Liste des abréviations
EAP : Exploitación Agropecuaria
DEIE : Dirección de Estadísticas e
Investigaciones Económias DGI : Departamento General de
Irrigación
DPV : Dirección Provincial de Vialidad
IERAL : Instituto de Estudios de la Realidad Argentina y
Lationoamérica GYTT : Generación Y Transferencia de
Tecnología
ICAT : Inspecciones de Cauces Asociadas de Tupungato
INA : Instuto Nacional del Agua
INDEC : Instituto Nacional de Estadísticas y
Censos
INTA : Instituto Nacional de de Tecnología
Agropecuaria
INV : Instituto Nacional de Vitivinicultura
NBI : Necesidades Básicas insatisfechas
PCSI : Programme Commun Système
Irrigués
SIPH : Sistema de Información para la
Planificación Hídrica
UNC : Universidad Nacional de Cuyo
Introduction
« "Mendoza doit surveiller ses réserves en eau
qui s'amenuisent" » (Los Andes, 23/06/2002) ; « Le
réchauffement climatique se répercute sur les glaciers
mendocins » (Los Andes, 03/02/2007) ; « "Dans les
prochaines années, l'eau aura autant de valeur que l'or" »
(Los Andes, 09/09/2007), tels sont les titres récurrents de la
presse dans la province de Mendoza. Tous posent la question de la
durabilité de la ressource en eau issue des glaciers andins.
Cette question de la durabilité mérite
d'être posée à plus d'un titre. D'abord, parce que la
province de Mendoza, située dans l'ouest argentin entre 70 et 67°
de longitude Ouest et 32 et 37° de latitude Sud, est
caractérisée par un contexte d'aridité : les 300 mm
annuels de précipitations, qui arrosent les 2/3 de la province
(CAPITANELLI R.G., 1999), ne suffisent pas à combler les besoins en eau.
Il faut alors chercher un apport d'eau externe, soit par pompages dans les
nappes phréatiques, soit par dérivation des cours d'eau
superficiels dont les débits sont tributaires de l'eau de fonte
nivo-glaciaire (MILANA J.P., 1998). Ensuite, parce que ces besoins sont en
constante augmentation du fait de la multiplication des usages de l'eau, ce qui
conduit à une exploitation toujours plus intensive de la ressource en
eau et à des conflits d'usages (LAVIE E., 2007). Car, en dernier lieu,
le réchauffement climatique et le retrait des glaciers, mis en
évidence par plusieurs études, pourraient avoir des
conséquences sur la disponibilité de la ressource en eau
glaciaire : les cours d'eau andins, en passant d'un régime glaciaire
à un régime nival, verraient leur pic des hautes eaux
atténué et la période des hautes eaux devenir plus
précoce (COSSART E., LE GALL J., 2008). Or, jusqu'à
présent la période des hautes eaux est centrée sur la
période végétative. Une avancée de celle-ci vers la
fin de l'hiver (septembre) ou même le printemps (octobre-novembre)
engendrerait un décalage entre la disponibilité en eau et les
besoins hydriques des cultures qui pourrait à terme remettre en question
la pratique de l'agriculture dans cette province aride (DROCOURT, Y., 2008).
Pour toutes ces raisons, la disponibilité de la
ressource en eau dans la province de Mendoza est une question
d'actualité qui passionne les foules tant scientifiques que profanes.
L'eau y est perçue comme une « culture » (Los
Andes, 19/11/2008) grâce à laquelle « le peuple
mendocin est parvenu à transformer un désert en oasis »
(Los Andes, 06/11/2008). Au nombre de trois, ces oasis concentrent 98%
de la population sur moins de 3% de la superficie provinciale et contribuent
à structurer l'espace selon une dichotomie zone irriguée/zone
non-irriguée (MONTAÑA, E., 2003). En effet, l'eau étant le
principal facteur limitant, le développement des oasis était
conditionné, jusqu'à récemment, par la possibilité
de capter les cours d'eau ou ríos qui descendent de la
Cordillère. Pour cette raison, les oasis se sont installées sur
les cônes de déjection des cours d'eau dont les
dépôts sédimentaires ont engendrés des conditions
édaphiques favorables à une mise en cultures (COSSART E., LE GALL
J., 2008). Ainsi, l'Oasis Nord, où se situe l'agglomération de
Mendoza, est irriguée par le Río Mendoza et est surtout
occupée par la vigne qui représente les 2/3 des cultures (BUSTOS
R., TULET J.-C., 2005) . L'Oasis Centre, hébergeant le Valle de Uco qui
est aujourd'hui la partie agricole la plus dynamique, est irriguée par
la Río Tunuyan (Ibid). Quant à l'Oasis Sud, qui
possède la superficie cultivable la plus étendue, il est
irrigué par les Ríos Diamante et Atuel
(Ibid).
