CHAPITRE IV.
LE DOYEN ET SES FONCTIONS.
A. Droits et obligations.
§ 1. L'assistance aux synodes
généraux.
Depuis l'Antiquité jusqu'à la fin de l'Ancien
Régime, les synodes épiscopaux,1 qui réunissent autour de
l'évêque l'ensemble des prêtres qui en dépendent,
occupent une place prépondérante dans la gestion des
diocèses. Dans certaines régions de France, ils apparaissent
dès l'époque mérovingienne. Dans le diocèse de
Liège, dès la fin du VIIIe ou le début du IXe
siècle, l'évêque guide les prêtres dans l'exercice de
leur ministère par des capitula qui, selon certains historiens, seraient
expliquées lors des synodes diocésains. En fait, l'existence de
ces synodes n'est attestée qu'au Xe siècle.2 Son
développement est à mettre en rapport avec l'efflorescence du
christianisme dans les campagnes3 et à la volonté de
l'évêque d'affirmer partout son autorité.4 Les curés
y rendent compte de leurs activités et reçoivent, de
l'évêque, de nouvelles recommandations, dont certaines sont issues
des conciles provinciaux. Le prélat profite de cette assemblée
pour contrôler la discipline du clergé et pour rendre la
justice.5
Dès le Xe siècle, deux types de synodes coexistent6
: le synode général, qui se tient dans la cité
épiscopale, et le synode rural,7 véritable tribunal
1. LECLERCQ, H., Synode, dans Dictionnaire
d'archéologie chrétienne et de liturgie, t. 15, 2e part., Paris,
1953, col. 1837-1838. EID, E., Synode, dans Lexikon für Theologie und
Kirche, t. 9, Fribourg, 1964, col. 1237-1238.
LAIS, H., Konzil, dans le même dictionnaire, t. 6,
Fribourg, 1961, col. 525-532.
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2.
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AVRIL, J., Ibid., p. 28.
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3.
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KUPPER, J.-L., Ibid., p. 255.
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4.
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DAVENNE, G., les Synodes épiscopaux à Liège
du
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Xe
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au XIIIe
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siècle,
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(mémoire
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de
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licence présenté à l'Université de
Liège), 1947,
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p.
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233.
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5.
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KUPPER, J.-L., Ibid., p. 255.
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6.
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AVRIL, J., Ibid., p. 29.
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7.
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Voir §2.
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itinérant présidé, à l'origine, par
l'évêque. Le rôle des doyens, nous le verrons, est
remarquable dans l'un comme dans l'autre.
Au début du XIe siècle, l'institution synodale
est parfaitement structurée. Elle est subdivisée en une session
religieuse et en une session mixte, à laquelle les grands seigneurs
laïcs sont conviés, et elle se tient sous deux formes : devant une
assemblée restreinte ou dans le cadre de l'audientia in generali
concilio.8 Il devient un instrument politique de tout premier ordre pour
l'évêque. Au cours de ce siècle, il accède au
faîte de sa gloire.9
Le synode général mixte se rassemble sur l'ordre
de l'évêque,10 à raison de deux fois par an, au printemps
et en automne.11 Pour des raisons pratiques, les deux sessions, mixte et
religieuse, se tiennent au même moment.12 La compétence du synode
général s'étend à tout ce qui relève du
pouvoir épiscopal, en plus des compétences d'ordre temporel. Les
participants y débattent du culte des saints, de l'élection
d'abbés, de la discipline des clercs, de querelles entre
monastères, de conflits entre monastères et laïcs, de
contesta- tions relatives aux dîmes et aux prébendes,
d'hérésies et d'outrages à l'autorité
épisco- pale. Il exerce aussi une juridiction gracieuse. Il va de soi
que les affaires temporelles ne concernent pas l'ensemble du diocèse,
mais seulement la terre de saint Lambert.13
Dès le milieu du XIIe siècle, cette institution
décline irrémédiablement.14 Selon Joseph Avril, cette
décadence s'explique par une poussée à la fois interne et
externe.15 L'évêque, véritable souverain foncier, voit son
pouvoir se
8. KUPPER, J.-L., Ibid., p. 257.
9. DAVENNE, G., Ibid., p. 234.
10. KUPPER, J.-L., Ibid., p. 258.
11. DAVENNE, G., Ibid., pp. 64-66, pense qu'il y en a trois.
Par contre, KUPPER, J.-L., Ibid., pp. 259-260, pense que la session de
février-mars serait une «session de rechange». Selon AVRIL,
J., Ibid., p. 32, la règle des deux synodes annuels souffre de
nombreuses exceptions.
