5-2-1. Barrières
socioculturelles
Le premier obstacle qui freine l'expansion de la finance
islamique vient de sa propre appellation. En effet, si pour une partie des
musulmans le mot « Islamique » pourrait être un
facteur qui les attire dans le choix de l'orientation des décisions
financières, une autre partie de musulmans refuse de lier la religion
à des transactions commerciales que la perversité de l'argent
pourrait salir, et n'acceptent pas l'utilisation de l'Islam comme un «
argument publicitaire » permettant de promouvoir un produit. Ainsi un de
nos interlocuteurs a affirmé que plusieurs clients potentiels des
banques Islamiques se posent la question si la finance islamique est vraiment
islamique ou bien est ce justement une composante de façade grâce
à « un mécanisme revu et corrigé d'un marketing
occidental islamisé pour l'occasion ».
A ce sujet, Acteur 3 considère que la réussite
de la finance islamique est le fruit d'une savante ingénierie
financière qui a pu trouver des produits conformes aux principes de
l'Islam pour remplacer tous les instruments de placement classique. Mais sans
la dimension éthique qu'était censée revêtir la
finance islamique, toutes les valeurs prônées par la Sharia auront
perdu tout leur sens.
De plus, dans quelques pays musulmans comme en Afrique du Nord
où l'interprétation religieuse est moins conservatrice qu'au
moyen orient, et où le modèle bancaire conventionnelle s'est
imposé historiquement, les banques Islamiques n'ont toujours pas
réussi à s'imposer. Ces institutions devront faire un plus grand
effort pour baisser les coûts élevés de leurs produits
islamiques pour convaincre les clients de ces pays à se convertir au
modèle financier Islamique.
De même, tous nos interlocuteurs ont admit une
possibilité de réticence de la part de clients ou d'investisseurs
qui ne seraient pas prêts à suivre un modèle se basant sur
des règles morales et non juridiques. Cet état des choses est
particulièrement vrai dans des pays Européens comme la France. En
effet, en l'absence de règles et standards universels, la finance
islamique continuerait à présenter un risque
supplémentaire lié aux avis religieux de membres de Sharia Boards
qui ne sont généralement pas originaires de ces pays et qui
peuvent ignorent la réalité du contexte économique
occidental.
5-2-2. Incertitudes et contraintes
réglementaires
L'univers de la finance islamique est
caractérisé par une extrême diversité. En effet,
l'Islam est, par nature, une religion où la jurisprudence a un
rôle fondamental. De part la diversité des courants de
pensée qu'il regroupe, les interprétations proposées dans
la mise en oeuvre des différentes transactions peuvent être plus
ou moins souples. Par exemple, des pays comme l'Arabie Saoudite se montrent
plus rigides dans l'application des normes éthiques de l'Islam, alors
que des pays comme la Malaisie ont une application de la finance islamique qui
est beaucoup plus « libérale ».
Mais il existe également des dissimilitudes à
l'intérieur des différentes régions et courants. Ainsi,
l'Iran et le Soudan ont entièrement islamisé leur secteur
financier depuis des années alors que le sultanat d'Oman a toujours
interdit la finance islamique et qu'au Maghreb des autorités religieuses
ont émis des fatwas qui justifient, à certaines conditions,
l'utilisation de taux d'intérêt, gommant un peu plus les
différences entre finance islamique et finance conventionnelle.
Toutefois, mes interviewés affirment que certaines
règles sont progressivement assouplies comme ce fut le cas des Sukuk,
créées dans les années 70 en Malaisie, et dont le
mécanisme de fonctionnement a été, dans un premier temps,
vivement condamné par les autorités des pays du Golfe pour
être, par la suite, très largement adopté par ces
mêmes pays. D'ailleurs Acteur1 a noté qu'à l'inverse, les
contrats d'assurance conventionnelle ont été acceptés dans
le passé dans la mesure où il n'y avait pas encore
d'équivalents islamiques. Mais depuis l'émergence des assureurs
du Takaful, plusieurs autorités réglementaires se sont mises
à convertir progressivement leurs systèmes d'assurance vers un
système Islamique.
Les tentatives d'homogénéisation des
règles de conformité à la Sharia sont d'autant plus
importantes qu'actuellement le cadre réglementaire des banques
islamiques est différent d'un pays à l'autre. Ainsi, les banques
du Qatar et des Émirats Arabes Unis, peuvent ouvrir des agences ou
filiales islamiques, alors que les banques conventionnelles du Koweït
n'ont pas le droit d'offrir de produits islamiques. Depuis cette année,
20% des actifs bancaires de chaque banque Malaisienne est censé
être conforme à la Sharia, alors que l'Arabie Saoudite n'est pas
décidée à réglementer la finance islamique ce qui
équivaudrait à reconnaître qu'il y aurait des banques
« illicites ». (Les habits neufs de la finance islamique, Anouar
Hassoune, Standard & Poor's, 2007).
Il est également urgent de statuer sur les normes
internationales liées à la gestion de la liquidité dans
les institutions financières Islamiques. Selon Acteur 6, il s'agit sans
doute d'une des plus importantes faiblesses des banques islamiques. La raison
est que les instruments de gestion de la liquidité sont
généralement des instruments de taux, donc Haram selon la Sharia.
De ce fait, et comme confirmé dans nos interviews,
plusieurs institutions internationales, tels que l'AAOIFI, l'IFSB, l'IIFM ou
l'Agence internationale de notation islamique, se consacrent à la
définition de normes de conformité à la Sharia et à
leur harmonisation entre les régions. Mais c'est la Banque Islamique de
Développement qui garde un rôle central dans la création de
normes et de procédures précises, immuables et internationalement
acceptables. De telles normes offriront aux contrôleurs une meilleure
visibilité sur la solidité, la stabilité et
l'intégrité des banques islamiques.
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