Malgré la multiplication des usages de l'eau avec la
construction d'infrastructures hydrauliques1, l'irrigation agricole
représente 84% des usages, 62% de l'eau superficielle disponible et 89%
de l'eau souterraine extraite annuellement (RETA, J., s.d.). L'irrigation
agricole repose sur un réseau de canaux (acequias)
hérité de l'époque pré-colombienne. Avant
l'arrivée des Espagnols, les Indiens Huarpes, aidé en cela par
les Incas2, avaient mis en place un système d'irrigation qui
consistait à dériver les eaux du Río Mendoza en
mettant à profit la pente
1 La construction de barrages de retenue a
favorisé de nouveaux usages tels que les loisirs et
l'hydroélectricité qui se sont ajoutés au triptyque
irrigation agricole-approvisionnement domestique-usage industriel.
2 Á noter que la participation des Incas
à la construction du système d'irrigation mendocin est sujette
à caution mais comme le rappelle PONTE J.R (2006) : « Etant
donné l'avance des Incas en matière d'hydraulique, il est permis
de penser qu'ils auraient aider les Indiens Huarpes à tirer le meilleur
parti de la ressource en eau disponible sur leur territoire ».
du cône de déjection afin d'irriguer leurs
cultures par inondation : « Pour s'approvisionner en eau potable et
irriguer leurs cultures, les indigènes utilisaient un bras de l'actuel
Río Mendoza qui, à la sortie de la gorge des monts de
Cacheuta, bifurquait vers le Nord. Ce canal improvisé suivait
une faille géologique menant jusqu'au cône de déjection sur
lequel s'est construite l'actuelle conurbation mendocine » (PONTE,
J.R, 2006). Ce système d'irrigation fut consolidé et
élargi au cours du temps dans le but d'augmenter la superficie
irriguée qui passa de 11 107 hectares en 1761 à 32 945 en
18963 (Ibid). L'augmentation de la superficie
irriguée se poursuivit au XXe siècle, grâce
notamment à l'utilisation des eaux souterraines qui permit d'incorporer
à l'agriculture des zones arides que les canaux d'irrigation
n'atteignaient pas (COSSART E., LE GALL J., 2008). C'est ainsi que le
développement rural fut constamment articulé au système
d'irrigation, associant le parcellaire au maillage des canaux d'irrigation ou
à la nécessaire exploitation de la pente et ce
indépendamment de la source d'approvisionnement en eau
(Ibid).
Bien qu'aujourd'hui la superficie irriguée de la
province dépasse les 350 000 hectares (ARAUJO E.D., BERTRANOU A., 2004),
le système d'irrigation gravitaire initié par les populations
pré-colombiennes fonctionne toujours dans ses grandes lignes qui ont
été codifiées par la Ley General de Aguas (1884)
et institutionnalisées par la Constitution provinciale (1894). L'eau,
relevant du domaine public, est gérée par une institution
autonome, le Departamento General de Irrigación (DGI), qui la
concède aux usagers sous forme de droits à l'irrigation. Ces
droits à d'irrigation sont, en vertu du « principe
d'inhérence », indissociables de la terre pour laquelle ils ont
été concédés. La distribution de l'eau s'effectue
par tours durant lesquels chaque usager reçoit une quantité d'eau
proportionnelle à la superficie qu'il est censé irriguer
grâce à son droit à l'irrigation. La clé de
voûte du système d'irrigation réside, en effet, dans le
« coefficient d'irrigation » qui, issu du rapport entre la
quantité d'eau disponible (retenue par un barrage ou
dérivée d'un cours d'eau) et la superficie totale à
irriguer, fonde sa prétention à garantir un accès
équitable de la ressource en eau entre des usagers partageant un
même capital hydrique.
