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Chroniqueur culturel à  la télévision : un journalisme de marque

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par Benjamin Walter
CELSA - Paris IV Sorbonne - Master 1 Journalisme 2010
  

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3) Le plateau télévisé comme théâtre des marques

Il est évident que la télévision met en scène, ne serait-ce que dans la simple disposition du plateau télévisé. C'est sûrement dans On n'est pas couché55 que l'idée de Patrick Tudoret prend toute sa force : « il y a tribunalisation du plateau de télévision à l'heure de la surtélévision »56. Dans l'émission de seconde partie du samedi soir de France 2, le plateau prend la forme d'une arène où les invités vont s'assoir sur un fauteuil pris en tenailles entre les autres invités et les chroniqueurs Zemmour et Naulleau :

 

57

Une géographie du plateau qui va de pair avec le ton de polémiste de ses deux chroniqueursmarques, Eric Zemmour et Eric Naulleau. Une fonction de tribunal inhérente à l'histoire du média télévision selon Christophe Ono-dit Bio :

« Les plateaux télé ressemblent beaucoup à une arène. C'est la partie cirque romain qu'il y a toujours eu à la télévision. »58

Après avoir montré que ce qui participe d'une marque pour un chroniqueur est sa personnalité, on
peut facilement discerner le rapport fonctionnaliste de la télévision. Les émissions de chroniqueurs
sont ainsi le plus souvent hétéroclites et rentabilisent à fond chacune de leurs marques, procédant

55 Emission diffusée sur France 2 le samedi vers 22h50 et présentée par Laurent Ruquier.

56 « La surtélévision, c'est quoi ? » in Médialogues, Radio Suisse Romande, émission du 29 septembre 2009.

57 On n'est pas couché (France 2) : émission du 6 octobre 2007

58 Cf annexe 1, entretien avec Christophe Onon-dit-Bio, pp 41-42.

souvent à des conflit, ou « clash ». Isabelle Poitte continue de disséquer le Grand journal et en tire cette conclusion :

« A chaque chroniqueur sa fonction. A Ariane Massenet le rôle de faire-valoir décomplexé, à Ali Baddou, agrégé de philo et animateur à France Culture, l'érudition qui rassure les intellectuels, à Mouloud Achour les cultures urbaines (la caution « jeune »)... Et, pour lier le tout : un Michel Denisot passe-plat, lisse et poli comme il se doit. »59

On peut donc clairement parler de mise en scène de personnages, de créations de marques de chroniqueurs au sein même de la dramaturgie de l'émission. C'est ce que Patrick Tudoret définit comme étant la dimension prométhéenne de la télévision :

« Un des éléments de la télévision, c'est qu'elle a une dimension prométhéenne, la télé usine, formate, ses propres créatures, à la fois auteur et chroniqueurs »60

Le même Tudoret de s'attaquer avec rancoeur aux « juges improvisés, érigés en critiques »61. Mais qui « érige » ces marques de chroniqueurs-critiques ? Difficile alors de dire si la marque se crée elle-même ou si elle est réduite à sa simple utilisation par le média télévision. Pour Jean-Jérôme Bertolus, il y a des deux, la télé crée la marque et la marque demande à la télé de l'entretenir :

« Les marques sont mises en scènes par le réalisateur, le producteur mais vous aussi si vous êtes une marque, vous allez demander à être mis en scène. »62

L'émission arrivera aussi à s'approprier les clivages entre marques. Clivages qui ne sont que de
façade. Le bon et le méchant n'étant que deux rôles d'une pièce de théâtre, celle de l'émission

59 POITTE Isabelle, « Le grand journal ? Météo, promo, dodo » in Télérama n°3143, 8 avril 2010.

60 « La surtélévision, c'est quoi ? » in Médialogues, Radio Suisse Romande, émission du 29 septembre 2009.

