La phase d'accompagnement mérite que l'on recentre
notre attention sur la relation cédant/repreneur. Filion (1991)
déclare "qu'être entrepreneur s'apprend plus facilement au contact
d'un autre entrepreneur". Le repreneur a donc intérêt à
privilégier cette période d'accompagnement au contact de son
prédécesseur, même si cela constitue un coût et
provoque des risques liés à l'évolution de l'attitude de
l'ancien dirigeant. De son côté, ce dernier n'a aucune obligation
légale d'accepter cette mission, mais il s'agit d'un devoir moral, et
respectueux de l'avenir de l'entreprise et de ses salariés.
De même que pour les étapes
précédentes, une analyse des risques va être
réalisée, avec les facteurs de tensions dans l'entreprise (1).
Les solutions permettant de lisser la période de transition seront
ensuite exposées (2).
1. Les risques encourus par les deux principaux
acteurs.
Nous proposons maintenant de cerner les points d'incertitude du
cédant et du repreneur pendant cette période d'instabilité
de l'entreprise
1.1 Les risques concernant le
cédant.
Le risque majeur du cédant est de se sentir mal
à l'aise dans son nouveau rôle au sein de l'entreprise. Il peut se
considérer comme un membre inutile, voire ignoré. Cette
période lui permet souvent de faire un bilan de son action au sein de
son ancienne entreprise. Mais la confrontation est rude avec un nouveau
dirigeant entièrement tourné vers le futur.
Les risques vis-à-vis des partenaires de confiance du
cédant se révèlent identiques aux risques vis-à-vis
des salariés lors de l'arrivée du repreneur. Ceux-ci peuvent
être surpris d'apprendre la nouvelle seulement après cet
évènement. La relation cédant/partenaires peut donc
être fragilisée. Les cédants interrogés
considèrent qu'ils auraient du faire l'effort de tenir au courant plus
en amont leurs partenaires de confiance.
Il faut en effet qu'ils devancent l'idée qu'ils
peuvent se faire du client ou du fournisseur en train de se demander si son
entreprise connaît des problèmes à l'annonce de la
réalisation de la transmission.
Un autre risque pour le vendeur est que le repreneur
découvre assez rapidement un point sur lequel il s'estime floué.
Il se verra alors demander une indemnisation. Même justifiée et
concernant un point qui a involontairement échappé au
cédant et à ses conseils, cette démarche peut nettement
refroidir la relation entre les deux protagonistes.
Le repreneur est susceptible d'afficher un excès de
confiance, et d'imposer une rupture trop rapide, ce qui pourrait choquer le
cédant, et éventuellement les collaborateurs en fonction de leurs
attentes et désirs. Il peut au contraire ne pas s'intégrer assez
rapidement et perdre en crédibilité lors de prises de
décision.
Il est aussi possible qu'il désapprouve certaines
décisions de son successeur. Il devra prendre sur lui-même, et ne
pas afficher son opinion devant les salariés, ce qui aurait le tort de
lancer un débat dans l'entreprise. Cette démarche serait donc
préjudiciable au bon déroulement de la période
d'accompagnement.
1.2 Les risques concernant le repreneur
:
Le repreneur peut rapidement concrétiser un sentiment
de sur-confiance en lui en prenant des décisions hâtives ou mal
appropriées. Il peut sentir le besoin d'imposer certains
éléments clés dans l'organisation, notamment au niveau des
objectifs de l'entreprise, des valeurs, de la mission ou du management. En
effet, il arrive dans l'organisation avec une personnalité et une
expérience antérieure qui le pousse à voir la
réalité qui l'entoure différemment. Même porteur
d'un projet réfléchi et cohérent, le repreneur doit garder
l'esprit que les salariés peuvent rester très liés
à leur ancien patron.
Il peut faire face à différents types de
résistances au changement. Certaines personnes
s'opposent ouvertement
à certaines démarches les éloignant de leurs
méthodes habituelles de
travail. Les risques associés se
déclarent par des hostilités, pouvant débouchant sur le
départ
(fuite de compétences) ou le licenciement de
salariés (fautes graves telles que le sabordage). D'autres semblent
accepter cette politique de changement, mais adoptent une attitude passive,
basée sur l'attente et l'immobilisme.