3 Cf. Annexe I
Á l'inverse, l'accès à l'eau souterraine
ne semble pas obéir aux mêmes critères
d'équité. Depuis les années 1990 et l'ouverture de la
province aux capitaux étrangers, l'usage de cette ressource tend
à en favoriser l'accès aux acteurs dont le pouvoir
économique leur permet de faire face aux coûts
élevés de la perforation d'une part, et de l'énergie
requise par le pompage d'autre part. L'investissement dans un «
capital hydraulique propre » (RUF Th., 2004) s'est
accompagné chez ces acteurs de stratégies d'irrigation visant
à rentabiliser au mieux la ressource extraite des nappes
phréatiques grâce à l'introduction de technologies
modernes. Cette évolution vers un usage toujours plus intensif de l'eau
souterraine est particulièrement représentée dans la
vitiviniculture dont la reconversion vers la qualité depuis une
vingtaine d'années a fait de l'optimisation des ressources en eau une
priorité. Dès lors, les acteurs de la reconversion du vignoble se
sont tournés vers l'irrigation au goutte à goutte afin de
s'affranchir des contraintes de la gravité qui pèsent sur le
système d'irrigation traditionnel et pouvoir repousser la
frontière agricole sur le piedmont andin, se rapprochant ainsi des
réserves d'eau que constituent les glaciers.
Ecrire un mémoire qui s'intitule « Des
glaciers au vignoble », c'est donc se poser la question de la
durabilité de la ressource en eau qui, parce qu'elle est au coeur de
l'actualité, se situe à la croisée des chemins
scientifique et médiatique : la crainte d'une pénurie d'eau
est-elle scientifiquement fondée ou bien est-elle
surévaluée par la médiatisation du réchauffement
climatique ?
C'est également se poser la question de sa gestion dont
il est indispensable d'en connaître les limites pour l'améliorer :
dans quelle mesure une gestion de l'eau basée sur l'offre peut-elle
continuer à fonctionner alors que cette dernière pourrait,
à l'avenir, diminuer ?
La gestion de l'eau d'irrigation est cruciale pour
l'agriculture dont le poids croissant dans le PIB de la province4
repose en grande partie sur le secteur vitivinicole, « pivot autour
duquel s'organise toute la vie politique, sociale, culturelle de la
région de Mendoza » (BUSTOS R., TULET J.-C., 2005). Selon la
Bolsa de Commercio de Mendoza et l'IERAL5 (2007), celui-ci
représente la moitié de la production agricole et 39 % de ses
exportations (contre 20 % en 2001). Il participe ainsi pleinement à
l'insertion de la province dans les échanges internationaux et ce,
particulièrement depuis les années 1990 et la politique
néo-libérale menée par le président Carlos Menem.
La « décentralisation compétitive » qu'il mit en place
contraignait, en effet, l'État à se retirer des affaires ainsi
qu'à « laisser le marché organiser le déploiement
spatial de l'économie » (VELUT, S., 2002). Ne pouvant plus
compter sur l'État, la province dut s'ouvrir aux capitaux
étrangers pour financer la modernisation et la reconversion de son
vignoble vers un vin de qualité. Cette ouverture aux capitaux
étrangers s'est traduite par l'arrivée de nouveaux acteurs dont
les stratégies d'irrigation leur ont permis de recréer, sur le
piedmont, les conditions du « terroir » européen et d'y
produire des vins de qualité qu'ils exportent sous l'appellation «
Vin du Nouveau Monde ». En outre, il s'agit également de se poser
la question des conséquences de la mondialisation sur l'agriculture
irriguée d'un pays émergent : le développement d'une
activité créatrice de richesses, en liaison avec les
marchés mondiaux, diminue t-elle les inégalités entre les
habitants, anciens et nouveaux, d'un même territoire, ou au contraire les
exacerbe t-elle ?
