La qualité de la relation entre les deux personnes se
révèle déterminante, car à l'origine de la
qualité des informations que recevra le repreneur sur la cible dans le
but d'analyser sa situation. Ce dernier doit tout de même rester vigilant
concernant le réel engagement du dirigeant à vouloir lui
céder son entreprise.
La transparence au niveau de la transmission des
données n'est donc possible qu'en cas de confiance réciproque,
au-delà de l'engagement de confidentialité. Grâce à
une analyse sur le terrain, le repreneur va pouvoir se faire une
première idée plus précise et plus concrète en
prenant en compte des facteurs subjectifs (tel que le climat social, le niveau
de responsabilités du dirigeant, la structure de pouvoir...).
Un apport supérieur d'informations peut malgré
tout déboucher sur un écart plus important entre les deux
premières valeurs estimées, qui prennent rarement en compte les
facteurs subjectifs lorsqu'ils leur sont défavorables.
1. Les facteurs de risque à étudier lors
de l'analyse de l'entreprise.
Le cédant analyse et évalue une partie de
lui-même, basée sur un travail de longue haleine. Cette approche
est en totale opposition avec celle d'un repreneur, qui aura tendance à
se comporter de manière rationnelle et objective, et à
étudier la rentabilité de l'entreprise.
Parmi les risques pour le repreneur, la conduite d'un projet
entrepreneurial s'accompagne incontestablement d'une phase d'exaltation,
pouvant mener à un esprit devenu mégalomane. Il perd sa
lucidité et son objectivité, et peut omettre quelques obstacles
à la reprise, qu'il juge mineurs lors de cette étape de
l'opération. Daniel F. Muzyka et Sue Birley parlent "d'optimisme
exagéré et d'esprit embrumé". En gardant toute son
objectivité, le repreneur peut se demander si les relations dont
bénéficie le cédant et son entreprise seront
prolongées audelà de la cession par les partenaires ou même
certains employés. Le repreneur encoure effectivement le risque qu'un
fournisseur de l'entreprise et ami de longue date du cédant revoie ses
conditions de vente extrêmement favorables à la hausse. Cette
situation peut arriver avec une personne clé de l'entreprise qui
était peu regardante sur le salaire car travaillant pour le compte d'un
ami personnel, et qui demande sur revalorisation salariale. Au-delà des
risques financiers, entamer une relation de travail sur la base d'une
renégociation peut entraîner des tensions pour le nouveau
dirigeant, pas encore intégré et légitime vis-à-vis
des équipes. Un repreneur interrogé affirme avoir
été dans ce cas et a ainsi fait part de deux remarques : cette
demande de revalorisation salariale s'est communiqué à d'autres
salariés, pour qui les mêmes efforts ont été
réalisés par souci d'équité. Il s'en est ensuite
félicité, dans la mesure où ils connaissaient mieux ces
personnes, qui se sont senties reconnues et respectées. Elles ont
apportées une valeur ajoutée supérieur à ses
attentes, ce qui ne lui donne aucun regret quant à la tournure des
évènements.
Dans un autre registre, un salarié membre de la famille
du cédant constitue un risque pour le repreneur. Cette personne va
indiscutablement avoir un impact sur le déroulement de la période
d'accompagnement. Il a été constaté qu'elle est, à
terme, source de désagréments et de désaccords profonds
avec le repreneur. Il est donc conseillé de trouver un arrangement avant
la signature du protocole d'accord. Son départ sera ainsi
planifié après que les formations et les transferts
d'informations nécessaires ont été dispensés.
D'après deux dirigeants interrogés, les autres salariés
sont dans ce cas a priori satisfaits de ces changements car les
membres de la famille du dirigeant sont souvent considérés, au
sein de l'entreprise, comme les "yeux de Moscou".
Un dirigeant a d'autre part fait remarquer qu'un apport
supplémentaire d'informations de la part de l'autre partie, grâce
à une transparence des données transmises, l'aurait
effrayé par rapport à l'ampleur de la tâche, et l'aurait
peut-être incité à rompre le processus de reprise.
2. Analyse économique de
l'entreprise.
Le repreneur potentiel devra trouver, au contact du
cédant, un compromis entre le comportement professionnel mais basique du
financier et l'attitude passionnelle, basée sur l'émotionnel, de
son interlocuteur. A son écoute concernant l'importance affective que
revêt l'entreprise pour ce dernier, il exprimera lui aussi ses
sentiments, plutôt liés à un défi personnel.
L'analyse des informations disponibles doit permettre de
dégager les points forts de l'entreprise (atouts, avantages,
opportunités), et ses points faibles (vulnérabilité,
handicaps, menaces). Sur cette base, les parties réaliseront
l'évaluation et prépareront leur argumentaire afin de
négocier et conclure la démarche de reprise.
