3. Démesure et crise environnementale: limites
physiques et symboliques de la nature
Pourtant, cette démesure se heurte à la finitude
de notre environnement biophysique. Des limites physiques sont ainsi en train
d'être franchies, quand bien même un certain paradigme techno-
économique prétend s'en être affranchi70.
En effet, jusque récemment71, nos actions
techniques sur l'environnement (LARRERE, 1997) s'appliquaient à la
nature locale (SERRES, 1990), celle de l'espace vécu
(FREMONT). <<La Nature absorbait l'agir humain È
(JONAS, 1990) et <<nous n'avions pas conscience que nous
faisions la guerre au monde car nous étions moins forts que le
monde>> (SERRES, 2008). Désormais,
<<l'humanité est en train de gagner la guerre contre
le
66 Décrit comme la <<combinaison d'une
rationalité technicienne absolument rigoureuse et de l'utilisation de
irrationnel de l'homme, intégré dans le système>>
67 Ç Quand vous pouvez toutfaire, rien n'a plus de
sens È, Jacques Ellul dans Le Jardin et la Ville
68 On préfèrera en fait le terme
<<d'auto-extériorisation>> utilisé par Von
Hayek, voir Jean Pierre DUPUY, Pour un catastrophisme
éclairé, p.68.
69 Jacques Ellul, La Technique ou l'enjeu du siècle,
1957.
70 Y compris en les transformant en opportunité de profit.
Voir à ce sujet l'analyse que Paul ARIES fait du capitalisme vert dans
son livre La simplicité volontaire contre le mythe de
l'opulence.
71 Un certain nombre d'observateurs s'accordent à dire
qu'un tournant aurait eu lieu dans les années 70.
monde, mais c'est une victoire à la Pyrrhus, autrement
dit gagner cette guerre-là c'est la perdre » (ibid). Il s'agit
ainsi d'une « transformation de l'essence de l'agir humain »
(JONAS, 1990).
D'ailleurs, la crise environnementale (LARRERE, 1994) est
essentiellement globale et invisible72 (BOURG), elle n'appartient
donc plus à l'espace vécu, ni meme à celui des
représentations, celles-ci ne pouvant en etre
qu'abstraites73.
4. La representation d'une nature à dominer
Le naturalisme occidental (DESCOLA, 2005) est une des
rares cosmologies, sinon la seule, qui affirme l'opposition entre
nature et culture. L'homme est donc placé en position
d'extériorité par rapport à la nature, comme les religions
de la transcendance place le créateur en position
d'extériorité par rapport à sa
création.
La science moderne occidentale entend ainsi rendre l'Homme -
la culture - « comme ma»tre et possesseur de la
Nature ». Cette idée de soumission et de ma»trise sur la
Nature est en fait véritablement initiée par Francis BACON, la
décrivant comme « unefemme publique » qu'il nous faut
« mater », dont il faut « pénétrer
ses secrets » et « l'encha»ner selon nos désirs
»74. La science pour pénétrer ses
secrets, la technique pour la mater et l'économie
comme reflet des « désirs » de l'homme. Toute la
pensée techno-économique est ainsi déjà
rassemblée ici.
Pourtant et paradoxalement, une crise de représentation de
la nature -devenue nature globale- est induite,
précisément, par les applications la science moderne.
Ainsi, la distinction classiquement opérée entre
le naturel et l'artificiel est mise en question, d'une part avec le mouvement
émergent de convergence des technologies75, mais surtout du
fait de cette transformation de l'essence de l'agir humain à
l'origine de la crise environnementale, et permise par le
cartésianisme.
En effet, celle-ci résultant de conséquences
non intentionnelles de nos actions techniques sur l'environnement, la
non-maitrise de leurs conséquences met en cause la
possibilité de distinguer ce qui releve de l'action humaine et de
l'événement naturel76 (LARRERE, 1997). Il devient
ainsi nécessaire de mobiliser les travaux concernant la valeur
intrinseque77 de la nature -afin de (re)définir
cette nature, ce que fait JONAS dans Le principe
responsabilité lorsqu'il dit que « la Nature n'est pas
(sic) à étre améliorée »78.
7 2 Au sens de non-sensible. Que l'on songe aux «
ppm » du réchauffement climatique, à l'imminence du pic de
Hubbert ou à l'abstraction du concept de biodiverisité.
73 Ce qui cause de grandes difficultés aux
géographes quand ceux-ci « partent du terrains»
74 La Nouvelle Atlantide
75 Convergence Nano-bio-info-cogno-technologies
(NBIC), évoquées plus haut.
76 Que l'on songe à l'Ouragan Catherina ou
à la canicule de 2003.
77 Fondée sur l'éthique
déontologique du respect de la Nature, en complémentarité
des éthiques conséquentialistes de responsabilité (C.
LARRERE). Voir notamment ceux de J.B. CALLICOTT.
78 Cité par Catherine LARRERE, Les
éthiques environnementales, respect ou responsabilité,
Conférence à l'ENS Paris, 4 décembre 2006.
Nous pouvons ainsi dire avec Dominique BOURG que
<<le savoir, contrairement à ce que l'on avait cru avec
l'avènement de la science moderne, n'engendre pas exclusivement de la
maitrise, mais également de la non-maitrise et de l'impuissance
È.
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