de
visiter, en un seul jour, les paroisses les plus modestes afin que celles-ci
puissent se partager les frais de réception, supportés à
parts égales par le curé et le conseil de fabrique.165 Nul autre
frais ne doit être exigé de celui-ci. Il est enfin défendu
aux doyens de leur extorquer des fonds, directement ou par
l'intermédiaire de qui que ce soit.166
162. PAQUAY, J., Ibid., p. 240.
163. PAQUAY, J., Ibid., p. 239, est excessif lorsqu'il
prétend que les archidiacres monopolisent cette prérogative au
détriment des doyens à partir du XIIIe siècle. Si l'on
s'en réfère à Sohet, tout porte à croire que
ceux-ci
ont
88).
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conservé
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ce pouvoir par délégation de leurs
supérieurs (SOHET, D., Ibid., p.
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164.
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AVRIL,
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J.,
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Ibid.,
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p.
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157.
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165.
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AVRIL,
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J.,
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Ibid.,
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p.
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158.
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166.
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AVRIL,
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J.,
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Ibid.,
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p.
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158.
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A l'occasion de la visite annuelle des quartes-chapelles, le
doyen rural s'enquiert de l'administration de la fabrique d'église et de
la table du Saint-Esprit. Il examine aussi l'état des bâtiments et
de tous les objets liturgiques, en particulier les livres pieux.167
Originellement, le doyen rural a pour mission de
récolter, dans chaque paroisse, la soniata. Cette taxe, due tous les
quatre ans à l'évêque, lui est versée à
l'occasion des visites qu'il entreprend. Elle donnera naissance au
cathedraticum et à l'obsonium.168
Le droit cathédratique (cathedraticum) ou droit synodal
(synodaticum), est une redevance que tout bénéficier doit verser
à l'évêque tous les quatre ans. Le montant en est
fixé par les coutumes locales, en fonction des revenus de chaque
bénéfice. L'appellation synodaticum provient du fait que cette
taxe doit être versée, du moins à l'origine, à
l'occasion des synodes épiscopaux. L'évêque, l'archidiacre
et le doyen rural se la partagent à raison de deux tiers (six
neuvièmes) pour le premier, deux tiers du tiers restant (deux
neuvièmes) pour le second et un neuvième pour le dernier. Les
églises du diocèse de Liège sont réparties en
églises entières, églises médianes et
quartes-chapelles selon qu'elles sont tenues de verser la totalité, la
moitié ou le quart du cathedraticum.169
L'obsonium ou procuratio est perçu par
l'évêque, les archidiacres ou les doyens ruraux
à l'occasion des visites de paroisses. Il s'agit, au
début, d'un impôt en nature : l'Eglise visitée entretient
les associés, les valets et les chevaux des visiteurs. Elle leur fournit
aussi la nourriture, un logement et tout ce qui est nécessaire à
leur subsistance.170 Les exagérations des archidiacres et des doyens,
qui arrivent parfois dans des paroisses accompagnés par de nombreux
cavaliers, voire des chiens de chasse et des faucons, seront interdites par
l'évêque Jean de Flandre.171 A cette procuration en nature se
substitue bientôt un don en espèces.172
167. Registrum I, f° 51. Registrum II,
f° 26. CEYSSENS, J., Ibid., pp. 187-188.
168. MUNSTERS, A., Het Cathedraticum in het oude bisdom Luik,
dans De Maasgouw, t. 66, Maastricht, 1952, pp. 17-20, 33-36 et 52-55. DEBLON,
A., Ibid., p. 704, note 5.
169. PAQUAY, J., Juridiction, droit et prérogatives,
p. 107, note 1. DEWIT, J., Notes sur des quartes-chapelles de l'ancien
doyenné de Beringen, dans l'Ancien Pays de Looz, t. 12, Hasselt, 1910,
pp. 58-59. HENRY, W., Cathedraticum, dans Dictionnaire d'archéologie
chrétienne et de liturgie, t. 2, 2e part., Paris, 1910, col. 2623. MAY,
G., Cathedraticum, dans Lexikon für Theologie und Kirche, t. 2, Fribourg,
1958, col. 980.
