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Des glaciers au vignoble : gestion de l'eau et stratégies d'irrigation dans les "terroirs" vitivinicoles de l'oasis de Valle de Uco (Mendoza, Argentine)

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par Joris Robillard
Université Paris 1 Panthéon Sorbonne - Master 1  2008
  

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Liste des abréviations

EAP : Exploitación Agropecuaria

DEIE : Dirección de Estadísticas e Investigaciones Económias DGI : Departamento General de Irrigación

DPV : Dirección Provincial de Vialidad

IERAL : Instituto de Estudios de la Realidad Argentina y Lationoamérica GYTT : Generación Y Transferencia de Tecnología

ICAT : Inspecciones de Cauces Asociadas de Tupungato

INA : Instuto Nacional del Agua

INDEC : Instituto Nacional de Estadísticas y Censos

INTA : Instituto Nacional de de Tecnología Agropecuaria

INV : Instituto Nacional de Vitivinicultura

NBI : Necesidades Básicas insatisfechas

PCSI : Programme Commun Système Irrigués

SIPH : Sistema de Información para la Planificación Hídrica

UNC : Universidad Nacional de Cuyo

Introduction

« "Mendoza doit surveiller ses réserves en eau qui s'amenuisent" » (Los Andes, 23/06/2002) ; « Le réchauffement climatique se répercute sur les glaciers mendocins » (Los Andes, 03/02/2007) ; « "Dans les prochaines années, l'eau aura autant de valeur que l'or" » (Los Andes, 09/09/2007), tels sont les titres récurrents de la presse dans la province de Mendoza. Tous posent la question de la durabilité de la ressource en eau issue des glaciers andins.

Cette question de la durabilité mérite d'être posée à plus d'un titre. D'abord, parce que la province de Mendoza, située dans l'ouest argentin entre 70 et 67° de longitude Ouest et 32 et 37° de latitude Sud, est caractérisée par un contexte d'aridité : les 300 mm annuels de précipitations, qui arrosent les 2/3 de la province (CAPITANELLI R.G., 1999), ne suffisent pas à combler les besoins en eau. Il faut alors chercher un apport d'eau externe, soit par pompages dans les nappes phréatiques, soit par dérivation des cours d'eau superficiels dont les débits sont tributaires de l'eau de fonte nivo-glaciaire (MILANA J.P., 1998). Ensuite, parce que ces besoins sont en constante augmentation du fait de la multiplication des usages de l'eau, ce qui conduit à une exploitation toujours plus intensive de la ressource en eau et à des conflits d'usages (LAVIE E., 2007). Car, en dernier lieu, le réchauffement climatique et le retrait des glaciers, mis en évidence par plusieurs études, pourraient avoir des conséquences sur la disponibilité de la ressource en eau glaciaire : les cours d'eau andins, en passant d'un régime glaciaire à un régime nival, verraient leur pic des hautes eaux atténué et la période des hautes eaux devenir plus précoce (COSSART E., LE GALL J., 2008). Or, jusqu'à présent la période des hautes eaux est centrée sur la période végétative. Une avancée de celle-ci vers la fin de l'hiver (septembre) ou même le printemps (octobre-novembre) engendrerait un décalage entre la disponibilité en eau et les besoins hydriques des cultures qui pourrait à terme remettre en question la pratique de l'agriculture dans cette province aride (DROCOURT, Y., 2008).

Pour toutes ces raisons, la disponibilité de la ressource en eau dans la province de Mendoza est une question d'actualité qui passionne les foules tant scientifiques que profanes. L'eau y est perçue comme une « culture » (Los Andes, 19/11/2008) grâce à laquelle « le peuple mendocin est parvenu à transformer un désert en oasis » (Los Andes, 06/11/2008). Au nombre de trois, ces oasis concentrent 98% de la population sur moins de 3% de la superficie provinciale et contribuent à structurer l'espace selon une dichotomie zone irriguée/zone non-irriguée (MONTAÑA, E., 2003). En effet, l'eau étant le principal facteur limitant, le développement des oasis était conditionné, jusqu'à récemment, par la possibilité de capter les cours d'eau ou ríos qui descendent de la Cordillère. Pour cette raison, les oasis se sont installées sur les cônes de déjection des cours d'eau dont les dépôts sédimentaires ont engendrés des conditions édaphiques favorables à une mise en cultures (COSSART E., LE GALL J., 2008). Ainsi, l'Oasis Nord, où se situe l'agglomération de Mendoza, est irriguée par le Río Mendoza et est surtout occupée par la vigne qui représente les 2/3 des cultures (BUSTOS R., TULET J.-C., 2005) . L'Oasis Centre, hébergeant le Valle de Uco qui est aujourd'hui la partie agricole la plus dynamique, est irriguée par la Río Tunuyan (Ibid). Quant à l'Oasis Sud, qui possède la superficie cultivable la plus étendue, il est irrigué par les Ríos Diamante et Atuel (Ibid).

