CONCLUSION
Tout d'abord, dans le secteur privé, il semble que le
monde de l'entreprise ne s'accommode pas de la corruption, et ce pour plusieurs
raisons. La première est que le versement de commissions et les
pratiques corruptives créent un surcoût pour l'entreprise et
handicapent cette dernière. De plus, les actes délictueux font
peser sur les sociétés des risques considérables :
d'une part des risques juridiques, mais aussi des risques commerciaux ou de
réputation. Dès lors, permettre la déductibilité de
dépenses, sans prendre en compte leur caractère illicite, semble
aller à l'encontre des idéaux d'une société
prônant une éthique des affaires et s'engageant dans un combat
contre la corruption. Par ailleurs, que ce soit en France ou au Canada,
l'Administration fiscale ne doit pas jouer un rôle de moralisateur
auprès des entreprises. Ainsi, en France, l'acte anormal de gestion est
souvent critiqué par les praticiens car pour eux, les
vérificateurs l'utilisent alors qu'ils ne maîtrisent pas dans la
globalité la gestion de l'entreprise. Aussi, l'intérêt
social considéré par l'Administration fiscale a toujours
été emprunt d'un certain opportunisme. Se méfiant de
certaines charges venant réduire en une peau de chagrin le
bénéfice imposable, l'Administration fiscale s'est alors
trouvée un nouveau rôle de protecteur des intérêts de
l'entreprise.
Cela étant, l'état actuel du droit en France
démontre que le caractère illicite de la dépense n'a pas
d'influence sur sa déductibilité si l'identité du
bénéficiaire est connue, qu'il existe une preuve de la
réalité du service rendu et que la dépense a
été effectuée dans l'intérêt social. Par
ailleurs, il paraît insensé de se poser la question de savoir si
la dépense illicite a été engagée dans
l'intérêt social. Ainsi, comme il en est au Canada, dès que
la dépense est illicite, elle ne devrait être déductible,
et ce même dans le but de gagner un revenu ou, parallèlement,
même si elle a été effectuée dans
l'intérêt de l'entreprise. Par conséquent, il paraît
évident que les divergences de traitements des dépenses illicites
créeront des différends au niveau international. Effectivement,
si la France admet la déductibilité de certaines dépenses
illicites, cela n'équivaut-il pas à encourager ses entreprises
à commettre des délits afin de se voir octroyer des contrats ou
des parts de marché sur le plan international ? Cela pourrait,
à la limite, se traduire comme étant de la fausse concurrence.
Subsidiairement, comment expliquer la divergence de traitement qui existe entre
le droit pénal et le droit fiscal en France ? Il semble qu'il
soit temps pour l'Administration fiscale de prononcer son mea culpa de
l'acte anormal de gestion.
Ensuite, ce qui peut sembler désolant, c'est que la
théorie de l'acte anormal de gestion a toujours été floue
étant donné qu'elle s'est développée sur des cas
d'espèce et selon la subjectivité des juges, ce qui va à
l'encontre de la sécurité juridique. De même, la notion de
l'intérêt social, clé de voûte de l'acte anormal de
gestion, demeure la problématique majeure : il n'existe pas de
définition positive. Dès lors, il ne semble pas raisonnable de
laisser aux juges le soin de définir l'intérêt social
puisque le législateur ne l'a jamais prévu. Par
conséquent, ce sont les entreprises qui doivent définir leur
propre intérêt social. Par ailleurs, l'adoption d'un article de
loi interdisant la déductibilité des paiements illégaux
permet de tracer des limites entre lesquelles l'intérêt social
pourrait se définir. Ainsi, comme le disait Montesquieu,
« pour que l'on ne puisse pas abuser de pouvoir, il faut que par
disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ». Ceci
dit, il semble que les critères employés pour caractériser
l'acte anormal de gestion ne reposent pas sur des critères objectifs.
Enfin, le Conseil d'État ne devrait-il pas, non plus se
placer du côté de l'entreprise, mais mettre en avant de
manière explicite l'objet de l'acte anormal de gestion,
c'est-à-dire, défendre les intérêts
pécuniaires de l'État ? De la sorte, l'acte anormal de
gestion pourrait se révolutionner en un acte étranger aux
intérêts de l'État. Cela justifierait son existence. Ainsi,
la déductibilité des dépenses illicites telle que les
pots-de-vin serait, comme au Canada, un phénomène
relégué au annales du droit fiscal.
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