Fêtes de village et nouvelles appartenances. Les fêtes rurales en Hainaut occidental (Belgique)( Télécharger le fichier original )par Etienne Doyen Université Catholique de Louvain - Licence en Sociologie 2007 |
Le village, lieu de différentes sociabilitésAvec l'arrivée importante de populations nouvelles au village, une nouvelle forme de sociabilité voit le jour. Cette nouvelle sociabilité va se superposer à une sociabilité « traditionnelle », qui prend place entre les personnes qui ont un rapport possessif au village (« mon » village, versus « un » village). Beaucoup de ces personnes sont nées au village et y ont vécu toute leur vie ou presque, si bien qu'habiter le village ne relève pas pour elles d'un choix, mais d'un fait. Ce rapport particulier à l'espace villageois se traduit en termes de sociabilité par l'affirmation « tout le monde se connaît ». Dans le chef de ces personnes pour qui le village est une entité qui fait sens, la sociabilité prend la forme de « connaître » ; cette connaissance ne signifie pas nécessairement de pouvoir aborder des sujets très personnels ou de « refaire le monde » avec les autres villageois, mais à tout le moins d'être capable de les « situer », c'est-à-dire pouvoir dire qui habite où, avec qui il/elle est marié(e), quelle profession il/elle exerce, combien d'enfants il/elle a, qui sont ses parents, etc. Cela ne veut pas dire que la vie villageoise est exempte de tout conflit, et que tout le monde « s'entend bien »28(*). Mais ce qu'il faut voir derrière cette forme de sociabilité, derrière le « connaître », c'est une volonté de pouvoir « dire » son village. Le village, c'est un espace maîtrisé, connu, ce qui signifie qu'on peut y nommer à la fois les lieux (connaître les noms des rues, des hameaux, ainsi qu'être capable de dire à qui appartient telle terre, et qui la cultive) et les gens (identifier qui habite dans telle maison). Les lieux et les gens que l'on ne sait pas nommer, in fine, n'existent pas. Cette connaissance, ces villageois possessifs l'opposent à la ville, lieu de l'anonymat et de la démaîtrise par excellence. Tout le village est alors appréhendé à l'aune du critère « connaissance ». Ainsi, cette épouse d'agriculteur à la retraite parle des nouveaux habitants de son village comme ceux, avant toute chose, que l'on ne connaît pas : « Ah ben dans la rue-là, la nouvelle rue, c'est toutes des nouvelles maisons, avec des nouvelles gens. On ne les connaît pas hein. »29(*) Il faut noter que cette sociabilité n'est pas uniquement le fait des personnes « du village » : elle peut aussi être le fait de villageois nouveaux, originaires d'un village voisin ou de la région, et qui sont également sensibles au fait que le village soit un espace d'interconnaissance. Ainsi, ce jeune homme de 24 ans installé depuis peu avec sa femme dans un village de sa région nous explique ses premières relations avec ses nouveaux voisins : « (...) les gens du voisinage sont sympathiques aussi, je veux dire, la première fois que je suis venu ici, je me suis fait accoster par le fermier : « ah ouais, t'es le garçon de machin qui,... ah ouais. Et ton parrain, c'était qui ?... ». Tout de suite, c'est agréable, tu viens de 15 kilomètres plus loin et on sait qui t'es, donc il y avait déjà une reconnaissance avant d'habiter ici quoi, donc... ça c'est gai aussi quoi. »30(*) À côté de cette sociabilité traditionnelle émerge progressivement une nouvelle forme de sociabilité qui concerne principalement les personnes qui se sont installées au village sans en être originaires. Alors que dans la relation traditionnelle entre villageois, la proximité spatiale entraînait une proximité sociale, cette nouvelle forme de sociabilité comporte comme prérogative une distance sociale, malgré la proximité spatiale. Autrement dit, à l'inverse d'une norme « tout le monde parle avec tout le monde », il y a ici un basculement qui peut se traduire comme « personne n'est obligé de socialiser ». Cela ne veut pas dire qu'il n'y a plus de sociabilité dans les villages, mais celle-ci prend place selon des modalités différentes31(*) et ne va pas de soi. * 28 Bodson, op. cit., 1999, pp. 51-53. * 29 Entretien réalisé à Rumillies le 19/03/07. * 30 Entretien réalisé à Ere le 25/05/06. * 31 Bodson parle à cet égard de la sociabilité « barbecue-jardin-été », qui traduit cette volonté d'introduire de la proximité contrôlée dans de la distance requise. Bodson, op. cit., 1999, pp. 51-53. |
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