Malgré la multiplication des usages de l'eau avec la construction d'infrastructures hydrauliques1, l'irrigation agricole représente 84% des usages, 62% de l'eau superficielle disponible et 89% de l'eau souterraine extraite annuellement (RETA, J., s.d.). L'irrigation agricole repose sur un réseau de canaux (acequias) hérité de l'époque pré-colombienne. Avant l'arrivée des Espagnols, les Indiens Huarpes, aidé en cela par les Incas2, avaient mis en place un système d'irrigation qui consistait à dériver les eaux du Río Mendoza en mettant à profit la pente

1 La construction de barrages de retenue a favorisé de nouveaux usages tels que les loisirs et l'hydroélectricité qui se sont ajoutés au triptyque irrigation agricole-approvisionnement domestique-usage industriel.

2 Á noter que la participation des Incas à la construction du système d'irrigation mendocin est sujette à caution mais comme le rappelle PONTE J.R (2006) : « Etant donné l'avance des Incas en matière d'hydraulique, il est permis de penser qu'ils auraient aider les Indiens Huarpes à tirer le meilleur parti de la ressource en eau disponible sur leur territoire ».

du cône de déjection afin d'irriguer leurs cultures par inondation : « Pour s'approvisionner en eau potable et irriguer leurs cultures, les indigènes utilisaient un bras de l'actuel Río Mendoza qui, à la sortie de la gorge des monts de Cacheuta, bifurquait vers le Nord. Ce canal improvisé suivait une faille géologique menant jusqu'au cône de déjection sur lequel s'est construite l'actuelle conurbation mendocine » (PONTE, J.R, 2006). Ce système d'irrigation fut consolidé et élargi au cours du temps dans le but d'augmenter la superficie irriguée qui passa de 11 107 hectares en 1761 à 32 945 en 18963 (Ibid). L'augmentation de la superficie irriguée se poursuivit au XXe siècle, grâce notamment à l'utilisation des eaux souterraines qui permit d'incorporer à l'agriculture des zones arides que les canaux d'irrigation n'atteignaient pas (COSSART E., LE GALL J., 2008). C'est ainsi que le développement rural fut constamment articulé au système d'irrigation, associant le parcellaire au maillage des canaux d'irrigation ou à la nécessaire exploitation de la pente et ce indépendamment de la source d'approvisionnement en eau (Ibid).

Bien qu'aujourd'hui la superficie irriguée de la province dépasse les 350 000 hectares (ARAUJO E.D., BERTRANOU A., 2004), le système d'irrigation gravitaire initié par les populations pré-colombiennes fonctionne toujours dans ses grandes lignes qui ont été codifiées par la Ley General de Aguas (1884) et institutionnalisées par la Constitution provinciale (1894). L'eau, relevant du domaine public, est gérée par une institution autonome, le Departamento General de Irrigación (DGI), qui la concède aux usagers sous forme de droits à l'irrigation. Ces droits à d'irrigation sont, en vertu du « principe d'inhérence », indissociables de la terre pour laquelle ils ont été concédés. La distribution de l'eau s'effectue par tours durant lesquels chaque usager reçoit une quantité d'eau proportionnelle à la superficie qu'il est censé irriguer grâce à son droit à l'irrigation. La clé de voûte du système d'irrigation réside, en effet, dans le « coefficient d'irrigation » qui, issu du rapport entre la quantité d'eau disponible (retenue par un barrage ou dérivée d'un cours d'eau) et la superficie totale à irriguer, fonde sa prétention à garantir un accès équitable de la ressource en eau entre des usagers partageant un même capital hydrique.

