§2. La condition sociale.
La disparition totale des serfs, au XIIe siècle, et des
ministeriales, au siècle suivant, sonne le glas des principales
inégalités sociales et juridiques du Moyen Âge. C'est aussi
une époque marquée par une grande mobilité sociale, due
notamment à l'apparition du patriarcat urbain, dont le style de vie est
comparable à celui de la petite noblesse ou de la chevalerie. Notons
aussi que cette dernière adopte un mode d'existence de plus en plus
proche de celui de la noblesse, sans toutefois se confondre avec elle avant le
XIVe siècle.
Toute personne de sang noble qui détient des biens
féodaux et des droits seigneuriaux appartient à la noblesse.
Cette qualité est donc héréditaire.19
Avant le XIVe siècle, la plupart des sources restent
muettes quant au rang social des doyens ruraux. Néanmoins, la
présence de quelques grands lignages est manifeste. Henri de Dyck, doyen
de Léau et archidiacre de Liège, en est le meilleur exemple ; il
appartient à une famille seigneuriale originaire de la région
rhénane.20
D'autres doyens occupent des fonctions importantes, sans qu'il
soit possible de définir précisément leur origine, comme
Englebert, doyen de Louvain et président de la justice ducale de
Brabant21 et Michel, doyen de Thuin et prévôt du chapitre de
Walcourt.22 Maître Jean Crassawe, médecin de formation, est
cité comme doyen de ce même concile en 1257. Un an plus tard, il
devient coûtre du chapitre de Saint-Paul, à Nivelles et
collectionne une multitude de prébendes. En 1260, il entreprend un
nouveau voyage à Rome comme représentant du clergé
secondaire liégeois devant le Saint-Siège.23
19. CHOT-STASSART, S., le Chapitre cathédral de
Saint-Lambert, à Liège, au Moyen Âge. Nationalité,
condition juridique, sociale et intellectuelle des chanoines, mémoire
présenté à l'université de Liège en 1955,
pp. 89-92. VERCAUTEREN, F., Luttes sociales à Liège (XIIIe-XIVe
siècle) 2e éd., Bruxelles, 1946, pp. 12-34. LEJEUNE, J.,
Liège et son pays, Liège, 1948, pp. 275-273.
20. ROLAND, C.-G., Chartes namuroises inédites, dans
A.S.A.N., t. 27, Namur, 1908, pp. 68-70. CHOTSTASSART, Ibid., p. 71
(annexes).
21. WAUTERS, A., Chartes inédites extraites du cartulaire
de Saint-Nicaise de Reims, dans B.C.R.H., 4e série, t. 7, Bruxelles,
1880, p. 387.
22. BROUETTE, E., les Doyens de chrétienté, des
origines au XIIIe siècle, p. 36.
23. WAUTERS, A., De l'origine des premiers développements
des libertés communales en Belgique, Bruxelles, 1968, pp. 185-186
(preuves). RENARDY, Ch, les Maîtres universitaires dans le diocèse
de Liège. Répertoire bibliographique (1140-1350), Paris, 1981,
pp. 338-339.
A partir du XIVe siècle, force est de constater que les
décanats ruraux reviennent de plus en plus souvent aux
représentants de certaines grandes familles. Bien qu'étant de
naissance illégitime, Helmicus de Dyck est le second du nom à
briguer le poste de doyen. Il appartient à l'entourage direct du
cardinal Branda de Castillone.24 Un nombre considérable de grands
lignages se retrouvent dans l'institution décanale : les la Roche,25 les
Boulant ou Roley,26 les Lambert,27 les Mettecoven,28 les Brandebourg,29 les
Mérode,30 les Heure-le-Romain,31 les Bierset,32 les Hodeige,33 les
Harroy,34 et les la Marck.35
24. BAIX, F., Ibid., pp. 12-13. 25. BROUETTE, E., les Libri
annatarum pour les pontificats d'Eugène IV à Alexandre VI, dans
A.V.B., t. 24, Rome, 1963, p. 63. A.E.L., fonds Le Fort, 1e partie, t. 20,
f° 14 (microfilm). 26. Jean de Boulant, doyen de Bastogne dans
la première moitié du XVIe siècle (DE THEUX DE MONTJARDIN,
J., le Chapitre de Saint-Lambert, à Liège, t. 3, Liège,
1872, pp. 62-63) et Guillaume de Boulant, doyen de Stavelot au XVe
siècle (GUILLAUME, D., Doyens du concile de Stavelot, dans Leod., t. 8,
Liège, 198, p. 147. DE THEUX DE MONTJARDIN, Ibid., p. 62). A.E.L, ibid,
t. 4, f° 2 et 4.