Dans le cas où les partenaires de l'entreprise sont
mis au courant de l'opération par une personne autre que le
cédant (ou le repreneur), le risque qu'ils perdent confiance est
maximisé. Il faut à tout prix éviter les on-dit ! Les
fournisseurs émettent quant à eux des inquiétudes sur la
prolongation des contrats existants, et il s'avère qu'une
fréquente remise en cause de ces partenariats a été
constatée par les entreprises dont les anciens dirigeants
possédaient un fournisseur identique depuis la création de leur
firme. Les créanciers et actionnaires minoritaires tiennent plus compte
des faits concrets, en particulier des résultats de l'entreprise, et
donnent leur confiance au cédant et au repreneur afin de gérer
cette période de transition.
Nous pouvons ajouter que le dirigeant est la voix et la
tête de l'entreprise, et peut ne pas satisfaire certains partenaires
réguliers de l'entreprise. Les contacts entre les dirigeants de petites
entreprises (comme de l'ensemble des TPE et PME) et leur banque, fournisseurs
et clients demeurent professionnels, mais comme toujours liés au
côté interpersonnel : la prise de contact, l'approche, les
méthodes de travail proposées et les affinités
personnelles développées sont autant de facteurs dont
dépend une relation de travail. Le risque qu'il encourt est, pendant un
rendez-vous, de refroidir une relation d'entière confiance que le
cédant était parvenu à installer grâce à
partenariat de plusieurs années.
Les incertitudes du repreneur sont aussi liées aux
conséquences des premiers changements orchestrés dans
l'organisation de l'entreprise et à la perception de ces actes de la
part des stakeholders, mais aussi de l'ancien dirigeant, encore
présent dans l'entreprise. Il peut mettre en danger les fondations de
ses relations encore fragiles avec certains membres du personnel en cas de
désaccords ou de décisions finalement inadéquates.
La plupart des cédants redoutent la remise en cause
des pratiques au sein de l'entreprise : l'enjeu est la reconnaissance du
bien-fondé de leurs pratiques et des savoir-faire. Ils risquent donc
d'émettre des réticences lorsqu'ils devront lâcher les
rênes de l'entreprise et changer de fauteuil dans le bureau de la
direction, ce qui peut devenir une source de désagréments pour un
nouveau dirigeant. Après une période de patience, de
compréhension et d'écoute afin d'apporter son soutien, celui-ci
peut entamer une première rupture choisie. Cela signifie tout simplement
se comporter en tant que seul et unique dirigeant et faire appliquer une
décision prise, dans le cas présent, un changement physique de
place dans son bureau entre l'ancien et le nouveau dirigeant. Le changement
doit être clair et tranché. Dans le cas d'une
incompatibilité croissante, les deux hommes doivent trouver un compromis
entre l'impatience du cédant à être libre et autonome, seul
aux commandes, et la volonté du dirigeant à rester dans
l'entreprise. Il est préférable de respecter les termes du
contrat concernant la période
d'accompagnement, mais la priorité des deux personnes
demeure de montrer aux stakeholders la qualité de leur
relation. Rester unis dans le processus permet de réduire sensiblement
les risques de défaillance de l'entreprise. Mais les raisons d'un
quelconque différend pendant cette phase sont nombreux, notamment au
niveau stratégique, commercial, organisationnel, mais aussi de
l'évolution des méthodes de travail utilisées.
La volonté du dirigeant d'être autonome est
potentiellement source d'un stress supplémentaire, car les
décisions prises engendrent des changements, donc une attente de
résultats positifs, tout particulièrement de la part des
collaborateurs.
En outre, il est donc possible qu'il se sente très
seul dans un premier temps s'il n'est pas apte à se confier à son
prédécesseur. Ce ressenti est particulièrement
fréquent chez les anciens managers provenant de grands groupes, qui
avaient l'habitude de suivre une stratégie fixée par la direction
générale et recevoir des objectifs précis.
Le repreneur peut être fortement handicapé par
la présence du cédant dans sa prise de décision.
Posséder des responsabilités limitées est pour le
cédant une contrainte nouvelle, qui n'est pas toujours respectée,
surtout dans un cadre qu'il connaît parfaitement. Il risque de
s'impliquer, en tant que collaborateur, à un niveau qui n'est plus le
sien. Il demeure le référent, la mémoire, celui qui
résout les situations complexes. Cette attitude part parfois de bons
sentiments mais ne permet pas au repreneur de prendre réellement en main
l'entreprise et d'asseoir son autorité. Une seconde réunion en
compagnie du nouveau chef d'entreprise pourra avoir lieu afin de lutter contre
la confusion des rôles et définir à nouveau la mission de
chacun, ce qui peut constituer un avertissement du repreneur à
destination de son prédécesseur.
