II . La voie de décroissance
Comme le note Raphael LARRERE << le paradoxe de la
globalisation È réside en ce qu'un Ç
catastrophisme (éclairé) au niveau global coexiste avec un
optimisme (raisonné) au niveau local >>. Alors qu'au niveau
global, l'approche systémique de l'environnement - celle de
l'écologie classique synthétisée par les frère Odum
(1953)- confère à l'homme une place de <<perturbateur
>>, on découvre qu'un mode de vie soutenable au niveau local est
possible dès lors qu'on fait << bon usage de la nature
>> (LARRERE, 1997).
Ainsi, en réponse à l'analyse de l'effondrement,
l'hypothèse de la décroissance permet d'espérer changer
par anticipation un avenir probable subi. Il s'agit de choisir de
<<se détourner de la fascination des ruines
>>120 en envisageant une
<<métamorphose>> (MORIN, 2007).
Ainsi, le paradigme mobilisé à travers le
diagnostic de l'effondrement a déjà largement permis d'entrevoir
la pensée de la décroissance, une métamorphose par le
dépassement du développement. Nous essayerons d'en dresser
grossièrement les contours dans le paragraphe suivant.
A. La décroissance : de la bombe sémantique
à l'utopie concrete
1. Eléments de définition : contours d'un
concept-nébuleuse
a. Statut et sens
La décroissance est d'abord présentée par
ses tenants comme un <<slogan>> (LATOUCHE, 2006), un
<<mot-obus>> (ARIES, 2005), <<une bombe
sémantique>> (CHEYNET, 2008) mettant en cause <<
l'économisme >>, le << croissancisme
>>, et la marchandisation de la nature et des rapports humains. Selon le
qualificatif qu'on lui adjoint - << soutenable >>,
<< conviviale >>, <<équitable
>>... - celle-ci prend des significations différentes. Il
s'agit donc d'une courant de pensée en forme de nébuleuse.
La pensée de la décroissance s'inscrit dans la
double filiation du paradigme écologiste et de la critique du
développement et de la société de consommation.
Le point de départ est ainsi tout autant l'idée
que la société de croissance n'est pas soutenable, mais encore
qu'elle n'est pas souhaitable, au sens oü elle ne permettrait pas
l'épanouissement de l'individu et l'harmonie sociale. Il s'agit bel et
bien de considérer que ces deux volets sont en fait
intrinsèquement liés.
Mais si le sens premier de la décroissance se
réfère à celle du Produit Intérieur Brut, Serge
LATOUCHE nous met en garde : <<la décroissance
préconisée pour elle-mFjme serait absurde ; mais à tout
prendre, cela ne le serait ni plus ni moins que de prôner la croissance
pour la croissance... Le mot d'ordre de la décroissance a surtout pour
but de marquer l'abandon de l'objectif de la croissance illimitée,
objectif dont le moteur n'est autre que la recherche du profit par les
détenteurs du capital avec des conséquences désastreuses
pour l'environnement et pour
1 2 0 Jean Claude Besson Girard, <<Malaise dans
l'effondrement >>, Entropia, n°7, automne 2009
l'humanité >>121. Ainsi, de son
aveu même, << il faudrait mieux parler
Çd'a-croissance È comme on parle d'athéisme
>>. Il s'agit donc de remettre en cause << l'indice
fétiche que constitue de le PIB >>.
b. Choisir ou subir la décroissance
Par ailleurs, pour la plupart de ses tenants, la
décroissance, si elle n'est pas choisie, sera nécessairement
subie, car elle serait inéluctable. L'alternative, <<au temps
des catastrophes>> (STENGERS, 2008), est donc <<
décroissance ou barbarie>> (ARIES, 2005).
Ainsi, pour Yves COCHET, la décroissance est
<<la néces sité biophysique de réduire les
mouvements et les consommations de matière et d'énergie
>>. La décroissance soutenable a ainsi pour objectif premier
de faire diminuer équitablement l'empreinte écologique globale
afin de la ramener à un niveau soutenable. Il s'agit également
d'anticiper le pic de Hubbert pétrolier afin d'envisager sereinement une
société de l'après-pétrole.
c. Bonheur et décroissance
Un lien avec le bien-être et le bonheur est souvent
établi122, suivant le slogan <<moins de bien, plus
de lien >>, notamment en ce qu'une société de
décroissance induirait une augmentation de la convivialité au
dépend des consommations matérielles. Son but est Ç
une société olt l'on vivra mieux en travaillant et en consommant
moins mais mieux>>123. La décroissance s'inspire
ainsi de la simplicité volontaire - individuelle ou
micro-collective- pour envisager une <<sobriété
heureuse >>124.
d. Les indicateurs, entre outils et
dérives
En outre, le recours à des indicateurs alternatifs au
PIB pour (re)construire une société de la décroissance,
qu'il s'agisse de l'Empreinte Ecologique, du Produit Intérieur Doux des
québécois, de l'Indice de Progrès Véritable (IPV)
est préconisé par la plupart des partisans de la
décroissance. Mais il existe un relatif consensus autour de
l'idée formulée par Patrick VIVERET : <<le droit
à compter autrement a pour but de défendre le droit de ne pas
compter >>. Ainsi, quand bien même existerait-t-il un
indicateur miracle capable de mesurer le bonheur ou le bien-être,
l'objectif obsessionnel de tout mettre en Ïuvre pour le faire croitre
serait de fait une rechute dans l'imaginaire de la rationalité
instrumentale et quantifiante, mouvement évidemment
absurde.
1 2 1 Petit Traité de la Décroissance
sereine, 2004, Mille et une nuits, p.20 -21.
122 D'ailleurs le colloque annuel 2009 de la CIPRA ayant pour
titre << La croissance à tout prix? È avait pour
sous-titre << Les Alpes à la recherche du bonheur.
È
123 Serge LATOUCHE, Petit traité de la décroissance
sereine, op.cit. p. 22. Cela correspond assez bien à ce qu'André
GORZ appelait la << rationalité écologique
>>.
124 Expression utilisée dans un sens proche par Patrick
VIVERET et Pierre RHABI, ce dernier parlant également de <<
décroissance conviviale.>>
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