Le caractère illicite des charges face à la notion d'acte anormal de gestion étude comparée entre la France et le Canada( Télécharger le fichier original )par Jamie-Ann Martin Université Paris 1 Panthéon Sorbonne - Master 2 professionnel en droit européen et international des affaires 2008 |
b) La dépense illicite, une dépense non autoriséeLe mot « illicite » a été emprunté au préfixe latin illicitus qui signifie tout simplement « non autorisé »17(*). De manière générale, en droits fiscaux français et canadien, les charges illicites correspondent à celles qui ne sont pas autorisées. Plus spécifiquement, il s'agit de charges pour lesquelles la loi interdit expressément la déductibilité. Tel est le cas en France de certains impôts et pénalités, ainsi que des charges qualifiées de somptuaires selon le Code général de l'impôt et des dépenses prévues à l'article 67.5 et 67.6 de la Loi sur l'impôt et du revenu au Canada. Dès lors, lorsque de telles dépenses figurent en comptabilité, leur montant doit être rapporté aux bénéfices imposables de façon extra comptable. Il y a donc une distinction à faire entre la nature illicite de la charge et le fait de ne pouvoir déduire celle-ci car elle ne répond pas à certaines conditions générales de déductibilité énoncées par le Code général des impôts ou la Loi de l'impôt et du Revenu. Ainsi, l'entreprise qui déclare une dépense qui ne répond pas aux conditions générales de déductibilité n'est pas une dépense illicite de ce fait. Par exemple, au Canada, une compagnie n'a pu déduire des dépenses qu'elle avait engagées au nom de sa filiale pour couvrir d'importants frais de réparation d'une maison de campagne dont cette dernière devait se servir pour donner des réceptions en l'honneur de fonctionnaires en vue d'obtenir d'eux des contrats. Non seulement les dépenses étaient de la nature du capital mais de plus elles avaient été engagées en vu de produire un revenu non pas pour la compagnie mais pour sa filiale, qui était une entité indépendante18(*). Il ne s'agissait point d'une dépense illicite mais d'une dépense qui ne répondait pas aux conditions générales de déductibilité. Il en découle que, dans le calcul du revenu tiré d'une entreprise ou d'un bien, les dépenses sont déductibles ou non déductibles suivant les circonstances dans lesquelles elles sont engagées. Ces circonstances sont liées en partie à la nature de l'entreprise. Elles peuvent aussi être liées à la manière dont le contribuable exerce son entreprise et à la manière dont les dépenses ont été occasionnées, par exemple, intentionnellement, sans motif ou par l'intervention d'une tierce partie, y compris l'intervention gouvernementale. L'organisation des règles fiscales en France et au Canada repose sur une même idée : des règles générales et des régimes particuliers (par exemple, la charge illicite se distingue en France des dépenses somptuaires, au Canada, de celles qui ne sont pas raisonnables.) Entre ce va et vient de règles, on trouve des principes généraux qui apportent de la souplesse au droit fiscal, comme par exemple, la notion de l'intérêt social. La complexité du droit fiscal n'apparaît pas tant dans la technicité qu'entraîne cette multitude de règles que par l'interprétation de ces quelques principes généraux. Dans tous les cas où la loi ne prévoit pas de dispositions particulières en sens contraire, il convient de se référer aux principes généraux pour considérer ou non la déductibilité d'une dépense d'entreprise. C'est l'attitude qu'adopte l'Administration fiscale lorsqu'elle effectue des contrôles des différents types de dépenses. Par conséquent, se pose la difficulté liée à l'identification d'un paiement de nature illicite. Il n'est pas facile de distinguer une facture frauduleuse d'une facture réelle ou de détecter des versements à des salariés fictifs ou des virements illicites sur des comptes bancaires extraterritoriaux. Dans un premier temps, il s'agit de distinguer les commissions occultes des autres commissions ou charges autorisées. Commission occulte, Bakchich19(*) et dessous-de-table20(*) sont synonymes de pot-de-vin21(*). Il s'agit de sommes d'argent données illégalement à une personne physique ou morale en échange d'un service. Nul doute, le versement de pots-de-vin à un agent public pour