CHAPITRE III.
SITUATION SOCIALE, INTELLECTUELLE ET ORIGINE
GEOGRAPHIQUE.
§1. Dépenses et revenus.
Le train de vie mené par le doyen rural est bien
supérieur à celui du prêtre de paroisse. Les fonctions
pastorales, cumulées à la charge décanale, sont
très lourdes à porter. C'est pourquoi, pour
célébrer l'office divin, les doyens ont pris l'habitude de se
faire remplacer par un vicaire à leur charge.1 Ils peuvent aussi
s'adjoindre les services d'un ou de plu- sieurs vice-doyens qu'ils doivent
rémunérer eux-mêmes. Dans le cadre de leurs fonctions,
l'entretien de chevaux leur est bien utile pour parcourir les chemins de leur
concile. Suivant les statuts de Jean de Flandre, deux doivent leur suffire pour
accomplir leur devoir de visite.2
Les doyens doivent supporter, seuls, les frais du voyage et du
séjour à Liège, le jeudi saint, ainsi que le repas qui y
est pris en communauté, ce qui pousse d'ailleurs certains à
commettre des exactions.3
Tous les prêtres du district et les détenteurs de
bénéfices ecclésiastiques sont traditionnellement tenus de
présenter à l'élu un don de joyeuse entrée, qui
compense partiellement le coût de l'élection.
L'évêque ainsi que l'archidiacre participent à cette
donation. Tout prêtre qui ne se résout pas à livrer au
doyen l'argent qui lui est exigé est passible de se faire rappeler
à l'ordre par l'official.4
Outre cette donation d'accueil, la charge décanale
comporte de nombreux avantages financiers. Au début du XVe
siècle, Jordan et Nicolas de Baest
1. CEYSSENS, J., Ibid., p. 183.
2. AVRIL, J., les Statuts synodaux de Jean de Flandre,
évêque de Liège (1288), dans B.S.A.H.L., t. 61,
Liège,
1995, p. 157.
3. AVRIL, J., Ibid., pp. 162-163.
4. Registrum I, f° 88. Registrum II,
f° 56. CEYSSENS, J., Ibid., pp. 177-178.
informent le pape que le concile de Léau rapporte huit
marcs d'argent.5 Helmicus de Dyck évalue que la cure de Couvin et le
doyenné de Chimay lui rapportent ensemble de seize à vingt marcs
d'argent, soit entre quatre-vingts et cent florins d'or.6 Un siècle plus
tard, Henri Van der Scaeft se lamente en estimant les revenus annuels du
concile de Beringen à trente-cinq florins du Rhin seulement.7 Jean
Dompens écrit qu'en 1547, ce chiffre est monté à
trente-neuf florins, alors qu'en 1552, il n'est plus que de trente florins et
un stupher.8 Bien sûr, il est difficile de comparer les
différentes monnaies. De plus, contrairement aux chiffres avancés
par les doyens de Beringen, celui de Helmicus de Dyck comprend aussi les
revenus de la paroisse. Signalons aussi que le doyen de Chimay touche
probablement d'autres revenus, en tant que membre du clergé de
Münster et familier du cardinal de Plaisance.9 D'autre part, Van der
Scaeft mentionne qu'aux trente-cinq florins qu'il perçoit, il faut
ajouter plusieurs droits importants, dont ceux perçus lors de
l'institution de nouveaux curés et bénéficiers dans les
quartes-chapelles.10 Il est donc impossible de tirer une conclusion tant les
paramètres pris en compte par ces deux personnages sont
différents, mais notons tout de même que le gain annuel minimum de
Van der Scaeft est inférieur au coût de la partie administrative
de la procédure d'élection.11
Le cathedraticum et l'obsonium, perçus dans les
quartes-chapelles, reviennent intégralement au doyen de
chrétienté. Pour les églises entières et
médianes, il ne perçoit qu'un neuvième du droit
cathédratique. Au début du XVIe siècle, le droit
cathédratique s'élève, pour les églises
entières, à soixante stuphers et six plackes ; pour les
médianes, à trente stuphers et trois plackes, et enfin, pour les
quartes-chapelles, à quinze stuphers et un placke et demi. Lors de la
perception de ces droits, chaque curé doit encore verser au doyen trois
stuphers pour frais de registre et de quittance. Celui-ci doit alors
s'acquitter de ces frais, dont le montant est bien sûr plus
élevé, auprès de l'évêque et de
l'archidiacre.12
5. BAIX, F., la Chambre apostolique et les Libri annatarum de
Martin V (1417- 1431), dans A.V.B., t. 14, Rome, 1947, p. 220.