170. PAQUAY, J., Ibid., p. 107, note 2.
171. AVRIL, J., Ibid., p. 157.
172. PAQUAY, J., Ibid., p. 107, note 2.
Les doyens ruraux sont parfois surnommés les
«archidiacres des quarteschapelles»173 car ils exercent sur ces
églises un pouvoir comparable à celui de leurs supérieurs
sur les églises entières et médianes. Dans les
quarteschapelles, le doyen perçoit, seul, l'intégralité du
cathedraticum et de l'obsonium.174 Il a le droit d'y instituer les
prêtres et de visiter leur paroisse. Il y porte aussi le titre de iudex
ecclesiasticus.175
La collation de ces cures peut appartenir à diverses
personnes ou
institutions, le plus souvent une abbaye ou un seigneur local.
S'il s'agit d'une quarte-chapelle, le nouveau curé doit alors être
présenté, dans les délais légaux, au doyen rural
par les personnes qui l'ont choisi. Les laps de temps impartis sont de six mois
pour les collateurs ecclésiasti- ques et de quatre mois pour les
laïcs. Si ces limites sont franchies, la collation du béné-
fice revient au seul doyen. Dans le cas où celui-ci ne trouverait
personne dans un inter- valle de six mois, l'évêque a le droit de
reprendre l'affaire en main.176
L'admission d'un nouveau curé dépend, en
principe, de l'enquête menée par le doyen au sujet de sa vie, de
son comportement, de ses connaissances et de son discernement. Il semble
toutefois que de nombreux individus ne correspondant pas au profil
souhaité aient été reçus.177 Les statuts de 1288
sont beaucoup trop peu précis à cet égard. Ils
légifèrent uniquement sur l'âge du candidat, qui doit
être de vingt-cinq ans au moins, et sur le délai d'un an
accordé à tout individu non-prêtre pour se faire ordonner
et pour s'installer dans sa nouvelle paroisse. Ils ne s'attardent guère
sur le savoir et le comportement du postulant. Ils attirent toutefois
l'attention des archidiacres et des doyens sur le fait que tout candidat doit
acquérir son bénéfice sans enfreindre le droit canonique,
qu'il essaiera de récupérer tout ce qui a éventuellement
été extorqué à sa paroisse, qu'il n'a pas
versé dans la simonie et qu'il n'a pas connaissance que de tels actes
aient été posés dans son entourage. L'admission de
prêtres étrangers au doyenné et, à fortiori, au
diocèse est formellement prohibée, sauf si
l'intéressé détient une lettre spéciale
rédigée par l'archi-
173. MUNSTERS, A., Ibid., p. 69. Cette réputation s'est
perpétuée jusqu'au XVIIIe siècle (SOHET, D., Ibid. p. 88).
BIJSTERVELD, A.J.A., Ibid., p. 44.
174. MUNSTERS, A., Ibid., p. 69.
175. MUNSTERS, A., Ibid., p. 69.
176. Registrum I, f° 44. Registrum II,
f° 21. CEYSSENS, J., Ibid., p. 186.
177. En témoignent les modèles de lettres de
refus de candidature recopiés par Van der Scaeft dans son formulaire.
Registrum I, f° 219-224. Registrum II, f°
116-121. CEYSSENS, J., Ibid., p. 186.
diacre.178 Sous l'épiscopat de Georges d'Autriche
(1544-1557), les règlements relatifs à l'institution des
dignitaires ecclésiastiques sont complétés et
améliorés. Les qualités requises pour tout candidat sont
enfin explicitement définies.179
Le doyen accorde alors au candidat les lettres proclamatoires.
