2) Stimulation matérielle et importance de la loi de
la valeur au début de la révolution cubaine
a) La stimulation matérielle au sein des deux
systèmes de planification
Au niveau de l?incitation au travail, les deux systèmes
ont appuyé leurs revendications. Nous voyons que dans l?agriculture, des
systèmes de salaire aux pièces et de récompenses
matérielles ont été mis en place, bien que dans une mesure
faible. Dans le secteur industriel, l?accent a été mis sur les
stimulants moraux à travers des récompenses honorifiques
(médailles, drapeaux..) distribuées par la CTC (Centrale des
Travailleurs Cubains) ainsi que par les discours des leaders qui sont là
pour encourager le peuple à l?effort de création de la
société socialiste. Il existait également des incitations
monétaires au sein du secteur industriel, des bonus pour le
dépassement des normes, mais aussi des malus pour le non accomplissement
de celles-ci. Si un travailleur n?accomplissait que 90% de la norme de
production, il perdait 10% sur son salaire, mais s?il dépassait de 10%
la norme,
76 MESA LAGO, Carmelo, «ideological, political
and economics factors in the Cuban controversy on material versus moral
incentives», Op.cit.
l?augmentation de son revenu ne correspondait qu?à la
moitié du dépassement (ici 5%), mais sans dépasser le
niveau du degré supérieur de l?échelle salariale. Ce type
de stimulant matériel correspondait à la vision de Guevara en ce
qui concerne la formation professionnelle.
Cette période fût donc une période de
tâtonnement (ce qui peut caractériser toute l?histoire de la
révolution cubaine), tant sur le plan de la politique économique
(planification) que sur celui plus particulier de la stimulation. Mais
n?oublions pas de souligner que beaucoup d?autres choses ont été
faîtes à ce moment là et qui ont une importance pour notre
raisonnement, telles que l?augmentation significative des salaires,
l?abaissement du prix des loyers et l?instauration du système de
rationnement entre autres.
b) Recherche d?explication sur l?entrée de Cuba dans
la période de transition
La priorité du nouveau pouvoir cubain dès son
introduction, fût donc la mise en place de la réforme agraire (la
1ère de 1959 était seulement une distribution des
terres aux paysans, avec peu de remise en cause de la propriété
privée, presque 70% des terres restant aux mains de producteurs
individuels), l?amélioration du sort de la population (à travers
l?augmentation des salaires et les mesures déjà décrites),
ainsi que l?industrialisation rapide du pays afin de développer les
forces productives. Les rapports de production avancés mis en place en
1961 avec les nationalisations et en 1963 avec la deuxième
réforme agraire allaient faire de Cuba, le pays à économie
planifiée dont l?Etat disposait le plus des moyens de production.
La volonté d?une industrialisation poussée,
malgré que le pays fut arriéré économiquement est
expliqué dans ces termes par José Luis Rodriguez :
« Dans les pays ou triomphe la révolution
socialiste, qui ont un niveau de développement des forces productives
élevé, le processus de création de la base
technico-matérielle du socialisme consiste dans la socialisation, la
reconstruction et la réorganisation socialiste des moyens de production,
à travers le perfectionnement de l'appareil productif
hérité, l'application intensive de la technique(...) Or dans un
pays à faible niveau de développement des forces productives, le
processus de création de la base technico-matérielle
signifie
l'industrialisation socialiste laquelle consiste en essence
à la croissance accélérée de
l'économie nationale, à partir du
développement de la grande industrie socialiste et de l'application
massive de la technique dans toute les branches de
l'économie77 ».
Durant cette période, on assiste donc à la
nationalisation de toute la grande industrie au cours de ce que l?on peut
appeler une réelle lutte de classe entre le pouvoir
révolutionnaire soutenu par le peuple et la bourgeoisie cubaine et
impérialiste (nord américaine notamment). Au niveau de
l?agriculture, après la deuxième réforme agraire, l?Etat
contrôlait 60,1% des terres c'est-à-dire une relative forte
proportion. L?état agricole du pays a facilité la mise en place
de la collectivisation, plus « facile » à entreprendre qu?en
URSS par exemple, du fait de la structure du prolétariat rural avant la
révolution78.
Quasiment 50% de ce prolétariat travaillait dans le
secteur sucrier, cumulaient de longues périodes de chômage
forcé du fait d?un nombre élevé de travaux saisonnier. Il
était donc assez détaché de la terre, de la
propriété et la situation des petits paysans propriétaires
était peu enviable. Leurs revendications allaient plutôt dans le
sens d?obtenir un revenu décent et une amélioration des
conditions de vie.
D?un autre côté, les petits commerçants
restaient autorisés. On peut donc dire que l?économie cubaine
à ce stade essayait de transiter progressivement en laissant une part
relativement importante aux éléments marchands,
c'est-à-dire à la petite production agricole, à
l?artisanat, et à l?influence relative de la loi de la valeur dans le
secteur dirigé par l?INRA.
77 RODRIGUEZ, José Luis, Estrategia del
desarrollo económico en Cuba, Op.cit.
78Cf. GUTELMAN, Michel, L'agriculture
socialisée à Cuba : enseignements et perspectives, Maspero,
Paris, 1967.
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