12. KUPPER, J.-L., Ibid., p. 258.
13. KUPPER, J.-L., Ibid., pp. 263-271.
14. DAVENNE, G., Ibid., p. 234.
15. AVRIL, J., Ibid., pp. 32-33.
maintenir intact seulement dans les limites de la terre de
saint Lambert, qui se transforme irrésistiblement en
principauté.16 Dès lors, au début du XIIIe siècle,
plusieurs seigneurs laïcs ne daignent plus participer au synode, dont ils
contestent aussi les institutions de paix. Par ailleurs, à la fin du
XIIe siècle, la victoire du pape sur l'Empire ne fait plus aucun doute.
L'évêque de Liège se rapproche de plus en plus de l'orbite
pontificale. Or, certains légats ont dénoncé les carences
de l'Eglise de Liège et la nécessité de certaines
réformes. L'influence du pontife romain se fait
omniprésente.17
Sous l'épiscopat de Hugues de Pierrepont, les pouvoirs
judiciaires du synode mixte sont répartis entre l'officialité de
l'évêque et celle des archidiacres.18 Cette évolution, nous
le verrons, a provoqué un impact important sur les synodes paroissiaux
qui, des mains de l'archidiacre, passent entre celles des doyens ruraux.19
Au début du XIIIe siècle, l'évêque
de Paris, Eude de Sully, rédige les Precepta ; il est très vite
imité par nombre de ses confrères. Au cours du XIIIe
siècle, l'archevêché de Cologne et la plupart des
diocèses voisins (Tournai, Cambrai, Arras et Münster), se dotent de
statuts synodaux.20 Quant au concile «national» de Würzburg, son
influence sur l'Eglise de Liège, ainsi que sur l'ensemble du
clergé de l'Empire, ne doit pas être négligée.21
Les évêques de Liège ressentent alors de
plus en plus le besoin de formuler par écrit un certain nombre de
résolutions et de les regrouper dans un ouvrage de
référence. A cet effet, Jean de Flandre réunit, en 1288,
dans la ville épiscopale, un important synode diocésain. Selon
Jean-Pierre Delville,21 le
16. Ce phénomène prend racine lors de
l'accession de Raoul de Zähringen au siège épiscopal.
KUPPER, J.-L., Raoul de Zähringen, évêque de Liège
(1161-1191). Contribution à l'histoire de la politique impériale
sur la Meuse moyenne, Bruxelles, 1974, p. 829.
17. AVRIL, J., Ibid., pp. 32-33.
18. DAVENNE, G., Ibid., pp. 212-220.
19. Voir §2.
20. AVRIL, J., Ibid., pp. 34-36 et 61. DELVILLE, J.-P.,
Synodes et statuts synodaux liégeois sous l'Ancien Régime,
(mémoire de licence présenté à l'Université
de Liège), 1973, pp. 2-4.
21. DELVILLE, J.-P., Ibid, p. 4.
moment est particulièrement bien choisi pour une telle
entreprise car l'évêque a réussi à rétablir
la paix, d'une part avec la cité de Liège et, d'autre part, avec
les Brabançons. Mais les villes et les nobles, écartés des
débats, s'insurgent lors de la proclamation de ces statuts. Jean de
Flandre rédige alors une lettre à leur attention, où il
s'explique notamment sur le sens précis des termes civitas, oppida et
villa. Mais cela ne suffit pas à calmer les protestataires, qui
informent le pape Nicolas IV du conflit qui les oppose à
l'évêque. Ce dernier est alors contraint de corriger certains
points des statuts. En 1291, il en publie une modération.22
L'ensemble du clergé liégeois se rassemble
encore en 1360 et en 1423 mais, cette fois, à l'invitation de papes ou
de légats pontificaux. La première réunion trouve son
origine dans la volonté d'Innocent IV de travailler à la
réforme du clergé.23 La seconde s'opère à
l'initiative de Martin V, afin de préparer le concile
général de Pavie.24
De nombreux troubles sévissent dans le diocèse
de Liège, au milieu du XVe siècle : outre la guerre contre les
Bourguignons, l'évêque doit surmonter des discordes avec le
clergé quant au soutien à apporter au pape Eugène IV.