61 TUDORET Patrick, L'écrivain sacrifié : vie et mort de l'émission littéraire, Bord de l'eau, Paris, 2009, p 170.

62 Cf annexe 2, entretien avec Jean-Jérôme Bertolus, pp 43-44.

culturelle. Jean-Jérôme Bertolus poursuit son analyse :

« Si on applique le concept de marque commerciale à un journaliste, qu'il soit pour, qu'il soit contre, qu'il soit dans le sourire comme PPDA, qu'il soit dans l'agressivité comme Naulleau, si on considère tout ça du point de vue des marques, ça veut dire en fait qu'elles s'annulent. On peut être dans la critique, on peut être dans la complaisance, à partir du moment où l'on respecte le principe premier de la télé qui veut qu'on soit une marque, dans quelque registre que l'on soit, on est tellement fédérateur qu'au final, ça revient au même. »63

La marque ne serait donc qu'un rôle participant du système. On peut donc dire qu'il y a une marque « anti-système ». Le risque étant que les chroniqueurs s'enferment dans une vision simpliste et archétypale de leur marque, de leur personnalité. Ce risque, c'est celui de « sublimation »64 pour reprendre le concept politique de Bernard Lamizet, pour qui un homme politique va se prendre en compte comme l'un des protagonistes de l'histoire qu'il raconte et ainsi intégrer dans son propre comportement public un rôle qu'il n'avait pas au début :

« Les acteurs de l'événement se pensent eux-mêmes comme les acteurs de l'histoire qu'ils évaluent dans leur intervention ... On peut parler, dans ces circonstances, de sublimation des acteurs de l'événement, à la fois dans l'image qu'ils se font d'eux-mêmes, dans leur propre pratique, et dans leurs relations avec les autres. »65

En intégrant à son discours l'image de marque qu'il voudrait avoir, un chroniqueur-marque cherche
à « affirmer sa propre personnalité, [...] et accéder à une forme de célébrité » selon l'auteur

63 Cf annexe 2, entretien avec Jean-Jérôme Bertolus, pp 43-44.

64 LAMIZET Bernard, Sémiotique de l'événement, Lavoisier, 2006, p 116.

65 Ibid.

britannique David Lodge66. Il faudrait tout de même relativiser en notant que ce duel entre marques de chroniqueurs culturels vendues comme antagonistes existe depuis bien longtemps. Christophe Ono-dit-Bio confirme :

« La télévision a toujours créé des personnages. Souvenez-vous de Michel Chevalet, des frères Bogdanov, Antoine de Caunes ... Il n'y a pas d'enfermement, aujourd'hui on est tous polyvalents. »67

A la radio, l'émission qui fit triompher l'idée de faire s'affronter des chroniqueurs culturels a toujours été Le Masque et la Plume. Ainsi, Jean-Claude Raspiengas, pas encore chroniqueur, se souvient :

« Au fil du temps, Georges Charensol et Jean-Louis Bory, le réactionnaire et l'affranchi, comparses de comédie, s'installèrent dans notre univers, peuplèrent de leurs querelles l'habitacle de la voiture. La voix grave de l'un, vite outrée, les emportements aigus de l'autre, farfadet provocateur qui attirait les rieurs de son côté, figuraient un théâtre familier dont les objets de dispute nous demeuraient opaques. »68

Certes, il s'agissait là d'un rôle, d'un théâtre, mais à la nature visible au premier coup d'oeil. Les faux affrontements étaient présentés dès le début comme surjoués. Aujourd'hui, la démarche est devenue commerciale et relève d'une conception égotique de mise en valeur de soi aux ressorts cachés. Aujourd'hui, être une marque c'est donner l'illusion d'un personnage de la manière la plus réaliste et non, comme à la grande époque du Masque et de la Plume, avec une certaine dérision. On en revient à l'idée de Patrick Tudoret du plateau télévisé comme lieu de « la réalité mise en scène »69. C'est peut-être pour cette raison que l'on se souvient plus des chroniqueurs de cette époque, moins interchangeables qu'aujourd'hui, moins uniformisés.

66 LODGE David, Les quatre vérités, Pocket, 2006, p 163.

67 Cf annexe 1, entretien avec Christophe Ono-dit-Bio, pp 41-42.

68 GARCIN Jérôme et GARCIA Daniel, Le masque et la plume, 10/18, 2005, p 273.

69 « La surtélévision, c'est quoi ? » in Médialogues, Radio Suisse Romande, émission du 29 spetembre 2009.

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