6. BAIX, F., Doyens du concile de Chimay, dans Namurcum, t. 22,
Namur, 1947, pp. 12-13 (annexes).
7. Registrum I, f° 27. Registrum II,
f° 15. CEYSSENS, J., Ibid., p. 182.
8. Registrum compositionum, f° 30 et
f° 39.
9. BAIX, F., Ibid., p. 13.
10. Registrum I, f° 27. Registrum II,
f° 14. Registrum compositionum, f° 79.
11. Registrum I, f° 87. Registrum II,
f° 54.
12. MUNSTERS, A., Ibid. PAQUAY, J., Juridiction, p. 107, notes 1
et 2. Registrum I, f° 33. Registrum II, f° 15
v°.
Lors de l'institution d'un nouveau curé dans une
quarte-chapelle, le doyen perçoit le huitième, puis la
vingtième part des revenus annuels de cette église, des droits
fixes pour les lettres proclamatoires et les revenus de la cure durant la
vacance. Toutefois, le doyen a dû rémunérer un prêtre
pour administrer cette paroisse avant l'arrivée du nouveau
titulaire.13
La moitié des amendes perçues lors des synodes
paroissiaux revient au doyen, sauf si l'official de l'archidiacre est
convié à s'y rendre personnellement. Dans ce cas, le doyen ne
perçoit que le tiers du montant.14 Le principe selon lequel «une
once de juridiction vaut mieux que dix livres d'or»15 semble avoir
été d'application puisqu'il arrive, parfois, que les frais
nécessaires à la tenue de la séance surpassent les
revenus.16
Le doyen rural perçoit aussi le droit de
funérailles sur tous les nobles, les soldats, les prêtres et les
personnes de condition misérable. Les honoraires sont proportionnels
à la situation du défunt. Dans le doyenné de Beringen,
l'enterrement d'un clerc rapporte au doyen rural entre un florin et demi et six
florins du Rhin. De plus, le doyen reçoit l'offrande, un cierge, le
surplis, la barrette, le bréviaire et aussi, dans certains districts, le
plus beau meuble ayant appartenu au défunt. Au cours des
funérailles d'un noble, les héritiers déposent, sur le
drap mortuaire, une pièce d'or qui revient au doyen. Celui-ci s'empare
aussi de tous les biens meubles des comédiens, de certains soldats, des
gardes forestiers, des vagabonds, des prostituées et des lépreux.
Leurs possessions doivent éventuellement servir à payer leurs
dettes. Tout ce qui a appartenu aux lépreux doit, le plus souvent,
être brûlé. La demeure du doyen rural recèle donc,
parfois, une collection d'objets saugrenus. Henri Van der Scaeft raconte qu'au
décès d'un ménestrel, un de ses
prédécesseurs a hérité d'un instrument de musique
qu'il nomme tuba.17
Les gains d'argent peuvent aussi provenir des activités
que le doyen mène parallèlement à son office, notamment
pour l'apposition de son sceau.18
13. En 1572, Guillaume Van der Heesen écrit, à
la suite du registre de Dompens, le détail des revenus de l'institution
d'un curé dans son concile (Registrum compositionum, f°
79).
14. Registrum I, f° 52. Registrum II,
f° 31. CEYSSENS, J., Ibid., pp. 201-202.
15. CEYSSENS, J., Ibid., p. 179.
16. Registrum I, f° 52. Registrum II,
f° 31 v°. CEYSSENS, J., Ibid., pp. 201- 202.
17. Registrum I, f° 79. Registrum II,
f° 48. CEYSSENS, J., Ibid., p. 216-219.
18. CEYSSENS, J., Ibid., p. 208.
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