II . Les fondements supposés de
l'effondrement
Après un très bref tour d'horizon des tendances
lourdes - et de quelques signaux faibles - identifiables s'agissant de la
perspective de l'imminence d'un effondrement global, il nous faut
tenter de pénétrer la logique et les mécanismes à
l'Ïuvre dans le système qui nous fait prendre le chemin de
l'effondrement. Ainsi, recourant plus directement au paradigme de la
décroissance, nous allons tenter d'interroger la
société de croissance, le développement
et leurs attributs, mobilisés comme phénomènes
déterminant du mouvement actuel du monde, en vue d'analyser les
fondements supposés d'un effondrement en préparation.
A. La démesure systémique et ses
implications
1. Démesure et société de
croissance
Chez les Grecs anciens, l'Hybris - la démesure
- constitue la faute fondamentale de la civilisation60. Or, dans nos
sociétés modernes, l'Hybris, Ç propre
à l'occident>> (LATOUCHE, 2006), s'est Ç
constituée en système>> (BOURG).
ÇL'illimitation systémique>> (GODBOUT, 2008),
partiellement liée à l'utilitarisme, est le Ç
moteur de la société de consommation >>
(ibid). La Çsociété de
croissance>> (LATOUCHE, 2006), fondée sur la
chrématistique (ARISTOTE) - l'accumulation comme fin en soi -,
condamne le système technico- économique, dans sa logique propre,
à produire toujours plus. C'est la mégamachine
(LATOUCHE, 1995) Ç infernale>> (CHARBONNEAU, 2008),
permise et encouragée par le système thermo-industriel
(GRAS, 2006). La relation de crédit61, la
théorie des rendements décroissants (RICARDO) ainsi que
la baisse tendancielle du taux de profit (MARX) en constituent des
exemples théoriques.
Ainsi, les sociétés occidentales, en
Çépousant la raison géométrique qui
préside à la croissance du Produit Intérieur Brut (PIB)
È, se sont enfermées dans une logique de croissance
exponentielle. Avec Çun taux de 3,5 % (progression moyenne en France
entre 1949 et 1959), on aboutit à une multiplication par 31 en un
siècle et par 961 en deux siècles! Avec un taux de croissance de
10% (environ celui de la Chine), on obtient une multiplication [du PIB]
par 736 en un siècle! >> (LATOUCHE, 2006).
Comment envisager de telles perspectives, pourtant largement
promues -au moins à court terme- par la très grande
majorité des politiques, des économistes, et par une bonne part
de la nébuleuse du Ç développement durable>>? Cette
logique techno-économique a déjà des effets très
sensibles dans le présent, et l'hybris se fait de plus en plus
concrète.
Ainsi, comme nous l'avons vu, la démesure se
retrouverait : dans notre rapport de domination à la nature
60 On ne parlait pas encore de Çpéché
>>, mais c'est bien la déesse de la vengeance,
Némésis, qui était alors
dépêchée en guise de châtiment.
61 Rolf STEPPACHER, in Christian COMELIAU, Brouillons pour
l'avenir, p.185-186
· dans les rapports de dominations entre les hommes
· à travers la place qu'occupe l'économie
dans notre société62
Ivan ILLICH, qui pensait d'ailleurs que l'on ne pouvait parler
de ce phénomene de runaway, d'autodérégulation,
qu'en termes religieux, affirmait que Ç l'hybris industrielle a
brisé la cadre mythique qui fixait les limites à la folie des
rives »63
Pourtant, au XIXeme siècle déjà,
Elisée RECLUS critiquait les dérives liées au
développement de la technique : Ç La nature impose des
limites à lÕaction humaine, ilfaut donc savoir jusquÕog
aller dans lÕaminagement du milieu naturel et sÕarréter
avant que ne sÕamorcent ces déséquilibres
irréversibles dÕautant plus probables que le milieu naturel
estfragile È.
Mais l'hybris, « l'esprit de
l'économie » (LATOUCHE, 2006), « l'idéologie
de croissance È (ibid) et le « culte de la toute
puissance » (ARIES, 2009), désormais intrinseques au systeme,
résultent d'une « colonisation » (LATOUCHE, 2006)
de « l'imaginaire social » (CASTORIADIS, 1975), non d'un
mouvement naturel inéluctable. Ainsi le positivisme d'Auguste
COMTE, fondé sur le mythe prométhéen du progres et de la
science, trouve son prolongement dans l'entreprise du développement,
c'est à dire la volonté systémique -et
systématique- de transformer les relations des hommes entre eux et
à la nature en relation économique -marchandisation.
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