§3. Aspects géographiques.
Manfred Van Rey, dans son article sur les divisions politiques
et ecclésiastiques dans le diocèse de Liège au Haut Moyen
Âge, pense que le tracé des doyennés est calqué sur
celui des pagi, voire sur les districts de croix banales.38 Alain Dierkens a
clairement démontré la faiblesse de ses propos.39 Ce qu'il faut
remarquer avant tout, c'est que Manfred Van Rey cherche à mettre en
rapport des éléments qui ne sont pas comparables. Les pagi sont
des circonscriptions civiles mentionnées dans nos régions
dès 709, et qui perdurent bien au-delà du moment où
apparaissent les districts religieux que sont les doyennés ruraux.
Les bancroix40 sont des regroupements de paroisses du
diocèse opérés en vue de processions qui se rendent
jusqu'au siège de l'évêché, d'une collégiale
ou d'une abbaye. Dans un premier temps, plusieurs processions sont
organisées chaque année. Puis, une seule se tient au moment de la
Pentecôte. Pour l'occasion, un droit en nature et/ou en argent est
versé à l'évêque, à une collégiale ou
à un abbé. Les bancroix, dont le but serait de rappeler que toute
paroisse est issue de la parochia primitive, restent répandues dans le
diocèse de Liège jusqu'à la fin de l'Ancien Régime,
notamment à Verviers.41 Contraire-
37. NOLET, W. et BOEREN, P.C., Kerkelijke Instellingen in de
Middeleeuwen, Amsterdam, 1951, pp. 299-300.
38. VAN REY, M., les Divisions, pp. 189-192 et 200-201.
39. DIERKENS, A., les Paroisses rurales dans le nord de la
Gaule pendant le Haut Moyen Âge. Etat de la question et remarques
critiques, dans la Paroisse en questions, Des origines à la fin de
l'Ancien Régime, Ath, Mons et SaintGhislain, 1998, pp. 21-49. DIERKENS,
A., la Création., pp. 345-363.
40. BERLIERE, U., les Processions des croix banales, dans
B.A.R.B., 5e série, t. 8, Bruxelles, 1922, pp. 419-446. VANRIE, A., les
Croix banales aux abbayes en Belgique au Moyen Âge, dans Contributions
à l'histoire économique et sociale, t. 2, Bruxelles, 1963, pp.
7-28. DE MOREAU, E., Ibid., t. 1, Bruxelles, 1947, pp. 309-311. LAENEN, J.,
Introduction à l'histoire paroissiale du diocèse de Malines,
Bruxelles, 1924, pp. 165-166. BONIVER, G., les Croix banales, dans B.S.R.V.L.,
t. 2, Liège, 1936, pp. 24-25.
41. BERLIERE, U., Ibid., pp. 426 et 438. VAN REY, M., Die
Lütticher Gaue Condroz, pp. 155-156. FELLER, J., les Processions des croix
banales de HorionHozémont et de Verviers, dans Enquêtes du
musée de la vie wallonne, t. 2, Liège, 1927, pp. 1-12.
ment aux positions de Van Rey et de Paquay, Alain Dierkens est
parvenu à démontrer que les limites des bancroix n'ont pas
engendré celles des doyennés, ni l'inverse.42
Faut-il chercher, dans la configuration géographique de
l'évêché, le principal critère de
délimitation des doyennés? Les paroisses chevauchent souvent les
cours d'eau43 et si les doyennés de Campine sont si vastes, c'est
probablement qu'il était nécessaire de réunir un nombre
minimum de paroisses dans ces régions peu peuplées et non, comme
l'ont affirmé certains historiens, dans le seul souci de réunir
en un concile, un bassin hydrographique tout entier, encore que cela puisse
parfois faciliter les déplacements du doyen.44
Le traçage des limites entre les conciles n'est donc
pas le résultat d'une politique cohérente, basée sur des
critères précis. Comme nous le verrons à la fin de ce
chapitre, la partition du diocèse s'étale sur plusieurs
épiscopats et, contrairement à ce qu'affirme Alain Dierkens, les
évêques successifs peuvent diviser leur territoire à leur
gré, sans nécessairement tenir compte des plans de leurs
prédécesseurs.
Dans Ly Myreur des histors, Jean d'Outremeuse écrit que
le pape Léon III, en 799, aurait lui-même subdivisé le
diocèse de Liège en huit archidiaconés et en vingt-huit
doyennés.45 Cette conception est totalement incompatible avec
l'évolution de l'institution archidiaconale, puisque la création
du dernier archidiaconé est ultérieure à 1200.46 Par
ailleurs, la date de 799 est totalement incohérente par rapport aux
éléments de chronologie que nous avons pu mettre en
évidence précédemment, à savoir que les
archidiaconés ont été créés
ultérieurement aux doyennés. Toutefois, il n'est pas exclu que
Jean d'Outremeuse se soit basé sur des sources, aujourd'hui disparues,
qui prouveraient l'existence des doyennés à l'époque
carolingienne car seulement un peu plus d'un siècle sépare la
date de 799 et la plus ancienne mention d'un doyen rural en notre
possession.
