b) Les difficultés encourues au cours de la
période de l?Offensive Révolutionnaire
Tout d?abord, les investissements dans l?industrie ainsi que
dans l?agriculture, ont été relativement élevés au
cours des années 1960. Il ne faut pas oublier de dire que la
priorité au vu du niveau de développement économique au
début de la révolution, ft l?industrialisation rapide du pays,
afin d?accroître les forces productives dans un laps de temps
réduit, tout en diversifiant l?agriculture pour ne plus être
dépendant des exportations de sucre et pouvoir substituer des
importations. Très rapidement, cette politique s?est
avérée difficile à mettre en place, tant au niveau de
l?industrialisation que de la diversification de l?agriculture.
Cuba est donc revenu à la spécialisation
sucrière, aidé par les accords cubano-soviétiques de 1964,
à travers lesquels l?URSS s?engageait à acheter du sucre cubain
jusqu?en 1970 à un prix fixé à l?avance. Le
développement du secteur sucrier devait être la base du
développement de l?industrie.
Comme il a été exprimé
antérieurement dans cette exposition, malgré l?existence de deux
systèmes de planification au cours des premières années de
la révolution, du manque de personnels qualifiés au niveau
techniques et scientifiques, et des résultats économiques peu
encourageant, les politiques sociales ont permis une amélioration
notable du bien-être de la
population, et la productivité du travail a
augmenté, bien que faiblement. La meilleure augmentation de la
productivité a eu lieu en 1964, avec une hausse de 5 à
6%83. Mais à partir de 1965 jusqu?à 1970, celle-ci va
décliner, et le taux d?augmentation de la période 1960-1970 sera
seulement de 0,4%.
Ce déclin de la productivité du travail peut
facilement être imputé à la moindre place des stimulants
matériels à partir de 1966, à leur élimination en
1968, à une direction économique trop centralisée,
à la suppression des normes de travail et à toutes les mesures
qui ont réduits considérablement le rôle de la loi de la
valeur. Ces premiers ont peut être été sous estimés
en raison d?un idéalisme et d?un dogmatisme idéologique mais
comme nous l?avons remarqué, aussi pour ne pas accroître les
liquidités monétaires dans les mains de la population. De plus,
nous pouvons penser qu?au bout de quelques années l?enthousiasme
révolutionnaire allait en s?affaiblissant, en raison d?un non
développement de stimulants moraux adéquats ainsi qu?à
cause d?une offre réduite de biens de consommation en direction de la
population, ce qui entraîna un fort taux d?absentéisme au travail.
Les travailleurs n?ayant pas besoin de plus d?argent, ils ne venaient plus
travailler à partir d?un certain moment dans le mois. En effet, depuis
la révolution les salaires ont été augmentés
sensiblement, mais ceux-ci ne pouvaient pas être dépensés
de façon efficiente.
En raison du déclin de la productivité mais pas
seulement, les résultats économiques à partir de 1965, se
sont détériorés. Par exemple, le plan sucrier signé
avec l?URSS, n?a été accompli qu?une seule fois, en 1965. Les
fois suivantes, les exportations de sucre ont été
inférieures à ceux fixés dans le plan. Un objectif majeur
que s?était fixé les autorités cubaines au milieu des
années 1960, était de produire 10 millions de tonnes de sucre
pour l?année 1970. Mais pour diverses raisons, entre autres la politique
de stimulation des années 1966-1970 et la trop faible
mécanisation de la coupe de la canne à sucre, et malgré un
nombre très élevé de travailleurs mobilisés (1
million), l?objectif ne fût pas atteint. Cela a été
ressenti comme un échec, bien que ce ft l?année où la
production de sucre fût la plus élevée de toute l?histoire
de Cuba. La récolte fût de 8,5 millions de tonnes. La forte
concentration de ressources sur cette Zafra a également
entraîné une moindre attention sur les autres secteurs de
l?économie, et a donc accru les difficultés économiques du
pays.
83 RODRIGUEZ, José Luis, Estrategia del
desarrollo económico en Cuba, Op.cit.
René Dumont, agronome Français, fît
plusieurs visites à Cuba et fût sollicité par Fidel Castro
pour lui fournir ses observations. Celui-ci préconisait dès le
début de la révolution la création de coopératives
de production agricoles de taille assez modeste et autonomes84 et
s?affichait clairement en faveur de l?autonomie financière des
entreprises tout du moins dans l?agriculture.
« L'autonomie financière eût permis de
sanctionner l'efficience du groupe de travailleurs dont la
rémunération auraient été directement liée
à leur productivité »85.
Pour lui, il était prouvé que la conscience
révolutionnaire moyenne n?atteignait pas le niveau requit pour une
structure aussi étatisée, car il voyait dans le manque
d?efficience et l?absentéisme de certains travailleurs le fait que des
structures sans stimulants matériels aient été
établies.
La voie prise par Cuba au moment de l?offensive
révolutionnaire ft réellement précipitée. Des
rapports de production trop élevés et socialisés ont voulu
être mis en place alors que la structure des forces productives et la
conscience des masses n?était pas assez développée pour
que ceux-ci puissent pousser de l?avant ces derniers. Une volonté trop
affichée, trop pressée de vouloir supprimer au plus vite les
catégories marchandes au sein de l?économie était
caractéristique de cette période. Bien qu?il faille rejeter le
lien mécanique entre rapports de production et forces productives, les
rapports de production établis lors de l?offensive
révolutionnaire étaient un frein au développement des
forces productives, bien qu?une plus forte participation des travailleurs au
processus de décision (plan, organisation du travail) aurait pu limiter
la dégradation économique. Une amélioration de
l?environnement international de Cuba aurait permis également une
croissance plus soutenue.
On pourrait également reprendre Préobajensky et
dire que le secteur socialiste n?était pas passé par une phase
d?accumulation primitive, qui pour lui pouvait durer un temps relativement long
surtout dans un pays arriéré au niveau économique.
84 DUMONT, René, Cuba est-il
socialiste, Seuil, Paris, 1970. 85Idem.
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