B) Une « démocratie de l'eau » fragile
Le superintendant, à la tête du DGI, et l' «
Inspecteur des canaux d'irrigation », à la tête de l' «
association d'usagers », sont les deux acteurs de la gestion de l'eau qui
tirent leur légitimité des urnes.
L'eau relevant du domaine public, le Superintendant est
nommé par le Gouverneur de la
Province et confirmé par le Sénat provincial, comme
c'est le cas pour tous les fonctionnaires des
organes décentralisés du gouvernement provincial
(RETA, J., s.d.). Sa nomination peut alors rapidement devenir un
casse-tête pour le gouverneur ne disposant pas d'une majorité au
Sénat. De plus, le mandat du Superintendant dure cinq ans soit plus que
celui du Gouverneur de la Province, d'une durée de quatre, ce qui fait
de la Superintendance un « État dans l'État »
(Los Andes, 19/07/2009) selon l'expression de Lucio Duarte,
Superintendant de 2002 à 2007. L'eau dans la province de Mendoza est
donc moins une affaire d'hydraulique que de politique...
L' « Inspecteur des canaux d'irrigation » est, quant
à lui, élu par les usagers. Toutefois, le vote, qui a lieu tous
les quatre ans est obligatoire sous peine d'amende39, se
réalise sur la base de la superficie irriguée par des «
droits à l'irrigation ». Ainsi, plus la superficie que l'usager
irrigue avec des « droits à l'irrigation » est grande, plus sa
voix pèse dans l'élection de l' « Inspecteur » : le
rapport des voix pouvant aller de un à huit.
Tableau 3 : Pondération des votes en fonction de la
superficie irriguée par des « droits à l'irrigation »
(source : site internet DGI, 20/07/2009)
Superficie irriguée par des « droits à
l'irrigation »
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Votes pondérés
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de 1 000 m2 à 5 ha
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1
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de 5 à 10 ha
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2
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de 10 à 20 ha
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4
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de 20 à 30 ha
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6
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plus de 30 ha
|
8
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Dès lors, ce système avantage clairement les
usagers dont la superficie irriguée par des « droits à
l'irrigation » est grande. Il avantage, en outre, les usagers irriguant
leurs cultures avec les techniques d'irrigation sous-pression qui,
détachées des contraintes de la gravité, permettent
d'augmenter les superficies cultivées. Les modalités de cette
« démocratie de l'eau » pourraient ainsi expliquer le relatif
désintérêt des usagers pour la gestion de l'eau. Selon l'
« association d'usagers » Canal Matriz Valle de Uco Margen
Derecha, très peu d'usagers assistent aux deux assemblées
annuelles (Entretien n°4). Les entretiens réalisés avec
quelques-uns d'entre eux contredisent cette affirmation, les usagers affirmant
s'y rendre aussi souvent que possible.
39 Le montant de l'amende est égal à
trois fois le prix de l'irrigation d'un hectare de terre à la date de
l'élection
L'assistance à ces assemblées est, en effet,
perçue comme un devoir par les usagers : « Nous assistons aux
assemblées non-seulement pour approuver ou solliciter des travaux, mais
aussi pour exercer notre droit de regard sur la gestion de l'eau. Car, aussi
bien le DGI que « l'association d'usagers » sont des organismes
autonomes qui fonctionnent grâce à l'argent qu'ils nous
prélèvent pour le service d'approvisionnement en eau »
(Entretien n°2).
Cependant, lorsque ce devoir a lieu en même temps que
leur « tour d'eau », les usagers n'ayant pas les moyens de contracter
un tiers pour irriguer à leur place ne peuvent le remplir : «
Si je suis en train de travailler, je ne peux pas y aller car je n'ai pas
les moyens de déléguer mon travail à quelqu'un d'autre. En
plus, je ne peux pas me permettre de perdre un " tour" d'eau car, ici,
l'intervalle entre deux " tours" est de 12 jours. Donc, "au revoir"
l'assemblée ! » (Entretien n°3). Pour ce qui est des
motivations des usagers pour assister aux assemblées, elles sont
essentiellement financières : « J'assiste à ces
assemblées car on y apprend généralement beaucoup de
choses sur la gestion de l'eau : comment est calculé le budget de l'
"association d'usagers", combien coûte l'irrigation... »
(Entretien n°6) ; « J'y vais pour savoir quels sont les travaux
à venir et combien va être dépensé sur ce que je
paye » (Entretien n°2) ; « Ces assemblées sont
organisées pour calculer le budget de l' " association d'usagers". On
décide des travaux à réaliser, on évalue leurs
coûts et on décide du prix de l'irrigation » (Entretien
n°3). Très peu d'usagers déclarent assister aux
assemblées pour l'élection de l'Inspector de Cauces
(Entretiens n°1 et 14) ou pour les coupures d'eau en hiver
(cortas de agua, Entretien n°5). Les usagers se
préoccupent donc davantage des questions financières que des
autres, car c'est sur eux, à travers le prix de l'irrigation qu'ils
payent aux différents acteurs de la gestion de l'eau, que repose le
financement du système d'irrigation traditionnel : « le
système est entièrement financé par l'usager »
(Entretien n°9).
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