Une bonne connaissance de l'outil de production est tout
d'abord indispensable. Le diagnostic des moyens permet en effet de comprendre
la chaîne de valeur du secteur, et éventuellement de
réfléchir à une optimisation des méthodes de
travail. Les moyens sont représentatifs de l'activité de
l'entreprise, mais aussi de la personnalité du dirigeant. Citons par
exemple l'utilisation de matériels de pointe, qui montre un certain
dynamisme de la part du dirigeant, due à une forte politique
d'investissements. La qualité des conditions de travail des
salariés, ainsi que leur niveau de formation, sont étroitement
liées à la valeur de l'outil de production. Des ateliers propres
et rangés démontrent par ailleurs qu'ils font preuve de
motivation et de professionnalisme. La gestion des stocks est aussi à
l'image de l'entreprise et de la personnalité du dirigeant, par l'usage
ou non d'un logiciel spécialisé.
Cerner les tâches de chacun va permettre au repreneur
de vérifier l'organigramme, et de réaliser un premier bilan de la
structure de pouvoir, souvent dépendante de la valeur ajoutée du
poste.
Pour chaque domaine d'analyse, les objectifs résident
dans :
· Le montage d'une synthèse, afin d'évaluer
l'ensemble des actifs et identifier les causes de possibles manques.
· Etablir des actions correctives et une politique
d'investissements, ainsi que le calendrier associé.
Le second diagnostic se focalise sur l'activité et la
stratégie. L'étude du marché et de la position de
l'entreprise sur ce marché mène à la définition de
la stratégie à mettre en place. Elle impacte directement sur
l'activité du personnel, leur poste et responsabilités, et sur
l'organisation et les méthodes de travail.
La stratégie déterminée et les actions
correctives qui y sont associées joueront un rôle sur le type de
management à appliquer lors la période de transition, et donc sur
la qualité de la relation repreneur/collaborateurs.
Le diagnostic financier viendra appuyer et justifier la
politique du nouveau dirigeant.
Comme le montre le graphique suivant, le diagnostic social a une
importance capitale dans l'optique d'une analyse précise de
l'entreprise. Il porte sur trois champs d'étude :
Fig. 1 : Méthode de
réalisation du diagnostic social.
Ce diagnostic s'intéresse à la situation
précise du dirigeant : est-il indispensable à l'entreprise ? Il
s'agit d'évaluer les conséquences de son départ sur le
comportement de ses collaborateurs et sur la vie de l'entreprise. Son
degré de responsabilités et de leadership va impacter clairement
sur le déroulement de la phase d'intégration du repreneur.
Le candidat à la reprise étudie d'autre part la
situation et le niveau de responsabilités de chaque employé, en
consultant l'organigramme et le dossier personnel de chacun, comprenant un CV
et différents documents liés à leur vis professionnelle
(CV, formations, absences, avertissement...). Il doit particulièrement
tenir compte de l'ancienneté des salariés, des primes diverses et
des avantages sociaux. Le turnover au sein des équipes constitue aussi
un indice important.
Comme nous l'avons vu précédemment, une
première mesure du climat social peut être réalisée
avant la visite de l'entreprise et la rencontre des salariés, par
l'étude de la personnalité du dirigeant et l'évolution de
la relation cédant/repreneur.
Concernant la troisième mesure, les interviews
réalisées nous permettent d'affirmer que très peu de
repreneurs cernent l'évolution du climat social qui règne dans
l'entreprise au cours des mois précédents l'opération.
Cette information est pourtant en effet très utile dans la mesure
où elle représente la relation cédant/repreneur, base du
contexte de l'arrivée du repreneur dans l'entreprise.
Le repreneur doit obtenir, au terme du diagnostic social, une
vision claire des compétences de l'effectif, des capacités
d'évolution, mais aussi des difficultés potentielles. Il doit
évaluer l'évolution possible de l'effectif, au niveau quantitatif
et qualitatif. En accord avec la stratégie visée, il est possible
d'en déduire de prochains coûts en terme de formation.
Le diagnostic juridique devra confirmer que les contrats de
travail sont en règle et qu'aucune action de justice n'a
été entamée, en particulier à la Chambre
Prud'homale.
Chaque partie aborde l'entreprise d'un point de vue particulier,
leur méthode d'évaluation diffère donc. Leurs motivations
divergentes vont aussi impacter sur l'estimation de sa valeur.
3. Première évaluation de
l'entreprise.
Le déroulement d'une transmission/reprise de petite
entreprise est perturbé par la présence d'asymétries
d'information, qui entraîne souvent une fixation du prix de vente
basée sur une évaluation des actifs intangibles variable. Lors de
l'opération, le cédant est mieux informé que
l'acquéreur sur les performances présentes de l'entité, et
sur celles potentielles dans l'avenir proche. Il a donc intérêt
à ne pas divulguer certaines données qui peuvent faire diminuer
son prix de vente, ce qui arrive finalement régulièrement,
consciemment ou inconsciemment.
Cerner la personnalité du dirigeant a permis à
l'acquéreur de déterminer la valeur ajoutée qu'il va
apporter dans l'entreprise. Grâce à différentes
données liées au marché et au personnel, il va être
possible de déterminer un potentiel de l'entreprise, et réaliser
ainsi une première évaluation.