27. DE VILLERMONT, Aublain, Anvers, 1883, pp. 169-170 et
172-173. BAIX, F., Doyens du concile de Florennes, dans A.H.E.B., t. 36,
Louvain, 1910, pp. 105- 123. Geoffroi Lambert est le fils d'Ide de Wanlin.
28. A.E.L., ibid., t. 15, p. 19. STRAVEN, F., Inventaire
analytique et chronologique des archives de la ville de Saint-Trond, t. 2,
Saint-Trond, 1886, p. 456.
29. WÜRTH-PAQUET, M.F.X. et VAN WERVEKE, N., Archives de
Clervaux, analysées et publiées, dans P.S.H.Lux, t. 36,
Luxembourg, 1883, p. 309. A.E.L., ibid., t. 4, f° 116.
30. VANNERUS, J., Ibid., p. 9. DE THEUX DE MONTJARDIN, J.,
Ibid., t. 3, pp. 54- 55.
31. Gilles d'Heure-le-Romain, curé de Redu et doyen de
Graide v. 350 (DE BORMAN, C. et PONCELET, E., Oeuvres de Jacques de Hemricourt,
t. 2, le Miroir des nobles de Hesbaye. Codex diplomaticus. Tableaux
généalogiques, Bruxelles, 1925, p. 252. PONCELET, E., Inventaire
analytique des chartes de la collégiale Sainte-Croix, t. 1, Bruxelles,
1911, pp. XCVI, CXXIX, CXXXIX, CXXXIX, CLX. SCHOOLMMEESTERS, E., Recueil de
lettres adressées aux papes et cardinaux pour les affaires de la
principauté de Liège, dans A.H.E.B., t. 15, Louvain-Bruxelles, p.
49).
32. A.Ev.L., obituaire de la collégiale
Saint-Martin-en-Ile, f° 182. A.E.L., ibid., t. 3,
f° 130.
33. A.E.L., archives de l'abbaye du Val-Saint-Lambert, chartrier
(24 novembre 1426). BROUETTE, E., les Doyens de chrétienté, p.
10.
34. A.E.N., cartulaire de l'abbaye de Florennes,
f° 31 et 32 v°. A.E.L., fonds Le Fort, t. 10,
f° 145. Cénotaphe de saint Walhère à
Onhaye (v. illustration p. 166).
35. Philippe de la Marck serait le neveu du cardinal
(A.Ev.L., Cantatorium concilii Rupefortensis (photocopies), f°
9. DE THEUX DE MONTJARDIN, J., Ibid., t. 3, p. 52). Il faut cependant
déplorer les imprécisions considérables de l'auteur de ce
document qu'aucune autre source ne peut corroborer, ce qui rend cette
information quelque peu suspecte. Il n'est pas exclu que celui-ci ait pu
confondre ce personnage avec son homonyme, le curé de Serinchamps, qui a
vécu un demi-siècle plus tard (CHESTRET DE HANEFFE, J., Histoire
de la maison de la Marck, Liège, 1898, p. 272). Une erreur de plus d'un
siècle a été relevée pour
d'autres doyens recensés dans cette liste. Quant
à Josse de la Marck, doyen d'Ouffet au milieu du XVe siècle, nous
n'avons pu le replacer dans l'arbre généalogique de cette
famille.
Les arbres généalogiques des familles de
Bléhen,36 d'Ochain,37 de Vaulx,38 de Liers39 et Boileau40 sont trop
incomplets pour pouvoir y replacer leurs membres promus au décanat
rural. Remarquons que plusieurs lignages comptent, parmi leurs membres, deux
doyens ruraux, qui exercent généralement à la même
époque. La famille de Baest, par exemple, en compte probablement
trois.41
Dans son étude sur les prêtres dans le Brabant
septentrional, Arnoud-Jan Bijsterveld a constaté que près de la
moitié de ceux-ci vivent dans la pauvreté et que l'autre
moitié a un mode de vie aisé. Le nombre de nobles varie aux
alentours de 5%.42 La condition sociale de la majorité des doyens ruraux
semble donc nettement supérieure à celle des curés qu'ils
doivent administrer. Cependant, n'oublions pas que c'est uniquement parmi
ceux-ci qu'ils sont élus.
