2. Ressources naturelles et énergie
Une question d'ordre de grandeur...
La population humaine sur terre a été
multipliée par un facteur 100012 depuis le début du
néolithique - environ 10 000 ans-, tandis que la quantité moyenne
d'énergie consommée par Çterrien>> a
été multipliée proche de 10 depuis 1880 13. La
quantité globale d'énergie consommée par l'humanité
depuis la fin du néolithique a ainsi été multipliée
par plus de 10 000. Or, l'énergie en physique est la grandeur qui
caractérise un changement d'état dans un système. Ainsi,
dire que l'Homme a augmenté sa consommation d'énergie, ça
n'est rien d'autre que de dire qu'il a augmenté la pression globale
qu'il exerce sur son environnement.
a. Relativité, renouvelabilité et
épuisement d'une ressource
Nous rejoignons François MANCEBO sur l'idée qu'
Çune ressource n'existe pas dans l'absolu, qu'ilfaut
qu'elle ait été affectée de valeur et soit susceptible
d'usage >>. Pourtant, la dépendance à une ressource
-en termes de rythme de prélèvement et de quantité -
expose une société à un risque majeur dès lors que
cette ressource n'est plus disponible. Distinguons trois cas:
· Soit que le stock de cette ressource se trouve en
quantité finie - non renouvelable - et que son l'épuisement
arrive à échéance,
· Soit que le rythme de prélèvement d'une
ressource renouvelable soit trop élevé, ou que sa qualité
soit affectée au point de mettre en péril son
prélèvement même,
· Soit que l'utilisation de cette ressource induise des
effets non intentionnels et non Ç maitrisables >> de nature
à engendrer des processus dommageables pour ladite
société.
En réalité, dans les trois cas, deux points sont
à noter :
- Pour un système économique fondé sur le
marché et la croissance14, le problème de
disponibilité de la ressource ne se pose pas au moment de
l'épuisement concret de la ressource, mais bien aux alentours de son
Çpic de production >>15. En effet, la croissance de la
demande se heurtant à la stabilisation ou au déclin de la
production, la valeur marchande de cette ressource augmente de manière
exponentielle16, par delà des considérations
liées au contexte politique et spéculatif. Autrement dit, sa
disponibilité économique diminue fortement et brutalement,
induisant
1 2 Source : musée de l'Homme
13 Source : compilation de Jean Marc JANCOVICI
14 Très largement majoritaire dans le monde.
15 En effet, toute courbe de production dont l'intégrale
est constante passe forcément par un maximum, selon le
théorème dit des Ç intégrales bornées
>>.
16 En théorie, car les effets à courts termes
induits par cette inflation peuvent modifier radicalement le système
économique en présence.
potentiellement ce que nous appelons encore « crise »,
si une ressource de substitution n'est pas disponible.
- La question de l'anticipation des effets de la
non-disponibilite de la ressource de dependance est fondamentale, puisqu'une
fois en situation de « crise », la recherche de solutions
substitutives à ladite ressource est rendue nettement plus delicate,
voire impossible17. On voit donc que si l'on ne s'impose pas de
traiter le « probleme » en amont, celui-ci se regle de lui meme, par
une « crise », potentiellement tres profonde et dramatique.
b. Déplétion des ressources
énergétiques fossiles
Les energies fossiles (petrole, gaz, charbon) representent
pres de 80% de l'energie primaire consommee dans le monde (nucleaire
exclu18). Or, comme nous l'avons vu, ces ressources
energetiques19 sont en quantite finies, et connaitront
necessairement un maximum de consommation, ainsi que le geologue Marion King
HUBBERT l'a montre à propos du petrole dans les annees 60. Le petrole
est la première de ces energies fossiles en termes de consommation (plus
de 40% en 2009). D'apres les donnees fournies par l'Agence Internationale de
l'Energie, l'ASPO20 et les compagnies petrolieres elles -mimes, le
pic de production petroliere mondiale se trouve quelque part entre 2006 et
2015, certains21 evoquant jusqu'à 2020. La consommation
mondiale fluctuant aujourd'hui aux alentours de 85 millions de barils/jour
(Mb/j), le pic serait estime entre 90 et 115 Mb/j. L'imprecision de ces
estimations est liee aux tres grands nombres de parametres22 ainsi
qu'à l'opacite relative regnant sur les donnees.
Par ailleurs, en elargissant aux autres energies
fossiles23, on peut considerer avec Jean Marc JANCOVICI que
l'humanite passerait par un pic energetique mondial - toutes energies fossiles
confondues - aux alentours de 2050. 24
c. Surabondance des ressources
énergétiques fossiles
Pourtant, nous l'avons vu, notre combustion massive de carbone
fossile induit un rechauffement climatique tres preoccupant. Ainsi, Jean Pierre
DUPUY25remarque que l'expression « il y a deux maux qui
menacent aujourd'hui l'humanité : le réchauffement climatique et
la raréfaction des ressourcesfossiles » est « une
faute logique, car si l'on croit au réchauffement climatique, il n'y a
pas rareté mais surabondance des ressources fossiles ». Nous
aurions ainsi « trois fois trop de ressources fossiles » si
l'on se refere au seuil de « 3°C d'augmentation à
la
1 7 Selon l'importance relative de la ressource pour
le fonctionnement du systeme social.