Car, comme tous les territoires qui « gagnent » au
jeu de la mondialisation, la province de Mendoza compte des «
gagnants » mais aussi des « perdants »
(MESCLIER É., CHALÉARD J.-
L., 2006). Il y a, en effet, ceux qui ont réussi
à prendre le train avant qu'il ne démarre, ceux qui l'ont pris en
marche et ceux qui sont restés sur le quai, obligés d'attendre le
prochain. Partant du principe que Mendoza est une province aride dans laquelle
l'eau est un facteur limitant et son accès un facteur de
réussite, il s'agit ici de retrouver les « gagnants »
et les « perdants » à travers
4 Cf. Annexe II
5 Instituto de Estudios de la Realidad Argentina y
Lationoamérica
leur accès à la ressource en eau afin
d'appréhender les défis que posent le réchauffement
climatique et la mondialisation à la gestion de la ressource en eau. Les
hypothèses de travail qui en découlent sont les suivantes :
· Les « gagnants », seraient les
nouveaux habitants de l'oasis. Leur investissement dans un « capital
hydraulique propre », qui s'est accompagné de stratégie
d'irrigation visant à optimiser l'eau souterraine, a donné lieu
à un nouvel accès à l'eau qui, détaché des
lois de la gravité, leur permit de faire table rase du « principe
d'inhérence » de l'eau à la terre et de conquérir,
sur les pentes du piedmont, une « liberté économique et
de conduite de l'irrigation » (FALIÈS, C., VELUT, S.,
2008).
· Les « perdants », quant à
eux, seraient les anciens habitants de l'oasis. N'ayant pas eût les
moyens financiers d'investir dans un « capital hydraulique propre
» et l'opportunité de se doter des nouvelles technologies
d'irrigation, sont restés « prisonniers » des lois de la
gravité qui pèsent sur le système d'irrigation
traditionnel où l'eau est inhérente à la terre et son
accès fondé sur la proximité physique du cours d'eau.
· Entre les « gagnants » et les
« perdants », il serait possible de distinguer un
troisième type d'acteur, majoritairement composé d'anciens
habitants de l'oasis. Ces derniers ont investi dans un « capital
hydraulique propre », mais sont restés dans le système
d'irrigation traditionnel. Ils irriguent donc leurs parcelles avec de l'eau
souterraine ainsi qu'avec l'eau de leur « droit à l'irrigation
» recueillis dans des réservoirs. Ils ont, néanmoins investi
dan les nouvelles techniques d'irrigation pour s'affranchir des lois de la
gravité qui pèse sur le système d'irrigation traditionnel
afin d'étendre leurs superficies cultivées selon un modèle
d'accumulation capitaliste caractérisé par la mondialisation de
l'agriculture.
A partir de ces hypothèses de travail, il s'agira de
montrer que ce passage d'un accès à l'eau traditionnel et
gravitaire à un accès technologique et décomplexé
des lois de la gravité
constitue le moteur de la recomposition spatiale de l'Oasis de
Valle de Uco. Pour ce faire, trois parties sont proposées au lecteur.
La première partie a pour objectif de présenter
le cadre d'études. La description des caractéristiques physiques
de la province devrait permettre de comprendre les enjeux autour de la
ressource en eau (en premier lieu celui de l'irrigation) et la manière
dont elle contribue à structurer l'espace autour d'oasis dont celui de
Valle de Uco. Une brève histoire du développement de cet oasis
devrait aider à en éclairer les dynamiques actuelles. Celles-ci
ne doivent cependant pas faire oublier que la majorité de la superficie
cultivée reste irriguée par des cours d'eau dont les
débits ne sont pas régulés, ce qui, dans le cas du
réchauffement climatique actuel, pose la question de la
disponibilité de la ressource en eau nivo-glaciaire et donc de sa
gestion.
La seconde partie se propose de présenter les principes
et acteurs de la gestion de l'eau dans le système d'irrigation
traditionnel. Que l'on ne s'y méprenne pas : il ne s'agit pas ici de
faire le procès du système d'irrigation traditionnel, mais
plutôt de comprendre dans quelle mesure les modalités de gestion
de la ressource en eau ont contribué à l'émergence d'une
« hydraulique individuelle » (RUF, Th., 2004). Le fait
qu'à un moment donné certains acteurs aient
préféré investir dans un « capital hydraulique
propre » plutôt que de maintenir un « capital social
» dans une organisation commune n'est pas anodin et demande un examen
attentif des modalités de la gestion de l'eau afin d'en identifier les
facteurs de blocage.
La troisième partie a pour but de resituer le
développement de cette « hydraulique individuelle »
dans son contexte, celui de la reconversion du vignoble oasien vers un vin de
qualité dans les années 1990 dont elle aborde les transformations
territoriales et socioéconomiques. Il s'agit en outre de montrer comment
l'innovation technologique en matière d'irrigation a engendré un
nouveau type d'accès à l'eau qui redessine les limites de l'oasis
et reproduit dans une large mesure la ligne de partage entre les «
gagnants » et les « perdants ».
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