Après avoir réuni les prêtres en 1337 et en 1339 à
propos de la conduite à adopter envers les mandements du concile de
Bâle, jugé schismatique par le pape, Jean de Heinsberg les
réunit une troisième fois, en 1445, dans l'optique de corroborer,
de préciser et de compléter les statuts de 1288. Il en profite
aussi pour demander les subsides nécessaires à l'attaque de
plusieurs châteaux détenus par l'ennemi. Les nouveaux statuts sont
promulgués en 1446.25
L'apparition du luthéranisme, à Wittenberg, en
1517, et sa rapide propagation poussent Erard de la Marck à convoquer un
synode diocésain, en 1526. Mais ses démarches ne sont pas
couronnées de succès car le clergé le soupçonne de
vouloir lui retirer ses exemptions.26 Il échoue à nouveau en
1535. Puis, en 1538, suite
22. DELVILLE, J.-P., Ibid., pp. 4 et 10-12.
23. DELVILLE, J.-P., Ibid., p. 16.
24. DELVILLE, J.-P., Ibid., p. 20.
25. DELVILLE, J.-P., Ibid., pp. 23-26.
26. VAN HOVE, A., Ibid., pp. 16-43. HALKIN, L.-E.,
Réforme protestante et Réforme catholique pp. 96-108 et
227-242.
à une nouvelle tentative de réunir le
clergé, les chanoines de la principauté, exaspérés
par la politique de l'évêque, décident d'émigrer
à Louvain.27 Son successeur, Georges d'Autriche, conserve les
mêmes objectifs. En 1548, la nécessité de publier la
Formula reformationis édictée par Charles Quint, en attendant les
conclusions du concile de Trente, lui fournit une excellente opportunité
pour réunir l'ensemble du clergé liégeois.28
Pour l'évêque, le synode est occasion
privilégiée pour transmettre à tous les membres du
clergé les décisions relatives au statut de chacun dans la
hiérarchie ecclésiastique. Comme tous les prêtres ne
peuvent, pour des raisons pratiques, se présenter simultanément
dans la cité mosane, seuls s'y rendent leurs
délégués. Ainsi, les curés des paroisses rurales
sont représentés par le doyen du concile, éventuellement
accompagné de l'un ou l'autre prêtre du district.29
Pour participer au synode, les doyens revêtent l'aube et
l'étole, alors que les curés ne portent que le surplis. Ils
doivent s'y rendre à jeun et ne peuvent se faire remplacer, sauf pour
des motifs graves qu'ils doivent transmettre à l'évêque.30
Leur présence est d'autant plus primordiale qu'ils ont le devoir de
diffuser et d'expliquer les statuts synodaux au clergé de leur district.
Pour cela, ils reçoivent chacun un exemplaire de l'ouvrage.
L'évêque insiste sur la parfaite compréhension de tous les
préceptes ; lui et son official se chargent eux-mêmes de
répondre aux questions des doyens qui n'en auraient pas bien saisi le
sens.31
C'est aussi au cours du synode diocésain que les doyens
présentent leurs comptes, en particulier ceux relatifs au cathedraticum,
taxe qui revient en partie à l'évêque.32 Ils lui rapportent
aussi les noms des prêtres décédés, des usuriers,
des faussaires et des excom- niés.33 Le prélat peut ainsi
gérer son diocèse avec soin.
27. DELVILLE, J.-P., pp. 28-34.
28. DELVILLE, J.-P., pp. 35-39.
29. AVRIL, J., Ibid., p. 95. DELVILLE, J.-P., pp. 92-94.
Cette obligation est toujours d'actualité dans la seconde moitié
du XVIIIe siècle (SOHET, D., Ibid., p. 88.
30. AVRIL, J., Ibid., p. 97.
31. AVRIL, J., Ibid., pp. 97, 161, 184 et 185.
32. KUPPER, J.-L., Liège et l'Eglise impériale, p.
255.
33. AVRIL, J., Ibid., pp. 109, 117, 161, 167 et 168.
Une fois retournés dans leur canton, les doyens doivent
convoquer un concile dans un délai de deux mois afin de savoir si tous
les prêtres se sont procuré une copie des statuts et s'ils en ont
compris le contenu. Jean de Flandre34 et Jean de Heinsberg35 prévoient
des sanctions très lourdes, allant jusqu'à l'excommunication,
pour les prêtres qui ne posséderaient pas les statuts.
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