se voir octroyer un marché est constitutif d'une infraction sanctionnée par le Code pénal en France et par le Code criminel au Canada. La France et le Canada sont membre de l'organisation de coopération et de développement économique (OCDE)22(*) et sont tous deux signataires de la Convention sur la lutte contre la corruption d'agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales adoptées le 21 novembre 1997. Comme la France et le Canada, la plupart des pays membre ont adopté dans leur législation nationale une loi abolissant la déductibilité de ces commissions secrètes versées à un agent public. En France, l'exclusion de ces déductions est de portée générale et est indépendante de la valeur de l'avantage, de son résultat, des usages ou de la tolérance des autorités locales23(*). En outre, toute présentation à un agent public des impôts de documents attestant du versement d'un pot-de-vin à un agent public national en vue d'obtenir une déduction fiscale conduira l'agent des impôts à faire application de l'article 40 du Code de procédure pénale (C.P.P.) en dénonçant cette infraction au ministère public. De ce fait, dans la pratique, les commissions occultes ne sont pas déductibles fiscalement. Ensuite, on imagine difficilement que le dirigeant d'une entreprise privée puisse déclarer à l'Administration fiscale le montant se rapportant au versement d'un pot-de-vin qu'il aurait effectué en faveur d'une autre société privée.. Au Canada, la Loi de l'impôt sur le revenu interdit expressément le versement de pots-de-vin. L'article 67.5 (1) L.I.R. énonce que : Aucune déduction ne peut être faite dans le calcul du revenu au titre d'une dépense engagée ou effectuée en vue d'accomplir une chose qui constitue une infraction prévue à l'article 3 de la Loi sur la corruption d'agents publics étrangers ou à l'un des articles 119 à 121, 123 à 125, 393 et 426 du Code criminel, ou à l'article 465 du Code criminel qui est liée à une infraction visée à l'un des ces articles24(*). On ne retrouve pas dans le Code général des impôts français un article équivalent. L'article 39-2 bis du C.G.I. fait uniquement allusion aux agents publics étrangers en faisant état que les commissions versées depuis le 29 septembre 2000 à ces derniers en vue de les corrompre sont exclues des charges déductibles. Que ce soit dans le secteur public ou privé, tous les pots-de-vin sont illégaux. Toutefois, ce n'est pas toujours ainsi en ce qui a trait au versement d'une commission. * 17 REY (A.). Dictionnaire historique de la langue française. Le Robert, p. 2016. * 18 No 227, 55 DTC 20. * 19 Emprunt au turc bakîð « pourboire, don » : Centre national des ressources textuelles et lexicales (CNRTL) [En ligne]. Consulté sur Internet : www.cnrtl.fr/etymologie/bachich (12.06.2008). * 20 Il s'agit d'une somme officieuse versée par l'acheteur au vendeur, qui vient s'ajouter à la somme officiellement déclarée. * 21 En général se définit comme de l'argent touché secrètement et illégalement, en échange d'une faveur reçue, d'une préférence accordée en vue d'une rémunération. Les conventions internationales (Convention de l'O.D.D.E., Convention du Conseil de l'Europe et la Convention des Nations Unies) décrivent le pot-de-vin comme un avantage indu. Ainsi, tous les avantages ne sont pas interdits, seulement ceux qui sont indus : Glossaire de l'OCDE, Corruption, glossaire des normes pénales internationales, p. 38. * 22 Entrée en vigueur de la Convention pour la France le 7 août 1961 et pour le Canada le 10 avril 1961. * 23 Dans le cadre des directives aux vérificateurs d'entreprises, l'instruction réservée aux services (4 C-1-00, n° 205 du 14 novembre 2000) prévoit que le rejet des charges déductibles doit systématiquement être accompagné d'une information du Parquet, conformément aux dispositions de cet article 40 du CPP. Il paraîtrait cependant que la non déductibilité fiscale des pots-de-vin n'est pas garantie au sein de certains des territoires français d'outre-mer disposant d'un statut fiscal autonome. Rapport du GRECO sur la corruption [En ligne]. Consulté sur Internet : http://www.coe.int/t/dg1/greco/default_FR.asp (10.05.2008). * 24 Pour l'article 426 du Code criminel (commission secrète), cf. Annexes. |
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