Sa présentation est alors proclamée par le curé
intérimaire à la grand-messe. Celui-ci invite, par cet acte,
toute personne opposée à l'institution du postulant à se
manifester auprès du doyen. Si aucune difficulté ne subsiste, le
nouveau curé prête serment en les mains du doyen. Une
cérémonie présidée par le doyen lui-même ou
par un autre prêtre du concile consacre le nouvel élu. Au cours de
cette célébration, le curé reçoit symboliquement
les clefs de l'église, le calice, un missel et divers ornements. Le
procès-verbal de l'institution est dressé par un juriste,
assisté au minimum de deux témoins.180
L'exemple de l'église de Dürler, une
quarte-chapelle située dans le concile de Stavelot, illustre
parfaitement ces propos. Le 30 janvier 1280, le chapitre Saint-Jean
l'Evangéliste, à Liège, passe un accord avec le seigneur
local, Alard d'Ouren, pour nommer alternati- vement le desservant de cette
église.181 En 1314, c'est au tour d'Alard de choisir le nou- veau
curé de Dürler. Le 27 février, il le présente au
doyen de chrétienté, Nicolas, par l'intermédiaire d'un
représentant.182 En 1485, dans le même concile, le doyen
Frédéric de Brandebourg nomme curé de Deiffelt, le
prêtre choisi par le couvent de Sainte-Marie, à Houffalize.183
Le pape, lui aussi, peut intervenir dans l'installation d'un
curé d'une quarte-chapelle en vertu des droits de réserve et de
la nomination par provision apostolique. Cela n'empêche pas le postulant
de devoir prêter serment en les mains du doyen, après lui avoir
exhibé les documents émanant de la curie romaine.184
178. AVRIL, J., Ibid., p. 159.
179. SCHANNAT, J.-F., Ibid., t. 6, pp. 392-393.
180. Registrum I, f° 43. Registrum II,
f° 20 v°. CEYSSENS, J., Ibid., p. 186.
181. A.E.L., Archives de la collégiale Saint-Jean, Novus
liber stipalis, f° 59.
182. A.E.L., ibid., f° 59.
183. Les références de cet acte ne sont pas
mentionnées par GUILLEAUME, D., Doyens du concile de Stavelot,
dans Leod., t. 8, Liège, 1908, p. 147.
184. Registrum I, f° 42. Registrum II,
f° 20 v°. CEYSSENS, J., Ibid., p. 185.
L'institution d'un curé est aussi l'occasion, pour le
doyen, de percevoir différents droits déterminés par les
coutumes locales. C'est une des sources de revenus les plus importan- tes que
perçoit le doyen,185 et ce, malgré la prohibition des pratiques
simoniaques.186
Il est possible que le doyen rural ait possédé,
à l'origine, le droit de révoquer les desser- vants des
quartes-chapelles, mais nous ne connaissons pas d'exemples qui illustreraient
ces propos.187
Selon l'abbé Ceyssens, les doyens ruraux auraient
anciennement détenu une juridiction spéciale pour les causes
bénéficiales et matrimoniales propres aux quartes-chapelles,188
mais Van der Scaeft ne s'étend guère sur ces
prérogatives.
Les doyens ruraux doivent délivrer les lettres de
mariage ou placeta matrimonii lorsque les futurs époux proviennent de
diocèses différents. En cas de naissance extraconjugale, ils
peuvent contraindre le père naturel de l'enfant à épouser
la mère de celui-ci ou à la dédommager.189 Cette
juridiction sera retirée aux doyens par les statuts de 1618.190
185. Registrum compositionum, f° 79.
186. AVRIL, J., Ibid., p. 166.
187. CEYSSENS, J., Ibid., p. 190.
188. CEYSSENS, J., Ibid., p. 190.
189. Registrum I, f° 47-50. Registrum II,
f° 23-24. CEYSSENS, J., Ibid., p. 191. Un exemple de lettre
visant à corroborer un marriage a été reproduit dans le
formulaire : Registrum I, f° 154-156 et Registrum II,
f° 102-103.
190. CEYSSENS, J., Ibid., p. 191.
191. Registrum I, f° 33. Registrum II,
f° 16. CEYSSENS, J., Ibid., p. 211.
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