2) La chute de l'URSS et les implications pour Cuba
a) Une crise économique très grave pour Cuba
La désintégration de l?URSS et des pays du CAEM,
a signifié la fin des échanges commerciaux
privilégiés avec ces pays. Le démantèlement du CAEM
eût lieu en 1989. Comme nous en avons parlé
précédemment, les échanges au sein du CAEM permirent
à Cuba d?augmenter ses forces productives, d?élever le niveau de
vie de sa population et de maintenir sa spécialisation sucrière,
tout en atténuant les erreurs et dysfonctionnements de son
système de planification. Cuba a donc du réorienter son commerce
extérieur, devait importer tous ses biens en MLC (monnaie librement
convertible) et donc à des prix supérieurs (pétrole) et
exporter ses produits à des prix inférieurs (sucre).
L?année 1993 est le point de chute de la crise cubaine. Entre 1989 et
1993, les exportations et les importations se contractent de 79% pour les
premières et de 73% pour les secondes111. La chute du PIB
fût de 35% entre ces deux dates. La capacité productive du pays
diminua donc fortement. L?approvisionnement en combustibles faisait
défaut ainsi qu?en pièces de rechange pour les machines agricoles
par exemple. Un secteur très touché par la crise fût celui
des transports.
La pénurie de biens entraîna un
développement fulgurant du marché noir où les prix
atteignirent des sommets. L?Etat assura tout de méme la conservation des
acquis sociaux de la révolution au niveau de l?éducation et de la
santé, et maintint la carte de distribution
(libreta112) même si certains produits, dont la
viande, ni figurèrent plus, ou seulement de façon
aléatoire. Nous avons donc assisté à une
dégradation des conditions de vie de la population. Méme s?il n?y
eu pas de famine (comme en Corée du nord), des cas de disette
entraînant sous nutrition et malnutrition ont pu être
constatés.
111 HERRERA, Rémy(Dir), Cuba révolutionnaire
tome 2 : économie et planification, Op.cit.
112 La libreta donne le droit à tout cubain de
se procurer certains biens de première nécessité à
des prix administrés très bas. Les quantités et les
produits sont différents selon les endroits, entre la Havane et la
campagne par exemple. Tous les enfants de moins de 7 ans disposent ainsi d?un
litre de lait par jour. A la Havane, à la fin de l?année 2009,
la libreta donnait droit à une livre de riz, une once de
haricot noir, un demi litre d?huile, 10 oeufs par personne et par mois. On
trouve également du café, des cigarettes. Les produits
d?hygiène (pâte dentaire, savon corporel et pour nettoyer le
linge) ainsi que la viande (essentiellement poisson, poulet et picadillo) sont
disponibles de façon aléatoire.
Le salaire réel diminua également fortement en
raison des hausses de prix, de 188 pesos en 1989 à 19 pesos en 1993 en
pesos de 1989113, ce qui fit surgir des cas de pauvreté plus
ou moins important malgré la volonté de l?Etat de continuer
d?assurer le bien être de la population. Le salaire réel en 2009
n?a toujours pas atteint son niveau de 1989 et de loin, malgré que le
salaire nominal soit passé de 188 pesos en 1989 à 414 en
2008114.
Le PIB, lui, a retrouvé son niveau de 1989 seulement en
1999. Les réformes économiques ont permis à Cuba de
refaire partir son économie, la croissance redevient positive en 1994,
méme si le rattrapage par rapport à 1989 n?est pas
opéré dans tous les domaines. Cuba a également du trouver
de nouveaux partenaires économiques fiables qu?elle a trouvé
essentiellement avec la Chine et certains pays d?Amérique latine qui ont
des gouvernements de gauche hostiles aux Etats-Unis depuis les fin des
années 1990 comme le Venezuela et la Bolivie115. Mais ces
échanges sont sans commune mesure comparable avec ceux existant à
l?époque du CAEM.
Bien sûr, durant ces quatre années de vache
maigre, l?attention portée au niveau des stimulants matériels se
réduisit, voire méme disparut. L?essentiel étant de faire
fonctionner les entreprises, dont beaucoup fermaient du fait, par exemple, d?un
manque flagrant de combustibles et de pièces de rechange pour le
matériel productif.
b) Réformes et ouverture partielle au marché
C?est à partir de 1993 que des mesures
économiques vont être mises en place afin de relancer
l?économie. En premier lieu, le tourisme va être promu en tant que
dynamiseur de l?économie En 2000, il rapporta 40% des devises de
l?Etat116. Au sein du marché noir et du
113VIDAL, Pavel « La Inflación y el
Salario Real », Economics Press Service no. 6, IPS,
febrero de 2007, La Habana.
114 Idem.
115 En 2004, füt crée l?ALBA (Alternative
Bolivarienne pour les Amériques) sous l?impulsion du Venezuela. Cuba
füt un des premiers signataires. Elle vise à des échanges
solidaires entre les pays d?Amérique latine à fin de
développement social et structurel. Aujourd?hui 7 pays en font partie.
Par exemple Cuba envoi des médecins et des maîtres dans les
quartiers défavorisés du Venezuela, et ce dernier vend du
pétrole à Cuba à des tarifs
préférentiels.
116 EVERLENY PEREZ VILLANUEVA, Omar (compilador), Reflexiones
sobre la economía Cubana, Editorial de ciencias sociales, La
habana, 2006.
fait de la forte inflation, la confiance dans le Peso s?est
effritée, et une masse importante de dollars circulait dans la
population. En réponse à cette dollarisation de facto, les
autorités cubaines vont choisir de légaliser le dollar pour la
population mais également pour les entreprises, notamment pour celles
basées sur l?exportation, car le monopole du commerce extérieur
de l?Etat fut également supprimé.
Il est important de revenir sur la suppression du monopole du
commerce extérieur sur l?Etat. Evidemment Cuba a besoin d?exporter pour
pouvoir importer, du fait d?un faible développement du marché
interne, la crise ayant de plus entraînée une grave
pénurie. Mais comme l?avait souligné
Préobajensky117, durant la NEP en URSS, une des forces de
l?accumulation socialiste primitive contre l?influence de la loi de la valeur
était le monopole du commerce extérieur contre les vagues du
marché mondial. Cuba sans ce monopole serait donc plus sujet aux
attaques de la loi de la valeur. Ceci serait un thème plus
spécifique à traiter à travers les échanges
extérieurs cubains, mais qui pourrait nous en dire beaucoup sur la
supposée transition au socialisme à Cuba.
En 1994, les marchés libres paysans seront
également autorisés. Ils n?entraîneront pas la fin du
marché noir, mais permettront de faire diminuer les prix sur ce dernier.
Le travail à compte propre sera autorisé pour des
activités comme chauffeur de taxi, chambre d?hôtes... Les
Investissements Directs à l?Etrangers (IDE) seront également
autorisés, dans la limite d?une participation de 50% dans une
entreprise, l?autre partie étant conservée par l?Etat Cubain.
Dans l?agriculture aussi, des changements important ont eu
lieu, de nombreuses Fermes d?Etats ont été transformées en
Unité Basique de Production Coopérative (UBPC), et au
début des années 2000, une restructuration a eu lieu dans le
secteur sucrier, celui-ci n?étant plus le secteur le plus important de
l?économie cubaine. Les centrales les moins rentables ont
été utilisées à d?autres fins (diversification
agricole, reforestation).
117 PRÉOBAJENSKY, Eugène, La nouvelle
économique, Op.cit.
En ce qui concerne les UBPC, celles-ci, se forment donc sur
une base coopérative, différente tout de même des CPA
(coopérative de production agricole) existant à Cuba depuis les
années 1970. Au sein d?une UBPC, la terre reste propriété
de l?Etat, mais les moyens de production sont la propriété des
groupes de travailleurs, et elles sont basées sur l?autonomie
financière. La rémunération doit portée sur la
qualité et la quantité de travail. Il y a donc plus de souplesse
de décisions.
Une conséquence importante due à la crise et aux
réformes appliquées pour la résorber, est l?augmentation
des inégalités. En effet, Cuba avant 1989 était
considérer comme un des pays les plus égalitaires du monde. Les
différences entre les plus hauts revenus et les plus bas allaient de 1
à 4 voir moins selon certaines estimations. Au cours des années
1990 et en 2000 la différence est largement plus élevée,
de 825 à 1 en 1998 et de 12 500 à 1 en 2002118. Cette
augmentation provient surtout de la légalisation du travail à
compte propre qui permet à une certaines franges de la population
d?obtenir des revenus élevés, parfois en monnaie convertible
(voir infra), et également par la légalisation de l?envoi de
devises de l?étranger qui profitera à une certaine partie de la
population.
Nous avons assisté à des changements structurels
importants depuis le début des années 1990 à Cuba. Les
rapports marchands ont donc été largement augmentés dans
le système économique du pays. Mais la construction du socialisme
est toujours le but proclamé du pays, comme Raul Castro l?a
rappelé lors de son discours du 1er aout 2009. Ces rapports marchands,
l?utilisation plus ample de la loi de la valeur ont donc été une
nécessité pour la relance de l?économie, et pour le
moment, leur disparition et méme leur atténuation n?est pas
à l?ordre du jour, du fait que le rattrapage économique de la
période d?avant crise n?est pas tout à fait résolu et du
relatif isolement de Cuba au niveau international en tant que pays en
transition vers le socialisme.
Mais si l?on regarde l?ouverture au marché et à
la loi de la valeur, elle s?est plutôt réalisée sur
l?extérieur, l?étranger (fin du monopole du commerce
extérieur, IDE, tourisme) mais peu sur le plan intérieur. Bien
qu?il y ait l?ouverture des marchés agricole paysans, la
légalisation
118 MESA LAGO, Carmelo, Economía y bienestar social en
Cuba a comienzos del siglo XXI, Colibrí, Madrid, 2003.
du travail à compte propre, la création des
UBPC, ces mesures relèvent de la stricte nécessité, et la
reprise économique a surtout voulu être réalisé par
l?extérieur peut être au détriment de la revitalisation
interne de l?économie (laisser plus de place à la petite
exploitation paysanne privée, ainsi qu?à l?artisanat
privé).
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