18 Plus de 90% si l'on ajoute l'uranium, lui aussi en
quantite finie...
19 Ce qui nous interesse etant plutô t la part
extractible du stock.
20 Association for the Study of Pic Oil&Gas
21 Toujours moins nombreux, voir le rapport World
Energy Outlouk 2009 de l'AIE et les controverses à ce sujet.
Voir egalement le rapport Saving Oil in a Hurry, publie par l'AIE
en 2005, et les travaux de R. HEINBERG ou Y. COCHET.
22 Notamment s'agissant des possibilites
d'exploitation des celebres sables et schistes bitumineux, au rendement
energetique necessairement tres faible et induisant des impacts
environnementaux tres importants par ailleurs.
23 Pour le cas d'un transfert de la consommation de
petrole vers le gaz et le charbon.
24 En outre, on peut confronter ces dates avec les
positions de la plupart des physiciens liees au projet de fusion nucleaire
ITER, qui estiment que la fusion nucleaire ne pourrait étre exploitee
avant la deuxième moitiee du XXIeme siècle, et evoquant
plutôt la fin du siècle.
25 Conference à l'IAP, 6 fevrier 2007 et
« La menace écologique, un défi pour la
démocratie», Revue du MAUS permanente, 14 octobre 2009.
fin du siècle >>. Et d'ajouter :
<<le marché ne peut rien à cela, le marché
fonctionne sur la rareté, or il s'agit d'une surabondance de
ressourcefossile >>.
Nous sommes ainsi confrontés à la
<<double tenaille >>26 que constituent le
réchauffement climatique et la déplètion des ressources
fossiles.
d. Déplètion et
surexploitation
Par ailleurs, d'autres matières premières du
sous-sol - les métaux notamment - déplètent ou
déplèteront, fatalement. En outre, nous assistons
à une surexploitation des ressources potentiellement renouvelables qui,
à l'instar des ressources halieutiques, sont prélevées
à un rythme supérieur à leur taux de renouvellement, ce
qui conduit à diminuer le stock, parfois jusqu'à leur
épuisement.
e. Ressource, recyclage et entropie
Comme l'a montré Nicholas GEORGESCU-ROEGEN,
économiste roumain dont la pensée fut introduite en France par
Jacques GRINEVALD, le deuxième principe de thermodynamique27
appliqué à l'économie révèle la
dégradation irréversible de l'énergie et de la
matière, c'est-à-dire l'entropie. Par exemple, les
matières premières utilisées pour la construction des
ordinateurs sont disséminés à travers toute la
planète et il devient quasiment impossible de reconstituer les minerais
d'origine. Quant à l'énergie utilisée pour leur
fabrication, elle est dissipée à jamais. Il déduit de ce
principe qu'une << croissance économique infinie est
impossible dans un monde fini>> et publie en 1978 un ouvrage traduit
par GRINEVALD sous le titre Demain la décroissance : entropie,
écologie, économie.
Herman DALY utilisera les travaux de ROEGEN sans les
prolonger, à travers le paradigme de la
durabilitéforte28 qui soutient que le stock de
capital naturel ne doit pas baisser, capital naturel et artificiel étant
complémentaires et non substituts.
f. Dégradation, accès à la
ressource et destruction des services écologiques
D'autres ressources, tel que l'air mais surtout l'eau sont
rendues inutilisables par l'altération de leur qualité et
provoquent des effets sanitaires tragiques29. << L'eau
insalubre tue plus d'étres humains que toutes les formes de violence, y
compris la guerre >>30. En maints endroits,
l'accès à certaines de ces ressources, parfois
considérées comme des biens communs, s'est vu restreinte ou a
même disparu pour certains habitants,
2 6 Expression de Claude Mandil, alors directeur de l'AIE.
27 Énoncé pour la première fois par Sadi
Carnot en 1824. Celui-ci établit l'irréversibilité des
phénomènes physiques, en particulier lors des échanges
thermiques. << Toute transformation d'un système
thermodynamique s'effectue avec augmentation de l'entropie globale incluant
l'entropie du système et du milieu extérieur. È
28 En opposition à la durabilité faible des
néoclassiques (notamment Hartwick, 1977). Notons qu'il s'agit dans les
deux cas d'une référence au développement
durable.
29 La mauvaise qualité de l'eau est responsable de la mort
d'1,5 millions d'enfants chaque année, selon les Nation Unis.
30 Déclaration de Ban Ki Moon à l'occasion de
l'ouverture de la 17ème journée mondiale de l'eau, le 22 mars
2010.
comme l'a décrit Vandanna SHIVA dans La guerre de
l'eau ou Garett HARDIN dans son article sur La tragedie des biens
communs.
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