La finance islamique face à la crise( Télécharger le fichier original )par Imad Benlahmar INSEEC - Master 2010 |
5-2-3. Déficit en ressources humainesUn défi majeur de la finance islamique que nous avons relevé au cours de nos différents entretiens a été la rareté du capital humain. Il s'agit d'un enjeu important pour les banques islamiques qui risquent d'être dépassés par leur propre croissance sans avoir les personnes qualifiées pour accompagner cet accroissement. En fait, le seul marché retail concentre la majorité des emplois du secteur. C'est la raison pour laquelle Acteur1 estime qu'une diversification des emplois est nécessaire en particulier au sein du secteur des Corporates. Cependant, le plus gros problème que connaissent les institutions financières Islamiques, et qui a été unanimement cités par nos interviewés, est le manque énorme en Oulémas qualifiés pour faire partie des comités de conformités de la Sharia. En effet, par la nature de leurs activités, les Oulémas des Sharia Board doivent avoir une expérience significative pour pouvoir veiller à la juste interprétation des termes employés afin de définir correctement les instruments financiers Islamiques. Malgré les programmes de formation lancés un peu partout dans le monde pour former les futurs oulémas capables d'exercer dans le monde de la finance islamique, la demande reste largement supérieure à l'offre. En effet, il y a moins d'une centaine d'oulémas musulmans dans le monde suffisamment formés et compétents pour siéger dans des Sharia Boards. Pour contourner cette difficulté, les oulémas les plus reconnus multiplient les mandats dans différents comités islamiques des institutions financières. Cela permet, certes, d'assurer, de manière indirecte, une plus grande homogénéité dans les décisions des différents Sharia Boards. Mais cela ne peut être qu'une solution temporaire et risque par ailleurs d'engendrer des situations de conflits d'intérêts. Ce problème est particulièrement constaté en France, où la finance islamique en est à ses premiers pas. Ainsi selon Acteur4, lors d'un séminaire en février dernier qui réunissait les plus grands oulémas de la planète, aucun n'était francophone. Pour pallier à ce manque, des organismes, comme Acerfi et Coffis, se sont lancés dans des programmes de formation d'oulémas français `juniors' qui pourront être encadrés par des oulémas plus expérimentés. 5-2-4. Réputation et CrédibilitéSelon nos interlocuteurs, la finance islamique ne gagnera une forme de reconnaissance internationale qu'en palliant aux insuffisances des institutions financières Islamiques en termes de transparence, de gouvernance, et de gestion de risque. Ces aspects constituent des faiblesses qui risquent de nuire à la crédibilité du secteur, en particulier en période de crise. En ce qui concerne la transparence, Acteur3, de part sa position d'auditeur dans le domaine financier, a affirmé que la lecture des comptes des banques islamiques est un exercice difficile tant les concepts et les termes employés sont étrangers au jargon financier standard. Il juge également le contenu informationnel des états financiers comme étant souvent pauvre en éléments clés. De plus, à cause du manque de données suffisantes, il est presque impossible de comparer les fonctionnements et les performances des banques islamiques d'une région à l'autre. Ce n'est que dernièrement que quelques banques centrales, comme en Malaisie ou au Bahreïn, ont commencé à inclure dans leurs reportings annuels des données agrégées relatives aux performances des institutions financières Islamiques dans ces pays. De telles informations donneraient une image plus claire de l'état financier du secteur de la finance islamique dans ces pays, et encouragerait les clients et les investisseurs à se lancer dans le secteur de la finance islamique. Quant au manque de gouvernance, cela vient principalement du fait que les banques islamiques sont souvent actives dans des économies émergentes qui valorisent assez peu les bonnes pratiques de gouvernance. D'ailleurs, les règles appliquées par les banques islamiques sont issues de principes - souvent jugées contradictoires - relevant des théories anglo-saxonnes des organisations, d'une part, et de la loi islamique, d'autre part. Les dirigeants de ces établissements sont en fait soumis à des règles de gouvernance à la fois actionnariale, partenariale et religieuse (« La gouvernance de la banque islamique », C. Zied & J.J. Pluchart, 2006). Ces contradictions peuvent avoir des effets négatifs sur quelques processus de gestion aux seins des banques. Les failles de gouvernance peuvent atteindre parfois quelques processus vitaux du fonctionnement de celles-ci, tel que le processus de validation des produits financiers. D'ailleurs, un récent événement a mis en évidence de graves disfonctionnements internes dans des institutions financières Islamique, comme ce fut le cas pour la société de gestion Koweitienne « Dar Investment ». En effet, la haute cour d'Angleterre a jugé, en Avril dernier, de l'annulation d'une décision du Sharia Board à la demande même des avocats de la société ( Une première qui risque de compromettre la crédibilité des banques Islamiques, financialislam.com, 05/18/2010). Un tel jugement remet en cause la crédibilité et l'indépendance des Sharia Boards qui sont censées rassurer les investisseurs sur la licité de leur investissements. C'est pour cela qu'il devient urgent de réformer les modèles de gouvernance dans ces institutions pour les munir d'éventuelles défaillances et offrir une meilleure protection aux investisseurs privés. Enfin, plusieurs cas de défauts de paiement sur des obligations islamiques, comme celles du promoteur immobilier Emirati Nakheel, ont révélé les fondations fragiles de gestion de risque dans les institutions financières Islamiques. Ce sujet a été très discuté avec nos interviewés, dont les avis ont été partagés. Quelques uns ont argués que le cas de défaut de paiement n'est pas spécifique à la finance islamique et d'autres ont affirmé que le remboursement récent de la dette de Dubai World prouve que ce n'était qu'une crise passagère qui ne remet pas en question la solidité du système. Mais Acteur 5 a tout de même tenu à préciser que la dépendance excessive vis-à-vis de certains secteurs comme l'immobilier et la construction, au caractère notoirement cyclique, présente forcément un signe de non maturité du système. De plus, la multiplication récente d'événements de faillite de fonds Islamique a prouvé que l'absence de culture du risque dans ces institutions, peut conduire à des dérives dans le secteur. Ceci est d'autant plus vrai en raison de l'absence de gardes fous réglementaires et de procédures de contrôle clairement établies. C'est pour cela que des organismes internationaux se penchent en ce moment sur le développement de procédures de gestion de risque spécifiques au secteur de la finance islamique, ceci est notamment le cas des nouvelles normes Bales III qui devraient être finalisées dans les mois à venir. |
|