Fêtes de village et nouvelles appartenances. Les fêtes rurales en Hainaut occidental (Belgique)( Télécharger le fichier original )par Etienne Doyen Université Catholique de Louvain - Licence en Sociologie 2007 |
3.2. Analyse3.2.1. Du général... : Typologie des fêtes rurales dans le Hainaut occidentalIl est important pour notre démarche de dresser un état des lieux des fêtes rurales en Hainaut occidental. Il n'est pas ici question d'entreprendre un recensement exhaustif de toutes les festivités de la région115(*), pas plus qu'un travail ethnographique de description totale de certaines d'entre elles. Nous voulons avant tout développer une analyse qualitative de ces fêtes. Cependant, pour que cette analyse soit la plus juste possible, il nous semble important de la contextualiser, en décrivant le cadre global dans lequel les fêtes que nous avons analysées s'inscrivent. Pour ce faire, nous avons tenté, au terme du travail d'observation effectué sur le terrain et de l'analyse qui l'a suivi, de dégager les grandes tendances, plus précisément, les différentes formes des festivités de la région116(*). Pour réaliser cette typologie, nous nous sommes basés sur la partition réalisée par Fournier au sujet des fêtes rurales en Provence, évoquée supra. Pour rappel, Fournier scindait les fêtes provençales en trois types : les fêtes votives, rassemblant principalement la jeunesse locale sur un mode communautaire, les fêtes de confréries, qui sont des processions relativement ritualisées, et les fêtes thématiques, manifestations éclectiques et fort tournées vers l'extérieur. Dans le cas du Hainaut occidental, nous avons construit une typologie relativement similaire, les trois formes majeures de fêtes que nous identifions recouvrant en partie les types de Fournier. Nous présenterons d'abord les fêtes « chapiteaux », qui se rattachent aux fêtes votives ; viendront ensuite les fêtes à l'ancienne, qui présentent des similitudes avec les fêtes de confréries ; nous terminerons avec les fêtes thématiques et nouvelles fêtes de village, qui correspondent aux fêtes thématiques décrites par Fournier. 3.2.1.1. Les chapiteaux, extension des fêtes votivesLes « chapiteaux » sont les fêtes de village les plus répandues en Hainaut occidental. Comme nous l'avons dit, c'est une véritable saison qui prend place chaque été dans la région, avec plusieurs de ces évènements tous les week-ends117(*). L'expression « chapiteau » renvoie à la soirée du samedi, qui se déroule sous chapiteau, et est en fait métonymique : si cette soirée est bien le point d'orgue du week-end de fête, ce dernier comporte d'autres activités et ne se résume pas pour autant à ce moment. Ces fêtes comportent systématiquement la même structure en trois jours, vendredi-samedi-dimanche, à partir de laquelle nous allons ordonner le début de notre présentation. Suivront ensuite deux points plus analytiques, exposant d'une part la forme de ces fêtes, décrivant d'autre part le marché dans lequel elles s'insèrent. Le vendredi, premier jour de fête et première soiréeLe week-end commence le vendredi soir, avec l'ouverture officielle des festivités, suivie par une soirée sous chapiteau. Celle-ci prend la forme d'une soirée de jeunes, une « soirée techno » ; l'ambiance est comparable à celle d'une boîte de nuit, avec une musique « techno-club », des spots et des lasers. L'entrée de ces soirées est gratuite, effet de système qui trouve son origine dans la volonté des organisateurs d'attirer le public dès le vendredi, pour le faire revenir le samedi (l'affluence de la soirée du vendredi est moins importante que celle du samedi). La musique de ces soirées est assurée par des Disc Jokey's dont les tracts vantent les « références » (« est l'auteur de tel tube », « mixe dans tel club », etc.). Les noms de ces soirées sont généralement en anglais et participent de leur forme spécifique : « Exotic and Surf Party », « TechnoParty », « Decibel's Night » ou encore « Show Striptease ». Ce dernier exemple