42. DIERKENS, A., la Création., pp. 358-363
43. DIERKENS, A., Ibid., p. 357.
44. DEBLON, A., Ibid., p. 709.
45. JEAN D'OUTREMEUSE, Ly Myreur des histors, éd.
BORGNET, A., t. 3, Bruxelles, 1969, p. 674. Les considérations de ce
chroniqueur tardif et fantaisiste ont fait école, notamment
auprès de FISEN, B., Sancta Legia Romanae Ecclesiae filia sive historia
ecclesiae Leodiensis, Liège, 1642, p. 176. DEBLON, A., Ibid., p. 706,
note 14.
46. KUPPER, J.-L., Ibid., p. 334.
Alain Dierkens pense que les éléments de
géographie plaident en faveur de la thèse de
l'antériorité des doyennés par rapport aux
archidiaconés : les conciles de Hozémont et d'Andenne sont
complètement isolés des archidiaconés dont ils
dépendent.47 Cette constatation ne peut être retenue que si les
limites archidiaconales de la fin du Moyen Âge sont identiques à
celles qui existent très probablement en 1066, ce qui n'est absolument
pas prouvé. C'est le contraire qui semble même plus probable.48
Le problème du nombre initial de doyennés ne
doit pas être négligé. Si, tout comme le chroniqueur
liégeois, nous avons pu relever vingt-huit doyennés au total,
certains indices nous invitent à penser que leur nombre était,
à l'origine, inférieur. Le concile de Susteren s'étendait
primitivement jusqu'à Venlo. Il a ensuite été
scindé en deux parties : les régions du Nord et de l'Est forment
le concile de Wassenberg alors que le reste du district conserve son ancienne
appellation. Des traces de ce passé commun subsistent dans le langage
courant puisque l'ensemble de ces deux doyennés est parfois
désigné par l'expression de concilium aureum.49 La date de la
scission ne nous est pas parvenue, mais elle est nécessairement un peu
antérieure à 1331, année où apparaît pour la
première fois, dans les documents, un doyen de Wassenberg. Le concile de
Hozémont, curieusement enclavé dans l'archidiaconé de
Hesbaye, alors qu' il dépend de celui de Brabant, serait le fruit d'une
partition du doyenné de Tongres, jugé lui aussi trop vaste.50
Quant aux conciles de Campine, leur apparition serait plus tardive,
probablement en raison du développement plus lent de cette partie du
diocèse.51 Jean d'Outremeuse se fourvoie donc complètement en
affirmant qu'il y avait un total de vingt-huit doyennés au
départ.
La répartition des paroisses en doyennés s'amorce
à l'époque carolingienne et tend à s'achever à la
fin du XIe siècle. Nous avons relevé plusieurs exemples de
47. DIERKENS, A., la Création, p. 355.
48. KUPPER, J.-L., Ibid., p. 334.
49. MUNSTERS, A., De Statuten en het statutenboek van het
Gouden Concilie Susteren, dans P.S.H.A.L., t. 88, Maastricht, 1952, p. 65.
Cette expression trouverait-elle son origine dans la richesse du doyenné
ou dans des privilèges fiscaux particulièrement avantageux?
50. PAQUAY, J., les Paroisses de l'ancien concile de Tongres,
dans B.S.A.H.L., t. 18, Liège, 1909, p. 28.
51. PAQUAY, J., Juridiction, droits et prérogatives des
archidiacres du diocèse de Liège, Liège, 1935, p. 14.
DEBLON, A., Ibid., p. 709, note 28.
modifications des limites décanales antérieures
à cette époque. Les paroisses namuroises, dont les filiales sont
partagées entre les doyennés de Gembloux et de Fleurus52 ainsi
que les paroisses d'Auvelais et de Ham-sur-Sambre,53 fournissent la
première preuve d'un remaniement des frontières de ces deux
conciles. Un cas similaire peut être observé pour les
doyennés de Bastogne et de Rochefort, qui se partagent la paroisse de
Saint-Martin, à Lorcy.54 Une fois le quadrillage paroissial
achevé, aucun exemple de paroisse qui serait passée d'un
doyenné à un autre n'est connu à ce jour. La
nécessité d'encadrer les fidèles et les membres du
clergé, dans des structures durables est sans doute la raison
essentielle de cette stabilité: l'Eglise, comme toute
société organisée, a besoin d'institutions rigides pour
fonctionner efficacement.55
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