§5. La vie quotidienne.
Les doyens ruraux semblent constituer un ensemble fort
disparate. Les revenus du décanat, nous l'avons vu, varient beaucoup
d'un concile à l'autre. De plus, ils dépendent étroitement
d'éléments occasionnels tels que le nombre d'institutions de
nouveaux prêtres et le nombre de décès de nobles, de clercs
et de vagabonds. D'autre part, il ne faut pas perdre de vue que l'Eglise joue
un rôle de promoteur social : des roturiers peuvent accéder
à des postes élevés, parfois supérieurs à
ceux des nobles.
96. PONCELET, E., Sainte-Croix, t. 1, pp. LXV et CIX. DE THEUX
DE MONTJARDIN, J., Ibid., t. 3, p. 23.
97. PONCELET ,E., Ibid., pp. XXVIII, LXV et LXVI.
98. MANSI, G.D., Ibid., t. 32, Paris-Leipzig, 1901, col.
1293.
99. LEDUC, B., Ibid., t. 1, pp. 227-228.
100. CHOT-STASSART, S., Ibid., p. 135. DARIS, J., Notices sur
les églises du diocèse de Liège, t. 3, Louvain, 1872, pp.
225-236. KURTH, G., Notger de Liège et la civilisation au Xe
siècle, Paris, 1905, pp. 261-262.
Tentons, dans un premier temps, d'établir le profil
type d'un doyen rural de condition aisée, sur base de divers
éléments dont nous disposons, au risque de décrire un mode
de vie qu'aucun doyen n'a partagé dans sa totalité. Une
première remarque s'impose : certains doyens ruraux ont souvent pour
habitude de cumuler les bénéfices, ce qui, de fait, les
empêche de se consacrer à la tâche décanale.
Quelques-uns fréquentent des ecclésiastiques de haut rang, se
faisant remplacer, dans leur district, par un vice-doyen.101 Ils
possèdent un patrimoine foncier considérable, qu'ils s'efforcent
même d'augmenter par l'acquisition de nouvelles seigneuries.102 A ce
sujet, le legs du doyen de Tongres en faveur de l'hôpital de
Saint-Mathieu à la Chaîne,103 et le testament de
Frédéric de Brandebourg, daté du 1er septembre 1503,104
sont assez éloquents. Ils s'entourent d'objets de luxe et, en amateurs
d'art avertis, commandent des objets liturgiques personnalisés
auprès des plus grands artistes de leur temps.105 La richesse de leurs
vêtements témoigne, elle aussi, de leur aisance.106 Comme tous les
grands princes territoriaux, ils s'adonnent aux plaisirs de la chasse, pour
laquelle ils élèvent des faucons.107
Le quotidien d'un doyen rural pauvre n'a rien de commun avec
ce qui vient d'être écrit.
Bien que beaucoup de doyens envieraient la condition de Henri
Van der Scaeft, celui-ci écrit, dans son ouvrage sur le décanat
rural : decanatus fere nihil habet in certis redditibus.108 Il ne faut
cependant pas perdre de vue que ce personnage est souvent excessif et qu'il
aime se plaindre, surtout pour des questions d'argent.
101. Helmicus de Dyck, familier du cardinal Branda de
Castillone (BAIX, F., Ibid., pp. 12-13), Nicolas de Bléhen, cubiculaire
du cardinal Pierre de Vergne (BRIGLEB, P. et LARET-KAYSER, A., Ibid., p. 58.)
et Gauthier Backer, familier du pape Boniface IX (BAIX, F., la Chambre
apostolique, p. CCLVI).
102. En 1532, Godefroi Lambert, doyen de Florennes, en plus
du fief de Roly, qu'il tient de sa mère, acquiert la seigneurie de
Sart-en-Fagne. DE VILLERMONT, Aublain, Anvers, 1883, pp. 169-170 et 172-173.
103. A.Ev.L., chartrier de l'hôpital
Saint-Mathieu-à-la-Chaîne (1281).
104. WÜRTH-PAQUET, M.F.X. et VAN WERVEKE, N., Ibid., p.
309. Une partie du testament de Frédéric de Brandebourg peut
être reconstituée à partir de celui de son frère.
105. En témoigne le calice de maître Tilman de
Herkenrode, chanoine de Saint-Jean et doyen de Ciney, dans la première
moitié du XVIe siècle, exécuté probablement par
Hans de Reutlingen. Le nom du doyen est d'ailleurs gravé sur cette
pièce conservée aujourd'hui au Rijksmuseum d'Amsterdam (photo
publiée dans Le Millénaire de la collégiale Saint-Jean, p.
224).
106. Cénotaphe de saint Walhère, à Onhaye
(illustration p. 166).
107. Cela leur a été interdit par Jean de Flandre,
dans le cadre des visites des paroisses (AVRIL, J., Ibid., p. 157).
108. Registrum I, f° 87. Registrum II,
f° 54.CEYSSENS, J., Ibid., p. 183.
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