§3. La dénonciation des faussaires et des
usuriers.
Outre les délits mineurs, qu'il a le pouvoir de juger
lui-même, le doyen de chrétienté a le devoir de soutenir
l'officialité de l'évêque ainsi que celle de leur
archidiacre en leur dénonçant les fautes graves, notamment si
leurs auteurs sont passibles d'une peine d'excommunication ou de la justice du
sang.
En dénonçant les faussaires, ils sont les
garants des finances liégeoises. N'oublions pas que les doyens ruraux
sont, dès l'origine, des agents fiscaux de l'évêque. Par
ailleurs, ils doivent aussi empêcher la propagation de faux documents et
d'imitations de sceaux.74
69. Registrum I, f° 52. Registrum II,
f° 31 v°. CEYSSENS, J., Ibid., pp. 203- 204.
70. HABETS, J., Ibid., pp. 604-605.
71. Registrum I, f° 52. Registrum II,
f° 31 v°. CEYSSENS, J., Ibid., pp. 200- 201.
72. TOUSSAINT, F., Ibid., p. 669.
73. SCHANNAT, J.-F., Ibid., t. 5, p. 313.
74. AVRIL, J., Ibid., pp. 105, 133-134.
Les usuriers doivent être dénoncés au cours
du synode ainsi que les dimanches et jours de fête par les curés
et les doyens devant l'assemblée des fidèles.75
§ 4. Les sentences d'excommunication.
Si le doyen rural peut infliger des amendes à son
gré, il ne peut exécuter lui-même les sentences
d'excommunication. Son rôle se limite, dans un premier temps, à
proférer des menaces d'anathème. Il en va de même pour
l'interdit et la suspense.76
Si les différents avertissements ne produisent aucun
effet sur les personnes concernées, ou si celles-ci décident de
ne pas payer l'amende, le doyen rural ne peut engager des poursuites. Il doit
soumettre le litige à l'officialité archidiaconale.77
Henri Van der Scaeft signale que les difficultés sont
causées essentiellement par les curés refusant de payer le
cathedraticum et l'obsonium, ainsi que de participer aux frais
nécessaires à la défense des droits du clergé et de
l'Eglise de Liège. Des héritiers d'un noble ou d'un prêtre,
qui refusent que la messe d'enterrement soit célébrée par
le doyen, entrent, eux aussi, fréquemment dans
l'illégalité.78
Selon les statuts synodaux de Jean de Flandre, les membres de
la justice séculière qui refusent d'expulser un excommunié
de l'office divin sont, ipso facto, eux aussi excommuniés. Ce genre
d'incident est assez grave pour que l'évêque, alerté par le
curé de la paroisse concernée, s'empare de l'affaire. Le
rôle du doyen consiste alors à faire connaître, de tous les
fidèles de leur district, le nom des agents de justice qui viennent
d'être exclus de l'Eglise.79 L'archevêque ne peut accomplir cette
mission avec efficacité étant donné qu'il ne réside
pas dans leur district ; si l'évêque devait avertir tous les
curés des paroisses environnantes, sa démarche serait très
fastidieuse et beaucoup trop lente.
75. AVRIL, J., Ibid., pp. 109, 117, 161, 167 et 168.
76. CEYSSENS, J., Ibid., p. 221.
77. C'est la raison pour laquelle Van der Scaeft a reproduit,
dans son formulaire, une lettre adressée à l'official de
l'archidiacre. Registrum I, f° 210-215. Registrum II,
f° 124-127.
78. Registrum I, f° 40. Registrum II,
f° 20. CEYSSENS, J., Ibid., p. 221.