Le fait d'élire quelqu'un d'important comme doyen peut-il
constituer un quelconque avantage pour les membres du concile? Nous ne
connaissons pas de cas
36. Nicolas de Bléhen, doyen de Chimay à la fin
du XIVe siècle (BRIEGLEB, P. et LARET-KAYSER, A., Suppliques de
Benoît XIII (1394-1422), dans A.V.B., Rome, 1973, p. 58) ne figure ni
dans les oeuvres de Jacques de Hemricourt, ni dans les manuscrits Le Fort.
37. Gérard d'Ochain, doyen d'Ouffet au milieu du XIVe
siècle (HALKIN, J. et ROLAND, C.-G., Cartulaire de l'abbaye de
Stavelot-Malmedy, t. 2, Bruxelles, 1930, p. 290) et Gauthier d'Ochain, doyen de
Rochefort à la même époque (BERLIERE, U., Suppliques
d'Innocent VI, dans A.V.B., t. 5, Rome, 1911, p. 56). Leur éventuel lien
de parenté reste inconnu.
38. Pholien de Vaulx, doyen de Chimay au milieu du XVIe
siècle (PONCELET, E., Inventaire analytique des chartes de la
collégiale Saint-Pierre, à Liège, Bruxelles, 1906, p.
XXXVI. A.E.L., ibid., t. 23, f° 13). Ce personnage n'a pas
été recencé par Le Fort (t. 23, f° 13 et
suivants).
39. Philippe de Liers, doyen de Rochefort en 1401 (A.E.A.,
chartrier du prieuré du Val-des-Ecoliers, à Houffalize).
40. Henri Boileau, successeur de Philippe de Liers (A.Ev.L.,
Ibid., f° 9). Aucun de ces deux doyens n'apparaît, ni
dans les ouvrages de Jacques de Hemricourt, ni dans ceux de Le Fort.
41. Jean de Baest, doyen de Tongres au milieu du XVe
siècle (DARIS, J., Histoire du diocèse et de la
principauté de Liège durant le XVe siècle, Bruxelles,
1974, p. 241), Jordan de Baest, son successeur à ce poste (A.G.R.,
cartulaire de l'abbaye de Herkenrode, f° 70) et Nicolas de
Baest, recommandé par ce dernier auprès du pape pour le
doyenné de Léau (BAIX, F., la Chambre apostolique, p. 220). Nous
n'avons pas pu établir les liens de parenté entre ces trois
personnages, mais leur proximité et leurs contacts nous permettent de
penser qu'ils appartiennent à la même famille. Le même
raisonnement pourrait être tenu pour Arnould de Bruexhem, doyen de
Susteren au début du XVIe siècle (HABETS, J., Geschiedenis van
het tegenwoordig bisdom Roermond, t. 1, Roermond, 1875, p. 404) et Jean de
Bruexhem, doyen du même concile au milieu de ce siècle (HABETS,
J., Ibid., p. 405), ainsi que pour Hermann Gruyter, doyen de Wassenberg
à la fin du XVe siècle (HABETS, J., Ibid., p. 413) et Jean
Gruyter, doyen de Woensel à la même époque (VAN BAVEL, H.
et PRAEM, O., Regesten van het archief van de abdij van Berne (1400-1500),
Heeswijk, 1990, p. 78).
42. BIJSTERVELD, A.J.A., Laverend Tussen Kerk en wereld : de
pastoors in Noord-Brabant (1400-1570), Nimègue, 1993, p. 106.
où un doyen rural aurait profité de sa condition
élevée pour faire prévaloir les intérêts de
son district. Cependant, on pourrait penser que l'éloignement,
lié le plus souvent à une dignité assez
élevée, peut être un avantage pour des prêtres
souhaitant se débarrasser du regard inquisiteur de l'oculus episcopi.
|
|