2) Des « acteurs conquérants » de par leur
stratégies d'irrigation
Á leur arrivée dans la province de Mendoza, ces
acteurs issus de la mondialisation du vin et de son goût se mirent
à la recherche des terres les plus favorables à la production
d'un vin de qualité. Grâce à des stratégies
d'irrigation leur permettant d'optimiser la ressource en eau, ils purent
repousser la frontière agricole sur le piedmont andin et mettre en
valeur de nouvelles terres.
a) L'investissement dans un « capital hydraulique
propre »
L'exploitation de l'eau souterraine n'est pas un fait nouveau
à Mendoza. L'eau du soussol y fut toujours utilisée pour
compléter l'eau dérivée des cours d'eau lorsque les
débits de ces derniers étaient insuffisants. Il y aurait
aujourd'hui plus de 2 000 perforations dans l'Oasis de Valle de Uco. La
majorité d'entre elles furent creusées entre la fin des
années 1960 et le milieu des années 1970, période qui vit
se succéder trois sécheresses hydrologiques : 1968, 1969 et 1976.
Lors de la dernière, le débit annuel du Río
Tunuyán diminua de -36,5 %, passant de 1 016 hm3 en 1975 à
645 hm3 en 197654. C'est à cette époque, en 1974, que
furent votées les lois régissant l'exploitation de l'eau
souterraine (Ley de Aguas Subterráneas). Pour exploiter l'eau
du sous-sol, il faut préalablement avoir obtenu un permis d'exploitation
(permiso de exploitacion)
54 Cf. Figure 10
qui est « concédé », au même
titre que les « droits à l'irrigation » par le DGI. La figure
cidessous retrace l'évolution du nombre de permis d'exploitation
concédés par le DGI entre 1960 et 2008 dans l'Oasis de Valle de
Uco.
Figure 27 : Évolution du nombre de perforations dans
l'Oasis de Valle de Uco entre 1960 et 2008 (source : élaboration propre
d'après les données fournies par le DGI)
Les années 1960 et 1970 correspondent, en effet,
à une augmentation du nombre de perforations. Devant la diminution des
eaux apportées par le R½ o Tunuy«n, de nombreux
producteurs se tournèrent vers l'eau souterraine pour sécuriser
leur approvisionnement en eau. Les plus petits d'entre eux s'associèrent
pour faire face aux coûts élevés de la perforation : «
Nous étions onze en tout pour financer la construction du puit.
Aujourd'hui, il ne reste plus que nous. Les autres se sont retirés
car cela coûtait trop cher » (entretien avec Ricardo Appon).
D'autres utilisèrent le permis d'exploiter l'eau souterraine pour
augmenter la taille de leurs parcelles de vignes. Ce comportement
spéculatif, encouragé par le groupe Greco qui rachetait de
nombreuses bodegas avec l'appui des militaires, porta la superficie
viticole de la province à son maximum historique, 252 928 hectares en
1978 (BUSTOS R., TULET J.-C., 2005). Toutefois, l'effondrement des prix du vin
entre 1981 et 1982, en provoquant la chute de Greco qui représentait
alors 1/5ème du marché du vin en vrac
(PREVÔT-SCHAPIRA M.-F., BUNEL J., 1994), mit un terme à la
spéculation autour de l'eau souterraine. Tout au long de la crise, le
nombre de perforations resta stable, tandis que la superficie viticole de la
province diminuait avec
185 000 hectares en 1988, 143 700 en 1998 et 141 000 en 2000
soit 112 000 hectares de moins qu'en 1978. Il fallut attendre le milieu des
années 1990 et l'arrivée des acteurs de reconversion du vignoble
pour voir le nombre de perforations augmenter de nouveau.
D'après la carte 14, les perforations creusées
au cours des années 1990, furent utilisées pour mettre en
cultures des espaces situés en périphérie de l'oasis, sur
le piedmont, là où la nappe est la plus
profonde55.Quant à la carte 15, qui représente
l'occupation des sols, elle montre qu'au début des années 2000
ces espaces sont largement recouverts par de la vigne.
Carte 14 : Localisation des perforations creusées au
cours des années 1990 dans l'Oasis de Valle de Uco (source :
élaboration propre d'après les d o n n é e s f o u r n i e
s par l e D G I )
|
Carte 15 : Lien entre les perforations creusées au
cours des années 1990 et l'occupation des sols (source :
élaboration propre d'après les données fournies par le DGI
et la carte « Cultivos por grupos » réalisée par le
SIPH sur la base du recensement effectué par l'INA en 2002)
|
55 Cf. Carte 10
Le regain de la vigne dans la superficie cultivée de
l'oasis au cours des années 1990, tel qu'il a été mis en
évidence dans la première partie de ce mémoire, s'explique
donc par l'investissement des acteurs de la reconversion du vignoble dans un
« capital hydraulique propre » afin de pouvoir irriguer
leurs cépages fins avec de l'eau souterraine. Ainsi, entre 1996 et 1999,
alors que la vigne augmentât de 5 points dans la superficie
cultivée de l'oasis, passant de 15 à 20 %56, la
superficie cultivée exclusivement avec de l'eau superficielle diminuait
au profit de la superficie cultivée exclusivement avec de l'eau
souterraine ainsi que la superficie cultivée avec de l'eau superficielle
et de l'eau souterraine (usage mixte).
Tableau 6 : Évolution de la superficie cultivée
selon les sources d'approvisionnement en eau entre 1996 et 1999 dans l'Oasis de
Valle de Uco (source : CHAMBOULEYRON, J.L., 2002)
|
Années
|
1996
|
1999
|
V A
|
Superficie cultivée totale
|
ha
|
54 370
|
54 082
|
L
|
|
%
|
100
|
100
|
L
|
Sup. cultivée exclusivement avec de l'eau superficielle
|
ha
|
21 899
|
20 010
|
E
|
|
|
|
|
%
|
40
|
37
|
|
|
D
|
Sup. cultivée exclusivement avec de l'eau souterraine
|
ha
|
18 773
|
19 470
|
E
|
|
|
|
|
|
|
%
|
35
|
36
|
U C
|
Sup. cultivée avec de l'eau superficielle ET de l'eau
|
ha
|
13 696
|
14 602
|
souterraine (usage mixte)
|
O
|
|
%
|
25
|
27
|
|