mérite d'être commenté : un village débute son week-end de fêtes avec une soirée strip-tease, « interdite aux moins de 18 ans ». Nous reviendrons infra sur ce cas, et nous verrons comment les « jolies filles », par un processus de surenchère, peuvent constituer des sujets en accord avec le « monde »118(*) d'une telle fête. * 115 Nous serions alors confrontés à l'épineux problème de la délimitation de notre objet : qu'est-ce qu'une fête rurale ? Faut-il, par exemple, considérer que le repas organisé pour l'anniversaire des 25 ans du vélo-club d'un village constitue une fête ? On soutiendra peut-être que non, puisque cet évènement n'est pas lié au village dans son ensemble. Mais quid alors des nouvelles fêtes rurales, qui ne rassemblent pas tout le village et attirent un public extérieur important ? Nous pourrions faire avancer le débat, sans pour autant le clore, en effectuant le distinguo entre fête privée et fête publique. Quoi qu'il en soit, la question des contours de l'objet, comme nous l'avions observé pour la catégorie « rural », apparaît ne pas être chose aisée. * 116 La typologie ici effectuée s'applique à la « saison » des fêtes, telle que nous l'avons identifiée, qui se déroule d'avril à octobre. Nous parlons donc ici des fêtes d'été. Nous avons voulu centrer notre typologie sur cette période car elle constitue de loin le moment de l'année le plus riche en fêtes, tant du point de vue de leur nombre que de leur diversité. * 117 Ces fêtes sont systématiquement organisées par un « comité des fêtes » ou un « comité de jeunes » du village concerné. Une exception à cette règle existe néanmoins : il s'agit des chapiteaux organisés par la Fédération de la Jeunesse Agricole, qui se déroulent dans un village mais en présentant peu de lien avec celui-ci. Les organisateurs ne sont en effet généralement pas issus du village où se déroule l'évènement ; ils appartiennent à la section régionale de la FJA. * 118 Nous nous référons ici à la théorie des cités et des mondes de Boltanski et Thévenot. Ces deux auteurs ont conceptualisé six cités, six univers cohérents comprenant des principes auxquels les individus se réfèrent au quotidien pour justifier leurs actions. Issues de la philosophie politique, ces cités sont relativement abstraites. Il est cependant possible de faire correspondre à chacune d'entre elles un monde, concret. Un monde est composé de sujets et d'objets légitimes, qui entretiennent une « affinité élective » avec la cité à laquelle ils se rapportent. Chez Boltanski et Thévenot, dans la cité domestique, par exemple, le sujet-type est le père. Il est même le « grand » dans ce monde. Les enfants, les jeunes sont également des sujets propres à un monde domestique. Il y a ainsi des répertoires d'objets et de sujets légitimes en accord avec toute situation. Dans une situation d'enseignement, par exemple, un auditoire, un tableau, un bureau sont des objets légitimes ; un magazine de presse à sensations ou une raquette de tennis, pas. Cette conceptualisation nous aide à appréhender les fêtes comme des mondes cohérents. Dans une fête urbaine, l'individu lambda n'imagine pas trouver un chapiteau avec un gymkhana et des pains saucisse. Une fête de village de type « chapiteau », c'est un monde, avec des objets et des sujets légitimes. Dans ces soirées, un chapiteau dans un champ est un objet légitime. Le DJ est un sujet légitime. Les « jolies filles » sont également légitimes, même s'il est difficile de trancher si elles sont des sujets ou des objets. Ceci est le cadre d'un autre débat, dans lequel nous ne voulons pas entrer. Voyons Boltanski L., Thévenot L., De la justification. Les économies de la grandeur, Paris, Gallimard, 1991. On se réfèrera utilement à la synthèse qui figure dans le deuxième chapitre de l'ouvrage suivant : Amblard H., Bernoux P., Herreros G., Lilian Y.-F., Les nouvelles approches sociologiques des organisations, Paris, Seuil, 1996, pp. 73-125. |
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