D/ Rectification des erreurs et des tendances
négatives et désintégration de l'URSS
En 1986, Fidel Castro annonça le déclenchement
d?un processus nommé « rectification des erreurs et tendances
négatives » visant à répondre aux erreurs et aux
disfonctionnements survenus depuis la mise en place du SDPE. Par certains
aspects ce processus ressemble à celui de l?offensive
révolutionnaire, méme s?il a des racines différentes que
nous allons analyser ici. Ce processus de rectification eu des
répercussions sur le système de stimulants matériels. Mais
il n?eut que peu le temps de se mettre en place.
En 1989, le mur de Berlin tombe, et sonne le glas des
économies planifiées d?Europe de l?Est et de l?URSS. Avec la fin
des échanges au sein du CAEM, Cuba devient isolé et s?enfonce
dans une crise économique profonde. Nous reviendrons sur les
conséquences macroéconomiques et sociales de celle-ci.
1) La rectification des erreurs et tendances
négatives, un nouveau retournement au niveau de la stimulation
matériel et de l'utilisation de la loi de la valeur
a) Les causes de ce retournement
C?est lors d?un discours en 1986 lors du IIIème
congrès du Parti Communiste Cubain et au commencement du
troisième plan quinquennal que Fidel Castro annonça la mise en
place du processus de « rectification des erreurs et des tendances
négatives ». La raison fondamentale de ce retournement,
invoquée par celui-ci, est l?utilisation trop systématique de
stimulants économiques matériels pour les travailleurs
basée sur le profit pour les unités économiques, qui
dégrade la conscience socialiste, favorise les comportements
égoïstes et individualistes, corrompt les travailleurs et les
directeurs et dilue la ferveur révolutionnaire. La pensée de
Guevara est remise en haut de l?affiche, celui-ci serait éhonté
s?il verrait comment Cuba avait évolué au niveau de l?utilisation
des stimulants matériels.
« Le Che s'opposait radicalement à utiliser et
développer les lois et catégories marchandes capitalistes au
cours de la transition du socialisme. A un moment donné, quelques unes
des idées du Che furent interprétées et appliquées
incorrectement. Certainement, il ne se réalisa aucun essai
sérieux de les mettre en pratique et nous passâmes dans une
période dans laquelle des idées complètement
opposées à la pensées économique du Che
commencèrent à se faire dominante (...) Beaucoup des idées
du Che sont absolument d'actualité aujourd'hui. »108
108 F. Castro, « discurso en la ceremonia del 20 aniversario
de la muerte del Che Guevara » Granma revista Semanal, 18 de octubre 1987,
pp. 4-5. In C. Mesa Lago, « el proceso de rectificación en
Cuba: causas políticas y efectos económicos », revista
de estudios políticos, Madrid, N°74, octobre-décembre
1991, pp. 497-530.
Mais il n?y avait pas de réelle volonté de
supprimer les stimulants matériels mais tout au moins de limiter leur
application car leur nécessité paraissait tout de même
évidente. Fidel Castro citait les salaires excessifs en comparaison avec
le travail réellement effectué, les normes de travail trop facile
à remplir, ainsi que les primes pour dépassement du plan et les
« premios » très simple à obtenir. Ceci peut
être résumé par les paroles de Fidel Castro lors du
discours de clôture de la session différée du
troisième congrès du parti, le 2 décembre 1986 :
«Nous ne devons pas renoncer à l'idée
de rentabilité de l'entreprise ni à lJidée de calcul
économique? Je ne suis contre aucun de ses mécanismes ou
catégories, toujours, entendons nous bien, que c'est le travail
politique, le travail révolutionnaire, le sentiment des
responsabilité des cadres (...)qui peuvent rendre possible l'efficience
(...) Nous devons être (~]XPJ4es, I[IJest dans la sphère de la
production matérielle que nous devons utiliser ces mécanismes
économiques, mais comme moyens auxiliaires, comme instruments
auxiliaires du travail politique et révolutionnaire ».
On retrouve donc un discours, qui sans négligé
un réel calcul économique, privilégie le travail
politique, idéologique envers la population. Le but est de trouver une
sortie intermédiaire entre les erreurs «idéalistes» de
la période 1966-1970 et les «matérialistes» du SDPE.
Mais nous ne pouvons pas seulement nous concentrer sur un discours pour
expliquer ce phénomène.
Car outre ces facteurs purement idéologiques, d?autres
causes de nature économiques et politiques peuvent nous faire comprendre
ce changement de cap. D?une part, 1985 marque le début en Union
Soviétique de la Glasnost et de la Perestroïka, qui visent à
des réformes libérales tant au niveau politique
qu?économique et qui conduiront à la chute du régime
soviétique. Au Viêt-Nam également, des réformes
laissant plus de place au marché commencèrent à se mettre
en place. Dans les autres économies planifiées d?Europe de l?Est,
des réformes du même genre s?appliquèrent progressivement.