Philippe Campos (expert CRA) précise quant à
lui qu'il "apparaît pertinent de privilégier, dans le contexte
actuel, la méthode des flux futurs de trésorerie
actualisés. Une étude aboutie favorisera, en outre, auprès
des partenaires, la mise en place du plan de financement". Cette méthode
n'est pas idéale pour chacune des parties, mais permet de rapprocher
leur première évaluation.
Cet écart peut tout de même avoir un impact sur
le comportement du cédant. Il peut privilégier l'accroissement de
la performance à court-terme de son entreprise, c'est-à-dire les
projets dont le délai de retours sur investissement est bref, au
détriment des investissements de long terme comme, par exemple, la
R&D. Ce risque de changement de comportement du cédant dans la
période qui précède la cession est pris en compte par
l'environnement qui, face à l'annonce de la mise en vente d'une
entreprise, peut modifier son comportement vis-à-vis de la firme
à céder.
Comme nous l'avons vu précédemment, le fait que
le cédant soit trop tourné sur le passé de l'entreprise
(et le rôle qu'il y a joué) pendant la phase d'évaluation
constitue un autre risque pour l'acquéreur. Il peut en effet surestimer
la valeur de l'entreprise, dû au facteur affectif. Le repreneur ne doit
pas en être surpris, mais il s'agit de faire prendre du recul à
son interlocuteur.
L'expert-comptable de chaque partie devra d'autre part
déterminer la valeur du goodwill de l'entreprise. Il s'agit de la valeur
de certains biens incorporels d'une entreprise, tels que le savoir-faire, la
réputation, la force de sa marque ou la qualité de sa
clientèle.
Les dirigeants rencontrés insistent aussi sur le fait
que décortiquer les dossiers clients et évaluer leur
fidélité est une étape obligatoire afin que
l'évaluation de l'entreprise ait un sens. Ces deux points peuvent
engendrés des désaccorde entre les deux parties, il est donc
conseillé aux acteurs de l'opération de laisser les débats
aux mains des conseils.
Dans un contexte de crise, certains comportements
irrationnels sont observés, tel que le phénomène
d'imitation, qui conduit chacun à suivre la foule qui est
supposée avoir une meilleure information. Ces phénomènes
s'analysent au travers de la finance comportementale, sur laquelle s'appuie de
plus en plus l'évaluation d'entreprise. Elle applique "la psychologie
à la finance et remet en cause l'efficience de marché"
(Kahneman). L'évaluation d'un bien prend en compte certains
critères de son propriétaire et potentiel acheteur. Par ce biais,
elle s'adapte à l'évaluation d'une entreprise, et favorise la
compréhension mutuelle des deux parties.
A noter que même en situation d'information
symétrique, le prix offert par le repreneur sera différent au
profit futur que le cédant pourrait réaliser. Cet écart
s'explique par des différences dans la formation des anticipations et
dans l'attitude vis-à-vis du risque de chacun.
Mais rappelons que la valeur d'une entreprise ne peut
être fixée grâce à une évaluation. Il s'agit
d'un ordre de grandeurs de valeurs possibles. D'après l'APCE,
"l'entreprise est un objet unique, dont une bonne partie de la valeur
dépend de quelqu'un qui s'en va (le cédant) et de performances
futures dont la réalisation n'est pas certaine".
La véritable valeur de l'entreprise est en fait le
prix de cession, prix accepté par le cédant, et que le repreneur
est capable de financer sans mettre en péril sa pérennité.
L'ensemble des experts s'accordent sur le fait que la négociation
demeure envisageable si l'écart entre les prix estimés est
inférieur à 30%.
La lettre d'intention peut alors être signée
dans le cas où les deux parties souhaitent formaliser leur intention de
poursuivre l'opération. La fourchette de prix provenant des
premières évaluations sera indiquée, tout comme les
modalités de reprise et les conditions suspensives de l'accord. Cette
lettre est "engageante et juridiquement contraignante" (Meier & Schier,
2008). Il sera alors temps de réaliser les audits d'acquisition.
Les audits d'acquisition (ou due diligences) permettent au
candidat repreneur d'obtenir une information fiable sur la situation actuelle
et future de l'entreprise. Il sera à même de croiser ces
données avec celles obtenues en amont. Parmi les différents
audits, l'audit social vise à identifier les collaborateurs clés,
qui détiennent un savoir-faire indispensable à l'entreprise
(portefeuille clients, qualification...). Le repreneur potentiel les a
déjà rencontrées si les étapes
précédentes ont été correctement menées.
Meier & Schier conseille fortement, comme certains repreneurs
rencontrés, "de les associer au projet de reprise, afin d'obtenir des
garanties de leur fidélité par des engagements
spécifiques". Il s'agit de plus d'analyser les risques sociaux,
liés aux systèmes de rémunération et au poids des
engagements de la société.
La négociation finale peut alors débuter.