Tant qu'il est présent dans l'entreprise, il est
possible que les salariés le considèrent toujours comme "le"
dirigeant et voient le repreneur comme son successeur après son
départ. Dans ce cas, le cédant doit insister auprès de ses
collaborateurs réticents sur le fait que sa mission est maintenant
réduite à un accompagnement. En parallèle, le nouveau chef
d'entreprise doit s'attacher à développer davantage son
leadership, et acquérir une légitimité pour favoriser ses
prises de décisions. Le leadership, la légitimité, ainsi
que la relation de confiance, sont en effet les trois principaux facteurs qui
permettent à un dirigeant d'être reconnu par ses salariés.
D'après notre étude, l'alchimie développée entre le
dirigeant et un salarié, qui impacte sur la relation de confiance, n'est
par contre pas liée à la reconnaissance ou non du dirigeant et de
son autorité. Dans une petite entreprise, la construction du lien
affectif avec chaque membre de l'entreprise est en effet indépendante de
leur reconnaissance du statut de dirigeant du repreneur.
Le cédant doit en parallèle se trouver de moins
en moins présent sur le terrain, son effacement progressif permettant de
concrétiser l'évolution du transfert de compétences. Pour
réaliser cette démarche, il devra détacher sa propre
identité de celle de son entreprise, notamment en formulant un nouveau
projet de vie.
Même si le chef d'entreprise est disposé
à accompagner son remplaçant, il ne joue pas toujours le jeu de
la continuité. Certains vendeurs ne s'impliquent pas suffisamment pour
convaincre le personnel, garder la confiance des clients ou rassurer les
fournisseurs. Maintenir l'ancien dirigeant dans l'entreprise, quel que soit sa
fonction, peut aussi engendrer des conflits d'autorité et des
rivalités, qui peuvent entraver le bon déroulement de
l'intégration du repreneur. Bien que la transition soit utile, les deux
protagonistes rencontrent des difficultés pas toujours surmontables, qui
peuvent mettre un terme immédiat et définitif à la
collaboration pour des raisons diverses (difficultés du cédant
à se détacher de son entreprise, forte personnalité de
l'ancien dirigeant pouvant écraser la légitimité du
nouveau, désaccords au niveau stratégique...).
D'autre part, un risque possible plane sur le climat social
est une baisse de l'activité due à une pression exercée de
la part des concurrents. Ceux-ci modifient leur offre afin de profiter de
l'instabilité qui règne au sein de l'entreprise pendant cette
période de transition, et d'affaiblir davantage un concurrent. Dans ce
même objectif, ils souhaitent parfois recruter des salariés de
l'entreprise et obtenir ainsi un savoir-faire supérieur.
2. Réaliser une période d'accompagnement
productive, en anticipant l'étape du départ du
cédant.
La période d'accompagnement est la phase du processus
pendant laquelle le cédant doit transférer, en plus du savoir,
les pouvoirs. La meilleure façon de déterminer sa durée
est d'en définir les principales étapes. Le savoir concerne le
savoir-faire et le savoir-être, qui sont deux éléments
facilitateurs indispensables de son intégration. Il disposera
d'éléments de base afin de bien comprendre la situation et la
personnalité de chaque employé. Après la phase
d'écoute et de la compréhension de la mission du salarié,
le fait d'échanger régulièrement sur des sujets
liés à son champ de compétences lui sera
bénéfique. Cela lui permettra d'émettre des
hypothèses et des propositions, mais aussi de vérifier si son
interlocuteur est d'accord avec l'opinion qu'il s'est faite à partir des
données qu'il a consultées. Il sera ainsi en mesure de recroiser
les informations obtenues avec la personne compétente. Il montrera de ce
fait son niveau d'avancement dans l'obtention des informations et obtiendra en
parallèle des feedbacks, ce qui lui permettra d'entrer dans un cercle
vertueux concernant les relations qu'il entretient avec les salariés.
Mais il doit être conscient que ses efforts quotidiens peuvent être
réduits à néant par une maladresse dans ses propos, une
susceptibilité froissée ou une trop grande intransigeance, qui
peuvent mener à une rupture subie avec un salarié, et
éventuellement rapidement avec un groupe de salariés.
Au début de cette période d'accompagnement, le
dirigeant se trouve dans une position privilégiée afin
d'acquérir les éléments nécessaires pour
préciser son plan stratégique sans désorganiser
l'entreprise ni bousculer ses salariés. L'enjeu se situe au niveau de la
compréhension de cette vision du point de vue des salariés, et
donc d'obtenir leur adhésion. Il doit en tout état de cause
rester ouvert aux questions et propositions de tous, dans un esprit d'ouverture
et de transparence, les qualités qu'il attendait de la part du
cédant au cours du processus de reprise.