79. AVRIL, J., Ibid., p. 109.
Les doyens ruraux peuvent aussi être sollicités
par une instance supérieure de la hiérarchie
ecclésiastique pour exécuter les aggraves ou rénovations
d'une sentence d'excommunication, c'est-à-dire pour
répéter chaque dimanche et jour de fête, le
cérémonial qui exprime symboliquement l'exclusion d'une personne
de la communauté des paroissiens, et ce, jusqu'à ce que celle-ci
accepte de se soumettre à la puissance de l'Eglise. Devant
l'assemblée des paroissiens, au son des cloches et à la
lumière des cierges, le prêtre cite solennellement le nom des
excommuniés, afin que les fidèles se détournent de leur
présence.80
Nous citerons, à titre d'exemple, une affaire
concernant le village de Châtelineau. Le 8 mai 1270,
l'écolâtre de Notre-Dame de Maastricht somme, avec insistance, les
doyens de Fleurus, de Florennes, de Gembloux, de Thuin, de Ciney et de Hanret
d'effectuer les aggraves de l'excommunication contre le chevalier de
Châtelineau.81 Cet ordre est réitéré le 12
juillet.82 Deux ans plus tard, alors que tous les prêtres cités
ci-dessus répétaient, chaque semaine, le
cérémonial, le chevalier reconnaît solennellement ses torts
devant l'écolâtre.83 Déclaration hypocrite car, un mois
plus tard, celui-ci est obligé de réitérer l'ordre de
prononcer les aggraves.84 Ce n'est qu'en novembre 1272 que le conflit prend
fin, suite à l'intervention de l'official de l'évêque.85
Dans d'autres affaires, l'évêque, par une
démarche similaire, s'adresse directement au doyen rural, son
représentant dans les campagnes. En 1249, l'évêque Henri de
Gueldre excommunie les Trudonnaires qui ont pêché dans un
étang appartenant à une abbaye. Il s'adresse, pour cela, au doyen
du concile de Saint-Trond.86
80. AVRIL, J., Ibid., p. 109.
81. A.E.M., chartrier de l'abbaye de Soleilmont. (DEVILLERS, L.,
Description
analytique
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de cartulaires et de chartriers du Hainaut, t. 7, Mons, 1875, p.
12).
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82.
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A.E.M.,
|
ibid.
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(DEVILLERS,
|
L.,
|
Ibid.,
|
pp. 13 et 16).
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83.
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A.E.M.,
|
ibid.
|
(DEVILLERS,
|
L.,
|
Ibid.,
|
pp. 15-16).
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84.
|
A.E.M.,
|
ibid.
|
(DEVILLERS,
|
L.,
|
Ibid.,
|
p. 15).
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85.
|
A.E.M.,
|
ibid.
|
(DEVILLERS,
|
L.,
|
Ibid.,
|
pp. 15-16).
|
86. PIOT, C., Cartulaire de l'abbaye de Saint-Trond, t. 1,
Bruxelles, 1870, p. 241.
Dans les statuts synodaux de 1548, Georges d'Autriche
préconise l'excommunication des concubines per officiales nostros et
decanos rurales.87 Cette formule, qui révèle le rôle majeur
du doyen dans la procédure d'anathème, est quelque peu
ambiguë. En fait, l'excommunication proprement dite est du ressort des
officialités épiscopales et archidia- conales. Le rôle du
doyen consiste seulement à dénoncer des délits et à
recourir aux aggraves, à moins que l'évêque ne lui ait
extraordinairement délégué son pouvoir d'excommunication
pour une affaire bien précise. Ainsi, en 1258, Henri de Gueldre ordonne
au doyen de la chrétienté de Maastricht d'excommunier le seigneur
d'Aalburg et de Gronsveld au cas où celui-ci ne cesserait pas ses
agissements néfastes envers l'abbaye d'Herkenrode.88
Henri Van der Scaeft regrette beaucoup que le doyen rural ne
puisse lui-même exclure quelqu'un de l'Eglise. La procédure
d'anathème est très complexe et donc peu efficace : pendant que
doyens et curés prolifèrent des menaces et accomplissent
inlassablement le cérémonial symbolique, l'évêque et
l'archidiacre attendent la soumission des excom- muniés qui, très
souvent, restent sur leurs positions. L'auteur du Registrum cite un autre
exemple témoignant des lacunes de ce système. Devant le refus de
certains curés de payer le voyage du doyen et de ses accompagnants
à Liège, celui-ci leur envoie à chacun plusieurs lettres
de menaces. Cette démarche ayant échoué, l'official de
l'archidiacre s'empare de l'affaire. Il demande aux prêtres de se
justifier, mais ils ne le font pas. La censure est alors prononcée, mais
elle ne peut être appliquée que lorsqu'elle sera parvenue, par
courrier, aux personnes concernées.89
Les absences très fréquentes de certains doyens
tendent évidemment à enrayer le bon fonctionnement de la
procédure d'excommunication, telle qu'elle est décrite ci-dessus,
de même que l'envie de certains doyens de régler eux-mêmes
les affaires concernant leur district.90
87. SCHANNAT, J.-F., Ibid., t. 6, Cologne, 1765, p. 396.
88. REUSENS, E., Documents relatifs à l'abbaye de
Herkenrode, dans A.H.E.B., t. 16, Louvain, 1879, pp. 261-262. DELESCLUSE, A.,
Catalogue des actes de Henri de Gueldre, prince-évêque de
Liège, Bxl, 1900, p. 61. RENARDY, Ch., Synodes, juridiction de la paix
et cessions de dîmes aux Eglises (XIe-XIVe s.), dans le Moyen Âge,
t. 81, Bruxelles, 1975, p. 259.
89. Registrum I, f° 210-215. Registrum II,
f° 124-127. CEYSSENS, J., Ibid., pp. 222-223.
90. Registrum I, f° 210-215. Registrum II,
f° 124-127. Le doyen de Beringen prétend avoir soumis un
cas d'anathème à ses supérieurs après avoir
prodigué des menaces pendant plus de deux années.
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