3 Cf. Annexe I

Á l'inverse, l'accès à l'eau souterraine ne semble pas obéir aux mêmes critères d'équité. Depuis les années 1990 et l'ouverture de la province aux capitaux étrangers, l'usage de cette ressource tend à en favoriser l'accès aux acteurs dont le pouvoir économique leur permet de faire face aux coûts élevés de la perforation d'une part, et de l'énergie requise par le pompage d'autre part. L'investissement dans un « capital hydraulique propre » (RUF Th., 2004) s'est accompagné chez ces acteurs de stratégies d'irrigation visant à rentabiliser au mieux la ressource extraite des nappes phréatiques grâce à l'introduction de technologies modernes. Cette évolution vers un usage toujours plus intensif de l'eau souterraine est particulièrement représentée dans la vitiviniculture dont la reconversion vers la qualité depuis une vingtaine d'années a fait de l'optimisation des ressources en eau une priorité. Dès lors, les acteurs de la reconversion du vignoble se sont tournés vers l'irrigation au goutte à goutte afin de s'affranchir des contraintes de la gravité qui pèsent sur le système d'irrigation traditionnel et pouvoir repousser la frontière agricole sur le piedmont andin, se rapprochant ainsi des réserves d'eau que constituent les glaciers.

Ecrire un mémoire qui s'intitule « Des glaciers au vignoble », c'est donc se poser la question de la durabilité de la ressource en eau qui, parce qu'elle est au coeur de l'actualité, se situe à la croisée des chemins scientifique et médiatique : la crainte d'une pénurie d'eau est-elle scientifiquement fondée ou bien est-elle surévaluée par la médiatisation du réchauffement climatique ?

C'est également se poser la question de sa gestion dont il est indispensable d'en connaître les limites pour l'améliorer : dans quelle mesure une gestion de l'eau basée sur l'offre peut-elle continuer à fonctionner alors que cette dernière pourrait, à l'avenir, diminuer ?

La gestion de l'eau d'irrigation est cruciale pour l'agriculture dont le poids croissant dans le PIB de la province4 repose en grande partie sur le secteur vitivinicole, « pivot autour duquel s'organise toute la vie politique, sociale, culturelle de la région de Mendoza » (BUSTOS R., TULET J.-C., 2005). Selon la Bolsa de Commercio de Mendoza et l'IERAL5 (2007), celui-ci représente la moitié de la production agricole et 39 % de ses exportations (contre 20 % en 2001). Il participe ainsi pleinement à l'insertion de la province dans les échanges internationaux et ce, particulièrement depuis les années 1990 et la politique néo-libérale menée par le président Carlos Menem. La « décentralisation compétitive » qu'il mit en place contraignait, en effet, l'État à se retirer des affaires ainsi qu'à « laisser le marché organiser le déploiement spatial de l'économie » (VELUT, S., 2002). Ne pouvant plus compter sur l'État, la province dut s'ouvrir aux capitaux étrangers pour financer la modernisation et la reconversion de son vignoble vers un vin de qualité. Cette ouverture aux capitaux étrangers s'est traduite par l'arrivée de nouveaux acteurs dont les stratégies d'irrigation leur ont permis de recréer, sur le piedmont, les conditions du « terroir » européen et d'y produire des vins de qualité qu'ils exportent sous l'appellation « Vin du Nouveau Monde ». En outre, il s'agit également de se poser la question des conséquences de la mondialisation sur l'agriculture irriguée d'un pays émergent : le développement d'une activité créatrice de richesses, en liaison avec les marchés mondiaux, diminue t-elle les inégalités entre les habitants, anciens et nouveaux, d'un même territoire, ou au contraire les exacerbe t-elle ?