Cuba, dans ce courant, alla à contre sens et affirma (dans le discours)
son engagement dans la construction du socialisme.
D?autre part, et ceci est un facteur économique
déterminant pour expliquer le processus de rectification des erreurs,
Cuba avait depuis les années 1980 des problèmes au niveau du
paiement de sa dette externe, et dû suspendre son paiement en 1985. Suite
à cela, il fût interdit à Cuba d?emprunter sur les
marchés internationaux. Or, ces emprunts en devises permettaient
à Cuba de financer une grande partie de ses importations de biens
d?équipements et de consommation surtout qui étaient moins
fournis au sein du CAEM. Il aurait pu se produire le méme
phénomène qu?avant l?offensive révolutionnaire. Si l?on
continuait de donner des stimulants matériels, et qu?une pénurie
de biens de consommation commençait à se produire, il y aurait eu
une augmentation des liquidités dans les mains de la population ce qui
aurait augmenté le marché noir et les tendances inflationnistes
sur celui-ci. Déjà, dès 1984, le déficit commercial
augmenta à 155 % et les réserves internationales à
disposition diminuèrent de 21%109.
b) Les implications réelles du processus de
rectification
Mais quelles ont été les conséquences de
ce processus. Cela entraîna le retour à la centralisation et donc
la fin du SDPE, l?élimination progressive des stimulants
matériels. Ceux-ci sont de nouveau condamnés, ils auraient
été trop largement utilisés et auraient renforcé
les comportements égoïstes, individualistes.
A ce moment là, seront également
supprimés les marchés libres paysans qui avaient
été autorisés au début des années 1980. Les
paysans privés se devaient de vendre leurs excédents à
l?Etat (Acopio). La raison est due à l?enrichissement excessif
de certains paysans privés et de leurs intermédiaires. Les
revenus annuels pouvaient atteindre parfois 50 000 pesos. Pourtant, avant le
processus de rectification, certains économistes cubains vantaient les
mérites des fermes privées et des marchés libres car ils
alimentaient l?augmentation de la production, ainsi qu?une meilleure
stabilité, variété et qualité des produits et par
là une meilleure satisfaction des consommateurs en raison du faible
rendement des fermes d?Etat. Mais le danger était dans la formation
d?une nouvelle classe bourgeoise ou petite bourgeoise.
109MESA LAGO, Carmelo, « el proceso de
rectificación en Cuba », Op.cit.
Le processus de rectification des erreurs et tendances
négatives va aussi accélérer le mouvement des conversions
des fermes privées en coopératives commencé au cours des
années 1970. Nous assistâmes à partir de 1986, à
l?élimination de la construction privée de logement qui avait
été revigorée au début des années 1980,
là aussi afin de stopper l?enrichissement de quelques individus. Dans le
but de suppléer à cette interdiction - le logement étant
un problème récurrent depuis le début de la
révolution - les micros brigades basées sur le travail volontaire
furent revitalisées, ce qui permit de surcroît de lutter
partiellement contre le suremploi.
Dès 1986, 28 mesures furent approuvées. Celles
ci s?appliquèrent au début de 1987110 dont celles
évoquées précédemment. Celles-ci concernaient par
exemple, une augmentation des prix afin de réduire la consommation, de
limiter les importations et d?économiser des ressources pour
l?exportation. Les années 1986-1990 furent caractérisées
par un ralentissement économique important. Le Produit Social Global
(PSG) n?augmenta que de 0,4% tandis que la productivité baissa de 2,6%.
L?absentéisme au travail reconnu une forte augmentation. Ce
ralentissement économique ne vint pas des politiques du processus de
rectification selon Mesa-Lago, il serait du à la sécheresse,
à la pluie, à la dépréciation du dollar, à
la baisse du prix du sucre, du pétrole, ainsi qu?à la carence
d?aide extérieur en monnaie convertible.
Les mesures du processus de rectification, tiennent donc aux
changements d?ordre externes et internes. D?une part, Cuba commença
à être progressivement isolé, ne pouvant plus emprunter sur
les marchés internationaux, et les termes de l?échange avec
l?URSS et les pays d?Europe de l?Est se détériorant. D?autre
part, la constitution d?une classe aisée et de profiteurs au sein
même du pays, fruit de la politique appliquée depuis le SDPE
aurait pu aller à l?encontre de la construction du socialisme et du
pouvoir des dirigeants. Les mesures visèrent donc à restreindre
la part des activités marchandes et le recours aux stimulants
matériels, et renforcèrent la centralisation des
décisions. Mais aucun projet clair n?aboutit, et les
évènements de 1989-1991 dans le camp « socialiste » en
Europe, allèrent plonger Cuba dans une crise économique sans
précédent depuis la révolution.
110 Idem.
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