b) Réflexions sur la stratégie cubaine du
SDPE
Il ne fait pas de doute qu?en raison des échecs
économiques de la période de l?offensive révolutionnaire,
une plus grande décentralisation des décisions, le recours plus
important aux stimulants matériels et à l?utilisation de la loi
de la valeur furent nécessaires. Mais le retour à des rapports de
production capitalistes dans certains domaines ne fût pas
appliqué. Par exemple, redonner plus d?initiative privée pour les
activités artisanales et agricoles aurait pu, tout en exerçant un
contrôle adéquate pour l?accumulation du secteur planifiée,
accroître l?offre au sein du marché interne et peut être
limiter les importations.
Nous avons vu que le SDPE n?a pas été
appliqué d?une manière efficiente en raison de divers
problèmes internes et externes : Bureaucratie, ralentissement
économique, manque d?information et de contrôle des travailleurs
eux-mêmes. Les résultats en terme de productivité et de
développement des forces productives n?a donc pas été
satisfaisant. Nous avons mentionné que méme la direction pouvait
recevoir des primes. On se rappelle qu?en Chine, à un moment
donné, les primes étaient accordées seulement aux
travailleurs manuels, la direction devant servir d?avant-garde.
A travers les discours et les différents textes
écrits durant cette période, nous voyons qu?il est redonné
une importance forte au développement de la production. Mais
contrairement à ce qu?avait observé Charles Bettelheim en Chine
peu avant le grand tournant économique, nous ne pouvons pas dire que
seulement le discours sur le primat des forces productives existait. La
volonté de transformation de la conscience restait présente
à travers la pensée de Guevara. Ceci explique peut être
pourquoi Cuba n?a pas dérivé vers le type de développement
chinois jusqu?à cette heure.
Evidemment, la nécessaire réimplantation de la
loi de la valeur et des catégories marchandes à Cuba durant cette
période rendait également nécessaire une plus forte
utilisation de stimulants matériels. Mis à part le fonds de
stimulation et les primes, peu de cas a été fait du salaire aux
pièces qui aurait pu et aurait dû être appliqué
là où cela aurait été possible. L?on peut bien
sür voir ce refus dans la réticence des autorités et de la
population vis-à-vis de
ce type de rémunération. Il faut
également mettre en avant le fait qu?un écart s?était
formé entre les élites et les masses, la conscience des
contradictions de la période de transition n?était pas
forcément assez importante et empéchait l?application de mesures
adéquates.
Cela se voit dans le fait que la décentralisation des
décisions au niveau des entreprises qui devait s?opérer ne se fit
que partiellement, et les décisions revenaient surtout aux
gérants de l?entreprise comme en URSS. Mais la période reste
caractérisée par une forte centralisation comme le fait remarquer
Dario Machado Rodriguez104.
Les erreurs dans l?application de la planification et les
effets sociaux des limites du système étaient amortis durant
cette période (1972-1989), par le schéma des relations
économiques avec l?Europe de l?Est et l?URSS. Il y avait une assurance
pour les marchés des produits cubains, et Cuba recevait à moindre
coût de la technologie, des matières premières et du
combustible105.
Les difficultés économiques ont joué un
rôle il est vrai dans la mauvaise application du nouveau système
de direction économique. En effet, durant le premier plan quinquennal
(1976-1980), la productivité (valeur ajouté divisée par le
nombre d?employé) diminua dans l?industrie, - 2,9%, tandis qu?elle
augmentait dans l?agriculture de 6,3%106. De plus, la baisse du prix
du sucre au cours du premier plan quinquennal fût importante. Cuba
vendait, certes, une bonne partie de son sucre à l?URSS et aux pays du
CAEM à un prix supérieur au marché mondial, prix qui
augmenta durant cette période (30,40 cents la livre anglaise en 1975, 44
cents en 1980), mais la chute des prix sur le marché mondial ( 20,37
cents en 1975, 9,65 en 1979)107, diminua considérablement la
rentrée de Monnaie Librement Convertible (MLC), ce qui limita les
capacités d?importation du pays pour les produits que les pays du CAEM
ne produisaient pas pour l?exportation. Ceci montre également les
difficultés que peut entraîner la spécialisation dans un
produit primaire. Des maladies frappèrent l?agriculture, comme les
exploitations de tabac, et la grippe porcine sévit dans
l?élevage.
104 MACHADO RODRIGUEZ, Darío, Es posible construir el
socialismo en Cuba, Editora Política, La Habana, 2004.
105 Idem.
106 BRUNDENIUS, Claes, Revolutionary Cuba; the challenge of
economic growth with equity, Westview press,
Boulder, 1984.
107 Idem.
Pour conclure sur la période du SDPE, nous pouvons dire
que l?utilisation de la loi de la valeur et des stimulants matériels
augmenta dans le cadre du calcul économique, bien que ce ne fût
que dans une proportion limitée. Malgré des difficultés
économiques et la non application complète du nouveau
système de direction économique qui devait augmenter le
rôle des catégories marchandes, le niveau des forces productives
augmenta durant cette période à un rythme plus ou moins soutenu.
Ce développement a été possible grâce à
l?insertion de Cuba dans le CAEM qui a limité la mauvaise gestion du
SDPE et l?insatisfaisante proportion de catégories marchandes. Car, en
ce qui concerne les deux autres éléments déterminants, le
caractère des forces productives resta faible (malgré son
amélioration) et le pouvoir bureaucratique s?est consolidé
(malgré la création des organes de pouvoir populaire). C?est donc
l?amélioration de l?environnement internationale (élément
positif) de Cuba qui lui a permis une croissance soutenue.
Malgré une amélioration au cours du
deuxième plan quinquennal (1981-1985), de nouvelles difficultés
frapperont Cuba au milieu de la décennie et entraineront la fin du SDPE,
décidée par Fidel Castro. Le processus de la Perestroïka et
de la Glasnost en URSS entraînera la désintégration du bloc
de l?Est à partir de 1989 et une grave crise économique touchera
Cuba. Nous allons analyser ces deux aspects maintenant avant de nous
intéresser aux processus de transformation de l?économie cubaine
suite à la crise économique et son implication au niveau de la
politique des stimulants matériels et des catégories
marchandes.
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