Car, comme tous les territoires qui « gagnent » au jeu de la mondialisation, la province de Mendoza compte des « gagnants » mais aussi des « perdants » (MESCLIER É., CHALÉARD J.-

L., 2006). Il y a, en effet, ceux qui ont réussi à prendre le train avant qu'il ne démarre, ceux qui l'ont pris en marche et ceux qui sont restés sur le quai, obligés d'attendre le prochain. Partant du principe que Mendoza est une province aride dans laquelle l'eau est un facteur limitant et son accès un facteur de réussite, il s'agit ici de retrouver les « gagnants » et les « perdants » à travers

4 Cf. Annexe II

5 Instituto de Estudios de la Realidad Argentina y Lationoamérica

leur accès à la ressource en eau afin d'appréhender les défis que posent le réchauffement climatique et la mondialisation à la gestion de la ressource en eau. Les hypothèses de travail qui en découlent sont les suivantes :

· Les « gagnants », seraient les nouveaux habitants de l'oasis. Leur investissement dans un « capital hydraulique propre », qui s'est accompagné de stratégie d'irrigation visant à optimiser l'eau souterraine, a donné lieu à un nouvel accès à l'eau qui, détaché des lois de la gravité, leur permit de faire table rase du « principe d'inhérence » de l'eau à la terre et de conquérir, sur les pentes du piedmont, une « liberté économique et de conduite de l'irrigation » (FALIÈS, C., VELUT, S., 2008).

· Les « perdants », quant à eux, seraient les anciens habitants de l'oasis. N'ayant pas eût les moyens financiers d'investir dans un « capital hydraulique propre » et l'opportunité de se doter des nouvelles technologies d'irrigation, sont restés « prisonniers » des lois de la gravité qui pèsent sur le système d'irrigation traditionnel où l'eau est inhérente à la terre et son accès fondé sur la proximité physique du cours d'eau.

· Entre les « gagnants » et les « perdants », il serait possible de distinguer un troisième type d'acteur, majoritairement composé d'anciens habitants de l'oasis. Ces derniers ont investi dans un « capital hydraulique propre », mais sont restés dans le système d'irrigation traditionnel. Ils irriguent donc leurs parcelles avec de l'eau souterraine ainsi qu'avec l'eau de leur « droit à l'irrigation » recueillis dans des réservoirs. Ils ont, néanmoins investi dan les nouvelles techniques d'irrigation pour s'affranchir des lois de la gravité qui pèse sur le système d'irrigation traditionnel afin d'étendre leurs superficies cultivées selon un modèle d'accumulation capitaliste caractérisé par la mondialisation de l'agriculture.

A partir de ces hypothèses de travail, il s'agira de montrer que ce passage d'un accès à l'eau traditionnel et gravitaire à un accès technologique et décomplexé des lois de la gravité

constitue le moteur de la recomposition spatiale de l'Oasis de Valle de Uco. Pour ce faire, trois parties sont proposées au lecteur.

La première partie a pour objectif de présenter le cadre d'études. La description des caractéristiques physiques de la province devrait permettre de comprendre les enjeux autour de la ressource en eau (en premier lieu celui de l'irrigation) et la manière dont elle contribue à structurer l'espace autour d'oasis dont celui de Valle de Uco. Une brève histoire du développement de cet oasis devrait aider à en éclairer les dynamiques actuelles. Celles-ci ne doivent cependant pas faire oublier que la majorité de la superficie cultivée reste irriguée par des cours d'eau dont les débits ne sont pas régulés, ce qui, dans le cas du réchauffement climatique actuel, pose la question de la disponibilité de la ressource en eau nivo-glaciaire et donc de sa gestion.

La seconde partie se propose de présenter les principes et acteurs de la gestion de l'eau dans le système d'irrigation traditionnel. Que l'on ne s'y méprenne pas : il ne s'agit pas ici de faire le procès du système d'irrigation traditionnel, mais plutôt de comprendre dans quelle mesure les modalités de gestion de la ressource en eau ont contribué à l'émergence d'une « hydraulique individuelle » (RUF, Th., 2004). Le fait qu'à un moment donné certains acteurs aient préféré investir dans un « capital hydraulique propre » plutôt que de maintenir un « capital social » dans une organisation commune n'est pas anodin et demande un examen attentif des modalités de la gestion de l'eau afin d'en identifier les facteurs de blocage.

La troisième partie a pour but de resituer le développement de cette « hydraulique individuelle » dans son contexte, celui de la reconversion du vignoble oasien vers un vin de qualité dans les années 1990 dont elle aborde les transformations territoriales et socioéconomiques. Il s'agit en outre de montrer comment l'innovation technologique en matière d'irrigation a engendré un nouveau type d'accès à l'eau qui redessine les limites de l'oasis et reproduit dans une large mesure la ligne de partage entre les « gagnants » et les « perdants ».

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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand