2.3. Une mise en application
ludique qui soulève une tension entre pédagogie et lecture
plaisir
Si effectivement la bibliothèque se place comme
médiateur du livre, elle ne le fait pas à n'importe quel prix. A
la médiathèque de Ludres, on trouve peu d'éditions
« commerciales » du type adaptation en BD ou album des
séries animées télévisées (Bob
l'éponge ou Dora l'exploratrice). Tout se passe comme si,
au-delà de leur mission générale consistant à
favoriser le contact de l'enfant avec la lecture, les bibliothécaires du
secteur jeunesse cherchaient à diriger l'enfant vers les romans. La
règle de prêt, selon laquelle les enfants âgés de
moins de 14 ans ne peuvent emprunter que trois bandes-dessinées sur les
sept documents autorisés, tirerait son origine de ce but
« caché » ou « second » des
bibliothécaires.
A l'inverse, plusieurs auteurs qui se sont essayés
à l'analyse du rapport entre la lecture et l'enfant plaident pour la
non-orientation du jeune lecteur, au motif qu'entraver les choix de lecture
d'un enfant revient à le détourner petit à petit à
l'acte de lire. La bande dessinée, au même titre que l'album,
permet à l'enfant une entée « en douceur »
dans la lecture. L'illustration dans la littérature jeunesse a une
importance majeure, et pour cause, elle permet de soutenir la lecture de
l'enfant, et ce dernier s'en détache d'ailleurs difficilement. Le texte
fait peur, et à l'inverse l'illustration rassure. L'absence
d'illustration dans un ouvrage suscite chez l'enfant la pensée que
l'histoire sera nécessairement difficile. C'est pour cette raison que
par exemple entre 10 et 14 ans, les enfants ont tendance à se focaliser
sur le nombre de pages d'un roman.
Ainsi, la médiathèque de Ludres oscille-t-elle
entre pédagogie et plaisir. Il y a là un paradoxe, ou du moins
une tension. D'une part, on constate une forte volonté de
détacher le livre des contraintes scolaires, de mettre l'accent sur
l'importance du plaisir dans la lecture, et d'autre part la
médiathèque ne peut pour autant se détacher de tout
préceptes pédagogiques. Et la volonté d'entretenir des
partenariats forts avec l'école demeure ; à Ludres, en 2009,
la médiathèque a organisé 30 visites de classes pour
l'école maternelle et 41 visites pour l'école primaire.
A chaque début d'année scolaire, la
médiathèque de Ludres envoie aux écoles maternelles et
primaires un communiqué les informant de l'existence de la
médiathèque et des services dédiés aux
écoles : sur rendez vous, les enseignants et leurs classes sont
accueillis à la médiathèque. L'enseignant est libre de
choisir le thème sur lequel il souhaite travailler. Les
bibliothécaires du secteur jeunesse sont ensuite chargés de
sélectionner des livres en rapport avec le thème, de
préparer une animation. L'accueil des classes se fait dans un premier
temps dans la salle réservée à l'Heure du conte. Des
histoires sont lues aux enfants, puis un échange entre la
bibliothécaire et les enfants est organisé. Durant ces
séances, l'instituteur intervient peu ou pas, ce qui permet aux enfants
de sortir du cadre de l'école et d'oublier pour quelques temps le
« carcan » scolaire. L'animation se déroule ensuite
au sein du secteur jeunesse, où les enfants sont répartis par
petit groupe. L'accueil se termine par le choix des livres. Les enfants ont
pour obligation de choisir un des livres disposés sur les tables. La
présélection permet d'aiguiller leur choix, mais la disposition
sur les tables « en libre service » leur laissent quand
même une part d'autonomie. Dans le cas d'un accueil de classe sur le
thème du livre policier auquel l'auteur de ce mémoire a pu
assister, plusieurs enfants ont souhaité se démarquer en
choisissant un livre sur un autre thème. Ceci accrédite la
thèse selon laquelle la contrainte dans le rapport à la lecture
peut avoir un effet d'éviction chez l'enfant. De plus, même si
l'enseignant est « absent » de cette animation,
l'obligation d'emprunter un livre à la fin de l'animation leur rappelle
que l'apprentissage de la lecture est un passage obligatoire dans
l'instruction, et que ne pas s'y soumettre fera l'objet de sanctions et sera le
signe d'un échec.
La médiathèque de Ludres fournit une bonne
illustration du rôle complexe joué par la bibliothèque dans
le rapport de l'enfant à la lecture. Plus particulièrement, la
Fête du livre, qui veut conjuguer lecture et plaisir, constitue une
spécificité de la médiathèque de Ludres au sein des
autres établissements de la région.
|