C/ La stimulation au travail dans les économies en
transition au regard de la praxis : Exemples de l'URSS et de la Chine
populaire.
Dès à présent, nous nous attacherons
à l?étude de deux exemples avant de nous engager sur le cas
cubain. Nous prendrons celui de l?URSS dont nous analyserons brièvement
les différentes phases et celui de la Chine avant le grand tournant
économique de 1978. Il est évident que d?autres exemples auraient
été intéressants à observer comme celui de la
Yougoslavie où après la prise de pouvoir par Tito en 1945, un
système très décentralisé économiquement
fût mis en place et dans lequel la loi de la valeur et les stimulants
matériels avaient une place relativement importante.
1) L'incitation matérielle en URSS : quelques
remarques
La révolution prolétarienne en URSS fût la
première du genre dans le monde et pour certains la seule qui se soit
réellement produite, les autres (Chine Cuba...) n?aurait
été que des prises de pouvoir par une frange de la bourgeoisie ou
de la petite bourgeoisie du pays considéré même s?il y eut
un soutien élevé des masses36. Le problème
d?augmentation de la productivité et de la production était
récurrent en URSS et une part importante de stimulants matériels
fût utilisée tout au long de son histoire.
a) Communisme de guerre, NEP et Stakhanovisme
Dès le début du régime soviétique
la prime fut recommandée par Lénine, qui l?envisageait comme une
récompense pour l?exécution des plans de façon efficace.
La prime devait, là où le salaire au rendement ne pouvait titre
appliqué, stimuler les performances
36
Voir certaines analyses d?organisations trotskystes par
exemple
individuelles au-delà des normes moyennes. Le principe
du salaire au rendement fut consacréau IIème congrès des
unions professionnelles en janvier 1919. Le règlement
général sur le tarif du 17 juin 1920 stipule que des primes
peuvent être payées en plus du tarif de base
(payépour exécution des normes) pour économie
(matière première, temps...) ainsi que pour
l?amélioration des méthodes de production ou de
l?organisation du travail37. Pour le quatrième anniversaire
de la révolution d?octobre, Lénine prononça ces paroles
significatives :
« Oui! Il faut compter avec cette ferveur qu'engendre
une grande révolution, mais unie à l'intérêt
personnel, au stimulant matériel, à la rentabilité
commerciale, pour commencer à construire les solides ponts qui nous
amènerons... au socialisme. Autrement ce n'est pas possible d'avancer
vers le communisme, d'accrocher à lui des dizaines et dizaines de
milliers d'Hommes.»
Lénine tint ces propos, non en tant qu?observateur
externe, mais en tant que dirigeant de la première révolution
prolétarienne. La révolution russe émergea sur son
contexte propre, qui est celle d?une économie arriérée
d?une part, et qui fût détruite partiellement par plus de trois
années de guerre contre l?Allemagne, et ensuite par trois années
de guerre civile contre les armées blanches soutenues par les
impérialismes français et anglais en autres. Lénine
écrit ces paroles pendant cette guerre civile (1918-1921),
période que l?on nommera communisme de guerre. La survie même de
la révolution russe passait par un accroissement rapide de la production
afin de rattraper et dépasser la production d?avant guerre.
L?utilisation de stimulants matériels était donc un moyen
d?accroitre la productivité dans un moment historique plus que
particulier. Elle se justifiait d?elle -même.
Mais durant cette période de communisme de guerre,
outre le fait que des primes étaient accordées, l?effort de
guerre nécessita une centralisation très forte des
décisions et des réquisitions agricoles pour ravitailler le
front. De ce fait, la loi de la valeur pendant cette période n?eut qu?un
rôle très mineur dans les échanges.
37 LAVIGNE, Marie (Dir), Travail et monnaie en
économie socialiste, Economica, Paris, 1981.
La période 1923-1928 sera celle de la NEP, (Nouvelle
Politique Economique) qui laissa plus de place au marché tant au niveau
urbain que rural. Le but est de laisser à la petite exploitation
paysanne le temps de se développer afin dans tirer le surproduit pour
permettre l?industrialisation du pays. La loi de la valeur et les
catégories marchandes auront donc un rôle plus important durant
cette période et aussi, bien entendu, les formes de
rémunération liées au capitalisme.
Il est intéressant également de rendre compte de
l?analyse de Trotsky sur le thème de la rémunération du
travail en économie de transition. Celui-ci ce base sur
l?expérience soviétique, principalement du début des
années 1930.
Pour lui, le socialisme ne se justifie pas uniquement par
l?abolition de l?exploitation (de
l?homme par l?homme), il doit permettre, en effet, une plus
grande économie de temps que le capitalisme, autrement dit, la
productivité du travail, le développement des forces productives
doivent y progresser plus rapidement, sinon « l?abolition de
l?exploitation ne serait qu?un épisode dramatique dépourvu
d?avenir »38.
L?URSS, à cette époque, n?avait pas vaincu sur
ce terrain de l?économie de temps, les rendements soviétiques
étant très inférieurs à ceux des Etats-Unis et des
pays d?Europe de l?Ouest, et c?est seulement en 1931, que le salaire aux
pièces est proclamé rémunération de
référence, et le principe « à chacun selon ses
capacités, à chacun selon sont travail » est mis en
avant.
« Seuls la suppression des cartes de ravitaillement, le
début de la stabilisation du rouble et de l'unification des prix
permirent le travail aux pièces ou à la tche
»39.
Le retour du salaire aux pièces en URSS correspond
à la période du stakhanovisme, qui selon Trotsky n?a pas
été accueilli avec sympathie dans les rangs de la classe
ouvrière soviétique, sans sous-estimé la participation de
socialistes enthousiastes au mouvement
38 TROTSKY, Léon, La révolution
trahie, éditions de minuit, Paris, 1973
39 Idem
Stakhanov. Ce que souligne Trotsky, c?est le fait que le
retour du salaire aux pièces se soit fait à un moment où
les autorités soviétiques proclamaient « la victoire
définitive et sans retour du socialisme ». Or, comme il le
souligne, la transition du socialisme au communisme (donc le socialisme
étant atteint), commence exactement à l?opposée,
c'est-à-dire non pas par l?introduction du travail aux pièces,
mais par l?abolition de ce travail, considéré comme un «
legs de la barbarie »40.
Trotsky nous dit bien ici que tant que le salaire aux
pièces est en vigueur ou plutôt commence à s?installer
ainsi qu?un système de stimulants matériels, nous ne pouvons pas
parler de socialisme mais de transition du capitalisme au socialisme.
Selon Bernard Chavance en 1956, les trois quarts des ouvriers
soviétiques étaient payés aux pièces. C?est dire
l?importance des stimulants matériels, mais qui plus est l?importance de
la stimulation matérielle la plus « totale », le salaire aux
pièces.
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