Fêtes de village et nouvelles appartenances. Les fêtes rurales en Hainaut occidental (Belgique)( Télécharger le fichier original )par Etienne Doyen Université Catholique de Louvain - Licence en Sociologie 2007 |
Rapport à notre objetC'est en exposant la relation que nous entretenons avec notre objet que nous allons conclure cette partie méthodologique. Notre auto-positionnement constitue sans conteste une clé pour contextualiser notre analyse. Loin d'évacuer le rapport à notre objet en considérant que celui-ci n'a pas d'effet, il convient au contraire de le mobiliser et de l'ériger en ressource pour l'analyse114(*). Nous allons donc ici tenter de délier succinctement cette relation, ce qui permettra au lecteur de mieux apprécier la portée de notre travail. Voici notre position : nous habitons un village, mais ne nous considérons pas comme un acteur du monde rural. Nous ne sommes pas engagé dans l'organisation d'une quelconque fête, pas plus que nous sommes un « aficionado » de ces manifestations ; nous y assistons peu. Pour autant, nous nous sentons « villageois » et n'éprouvons aucun sentiment de dédain ou de rejet par rapport à ces fêtes. Nous occupons une position intermédiaire, en quelque sorte, qui nous permet de leur jeter un regard aussi peu partial que possible. Ni trop familier, ni trop étranger à notre objet, nous pouvons conserver la distance nécessaire pour poser une analyse. Pour permettre à notre lecteur de mieux saisir notre auto-positionnement, nous proposons un extrait de notre cahier de terrain, écrit « à chaud » au terme d'une observation difficile. Dans ce passage, nous essayons de comprendre les causes de cet « échec d'observation », ce qui nous amène à délier la relation avec notre objet. Cet extrait illustre combien le ressenti ne constitue pas un frein mais une ressource pour l'analyse. 22h15. L'immersion a tourné court. Je suis arrivé à 21h50, me revoilà déjà dans la voiture. Ils étaient au grand maximum 100 dans le chapiteau. Je donne ma main à couper que 90 % d'entre eux sont du village ou des proches du patro, qui organise le week-end de fête. Ils boivent leur verre en petits groupes, assis ou debout ; beaucoup semblent se connaître. Dès que je rentre, je sens que je ne pourrais pas me fondre. Habillé en jeans, baskets, pull en laine et veste, je déteins déjà par mes vêtements. Je me dirige résolument vers le bar pour commander à boire, et je suis renvoyé à la « caisse des tickets ». Quelques secondes plus tard, je suis de retour avec le dit ticket et commande un Coca. Se pose alors la question : où je me mets ? Je m'installe finalement entre deux groupes, un peu à l'écart, et j'observe, tout en buvant mon Coca. C'est à ce moment-là que je ressens une distance considérable entre ma personne et les fêtards qui m'entourent. Ces hommes, de classe populaire et moyenne, qui rient fort, habillés en chemise ou en T-shirt, les plus jeunes en débardeur avec des casquettes (ceux qu'on appelle ici des baraquîs), ce n'est pas mon monde. Pourtant, je suis issu de la campagne moi aussi, en tout cas j'y habite depuis que je suis né ! Seulement voilà, mes parents ont précisément un rapport à l'espace rural en tant que cadre. J'en veux pour preuve triviale les après-midi et les week-ends entiers passés à tondre, tailler, élaguer, bêcher, planter,... dans notre jardin qui fait plus d'un demi-hectare. Jardin qui se situe dans un village qu'ils ont choisi, il y a vingt ans, en fonction de la maison. Peut-être que ce village, Rumillies, ne m'a pas non plus facilité les choses : il n'y a plus de comité des fêtes depuis plusieurs dizaines d'années, et rien finalement, n'est organisé au village, si ce n'est, depuis trois ans, la fête d'Halloween. Il n'y a pas de ducasse en été. Quoi qu'il en soit, moi qui ne suis maintenant au village que durant les week-ends, mais qui déjà avant, ne le fréquentait que finalement peu (scolarité, amis, loisirs, tout se faisait à Tournai toute proche), je ne me retrouve pas au milieu de ces 100 villageois qui ouvrent le week-end de festivités à Laplaigne. Qu'ils aient été de « mon » village, d'ailleurs, n'y aurait rien changé. Ils m'ont repéré. Certains se retournent plus ou moins discrètement. Ces regards deviennent rapidement insupportables, et je ne me sens pas à l'aise. Je ne suis pas invisible, je ne peux pas me fondre et observer « à mon aise » ; pour le coup, c'est moi l'observé. Je suis peut-être bientôt sociologue, mais pas encore « a-social »... Est-ce un échec ? Est-ce que finalement, je fais ce mémoire parce que j'ai envie d'appartenir à quelque chose que j'envie ? Je ne pense pas. Je pense pas non plus que ce travail constitue pour moi une manière de faire un « retour aux sources », ou une quelconque quête identitaire. Ce qui m'intéresse, ce dont je suis curieux, c'est la vivacité de ces fêtes. Et ces villageois, proches et lointains à la fois, qui ne sont décidément pas assimilables à des citadins. L'expérience a tourné court. Mon Coca, que j'ai pourtant essayé de faire durer, m'a lâché après dix minutes. Dix minutes, seul, dans cette salle, scruté furtivement par plusieurs paires d'yeux, c'est affreusement long. Entre ces groupes formés de personnes qui se connaissent, je ne me sens pas d'attaque à socialiser. Me présenter, poser des questions,... ce soir, je sens que je n'en ai pas l'énergie, l'obstacle est trop haut. Deux leçons pour l'avenir : de une, ne pas perdre de vue que le vendredi soir est toujours plus communautaire, intimiste. Si je veux me fondre, préférer le samedi soir. De deux, il est toujours bon d'avoir un contact à l'intérieur avant d'arriver. J'ai déjà réalisé de bonnes observations sans, mais cela m'aurait sûrement évité l'échec de ce soir. * 114 Devereux G., De l'angoisse à la méthode dans les sciences du comportement, Paris, Flammarion, 1980. Outre ce classique, voyons également la position de Bodson dans Les villageois, qui se réfère à Bertaux et son « imagination méthodologique ». Bodson, op. cit., 1993, pp. 13-17. |
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