Quel rôle pour la médiathèque dans le rapport de l'enfant à la lecture( Télécharger le fichier original )par Oriane Ledig IUT2 Nancy Charlemagne - DUT métiers du livre et du patrimoine option bibliothèque 2010 |
« Le plaisir avant tout » : un credo qui fait sens, mais dont la mise en oeuvre s'avère parfois difficileA la suite des analyses de la Première partie, il semble que les professionnels des bibliothèques ont compris l'importance du jeu dans l'appréciation de la lecture par l'enfant. 1) De l'importance du jeu dans la construction du « je »1.1 L'enfant, homo ludens en puissance ?Dans son Essai sur la fonction sociale du jeu, le célèbre historien Johan Huizinga qualifie l'homme d'homo ludens - littéralement «l'homme qui joue ». Cet ouvrage consacré à l'étude de la culture et des loisirs montre que le jeu est un phénomène culturel inhérent à l'homme. Huizinga va plus loin lorsqu'il affirme que « la culture ne naît pas en tant que jeu, ni du jeu, mais dans le jeu ». Si le jeu peut être un moyen de fuir le réel, il est tout autant une activité créatrice, permettant la construction de soi. D'après Huizinga, le jeu est « une action libre, sentie comme fictive, et située en dehors de la vie courante »10(*). Ainsi cette réflexion se place-t-elle en relation directe avec les objectifs mis en place par les bibliothèques dans le rapport à la lecture chez l'enfant. En effet, le jeu offre un moyen détourné d'aborder la lecture, ce qui n'est pas sans rappeler les nombreuses animations qui tendent à se développer dans les bibliothèques dès les années 1960. A certains égards, à suivre Michel Picard, « tout texte a du jeu, et sa lecture le fait jouer »11(*). Aussi, l'exemple de l'Heure du conte, montre que la lecture donne du jeu à l'enfant. L'oralité, voire la théâtralité de ces lectures, transpose le jeu naturellement présent dans la littérature jeunesse et permet d'abolir la contrainte que peut constituer l'acte de lecture. Cet exemple montre que le jeu permet le divertissement, l'accès au plaisir. Le jeu, en sollicitant l'imaginaire de l'enfant, permet à cet « être en devenir » d'aborder le monde, et de se diriger pas à pas vers une approche rationnelle de ce qui l'entoure, vers une autonomisation de la pensée. Aussi, avec l'arrivée de l'adolescence, les enfants se détachent progressivement du jeu, ce que l'on pourra constater lors de la Fête du livre avec la désaffection des « préadolescents » pour cette animation. 1.2 L'interprétation : jeu entre le lecteur et le livreLes années 1960 marquent la montée des théories de la réception. La lecture ne peut se réduire à la simple action de « déchiffrage » où le sens de l'ouvrage est explicite, où il suffit de lire pour comprendre. Lire, c'est interpréter et chaque lecteur quel qu'il soit n'aura pas la même interprétation d'une oeuvre. En effet, l'action de lire se fait toujours à la lumière de nos propres expériences personnelles : c'est la théorie que développe Vincent Jouve dans La lecture. D'après Jouve, le lecteur oscille entre trois positions de lecture : le lectant, le lisant, le lu. Le lectant refuse de se laisser prendre par l'illusion romanesque, il sait qu'il a affaire à un monde imaginaire. Il appréhende le roman dans l'optique d'en faire l'analyse, de l'interpréter. Il cherche à déceler les stratégies narratives de l'auteur, voire à anticiper les péripéties de l'histoire. A l'inverse, le lisant est victime de l'illusion romanesque. Il considère le personnage comme une personne réelle, et accepte le temps de la narration de se laisser prendre par l'histoire. Enfin le lu, quant à lui, croit à un degré encore plus fort que le lisant, à l'illusion romanesque. A travers la lecture, le lecteur cherche à se trouver lui-même. C'est un moyen détourné de vivre ses rêves et ses fantasmes ; il est dans la sublimation. Le personnage n'est alors pour lui qu'un prétexte pour vivre l'histoire lue. Ces deux derniers mode d'appréciation d'un texte, montre que la lecture a donc une valeur de catharsis, elle permet au lecteur de se purger de ses passions (souvent peu avouables, voire destructrices), d'échapper à la réalité quand celle-ci devient insupportable. Il en est de même pour la lecture chez l'enfant : elle est source d'évasion, lui permet d'accéder à un univers fictionnel qui le libère de sa condition, le fait rêver, s'évader, mais aussi réfléchir par rapports à ses questionnements existentiels. Aussi la lecture permet-elle sa construction (mais l'enfant n'en a pas ou peu conscience). Le livre est un objet transitionnel : lire n'est pas une finalité en soi, mais plutôt le moyen d'accéder à quelque chose comme par exemple au plaisir. Il est essentiel pour les bibliothèques de mettre l'accent sur cet aspect. Or le fait de lire n'est pas inné, pas plus que la volonté d'apprendre à lire. L'apprentissage de la lecture se fait par l'école, sur le mode obligatoire. Même si l'école et le travail n'excluent pas a priori une dimension ludique ou de plaisir, ils demeurent associés à la contrainte. Or, les bibliothèques ne relèvent d'aucun caractère obligatoire. Et si franchir les portes d'une bibliothèque devient, pour certains enfants, une habitude, ce n'est pas le cas pour la majeure partie d'entre eux. Aller à la bibliothèque, choisir un livre, le lire, autant d'actions qui relèvent de « l'acquis », qui exigent de l'enfant un effort. Ainsi, par les animations, les bibliothèques tendent à réduire l'écart physique, psychologique et culturel entre le livre et l'enfant. Et c'est généralement par le moyen détourné du jeu que cette action s'opère. Cette intervention des bibliothécaires se voit d'ailleurs en partie contrariée par des évolutions sociales, culturelles et économiques en cours, la lecture se trouvant reléguée à la fin du palmarès des loisirs privilégiés par les enfants, loin derrière la télévision, les jeux vidéo et l'Internet. * 10 Source : Homo Ludens : Essai sur la fonction sociale du jeu, Johan Huizinga, ed. Gallimard, 1988. * 11 Source : La lecture comme jeu : essai sur la littérature, Michel Picard, éditions de Minuit, 1986. |
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