En outre, le cédant officialise rapidement
l'arrivée du nouveau dirigeant auprès de ses partenaires
commerciaux dont la relation est proche et de confiance. Il peut à cette
occasion proposer un rendez-vous afin d'établir un premier contact entre
son successeur et les meilleurs clients et fournisseurs. Ils feront
connaissance dans le but de fonder les bases d'une relation dans la
continuité de celle entretenue entre le cédant et ses
partenaires. L'objectif du nouveau dirigeant est de les rassurer sur ses
projets, et éventuellement de leur démontrer le potentiel futur
de leur partenariat.
Il est en effet primordial, pour assurer la
pérennité de l'entreprise, de continuer à
bénéficier de prestations aux conditions avantageuses de la part
des fournisseurs (qualité, coûts, délais) et des clients
(tarifs, délais de paiement). Bénéficier du soutien du
cédant auprès des partenaires commerciaux permet donc au
repreneur de préserver l'équilibre de l'entreprise, et donc de
rassurer les salariés.
Le repreneur se rendra compte des responsabilités qui
lui incombent, devenant maître de l'avenir de la relation
cédant/partenaire commercial. Le cédant aura en effet
confié au nouveau dirigeant son "bébé", mais aussi la
qualité de ses relations futures avec son entourage professionnel. Une
défaillance de l'entreprise, avec à l'origine des erreurs
répétées du repreneur, déconstruirait son
réseau professionnel.
Le cédant est donc à l'origine de la relation
repreneur/partenaires, facteur clé du potentiel de développement
de l'entreprise.
On peut de même citer le banquier, grâce à
qui l'entreprise bénéficie de conditions particulières en
cas de découverts ou de retards de paiement. Préserver en toute
confiance la collaboration avec une personne qui connaît parfaitement la
situation de l'entreprise est vivement conseillé.
Un rendez-vous sera idéalement organisé avec
chaque acteur faisant partie de l'environnement de l'entreprise, et qui joue un
rôle dans la situation économique actuelle de l'entreprise. Le
repreneur décidera d'une éventuelle remise en cause du contrat,
mais disposera en tout cas d'une entière légitimité,
grâce aux déclarations du cédant.
Après la découverte de l'entreprise et de son
environnement, ainsi que de ses salariés, le repreneur peut aborder la
seconde phase, qui consiste à prendre les premières mesures
(phase d'activation du changement). Les conséquences de leur mise en
place auront un impact plus ou moins fort sur le rythme de vie l'entreprise,
caractérisé par les habitudes prises par les employés dans
l'organisation et leurs méthodes de travail. La remise en cause de
l'organisation de l'entreprise n'est pas évidente, car accepter ces
changements de la part des salariés signifie en quelque sorte oublier le
cédant, donc le trahir, surtout si il est encore présent dans
l'entreprise. Le repreneur doit montrer une direction en conservant les
éléments primordiaux et constitutifs de la société.
Il respecte ainsi son prédécesseur, et l'ensemble de son oeuvre,
qui a mené l'entreprise à la situation économique et
sociale telle qu'il l'a découverte pendant les premières semaines
à sa tête.
L'objectif pour le repreneur est de faire de la
préservation de certaines habitudes une force, un socle sur lequel il
s'appuie pour mener les changements nécessaires. Symboliquement, il
reconnaît le bien-fondé de certaines méthodes et habitudes
des salariés et de son prédécesseur. Basé sur une
relation de confiance, il explique l'aspect gagnant/gagnant de l'application de
nouvelles méthodes, mises en place en complément de celles
préservées, et donc solidifiées. Ce type de management
doit permettre de réduire, voire éliminer, les facteurs de
blocage et de résistances aux changements.
Le nouveau dirigeant doit avoir cerné, avant la fin de
cette phase, la réalité de l'organisation de l'entreprise et
acquis la connaissance du métier afin d'exercer pleinement sa fonction,
dans un champ de réflexion et d'action bien défini. Il aura
compris la culture et les valeurs défendues par les salariés,
tout comme aux fondements d'éventuels contre-pouvoirs, liés aux
fonctions et personnalité de chacun des salariés. Il aura aussi
mesuré les résistances au changement, identifié les
salariés qui peuvent constituer ses relais, sur qui il pourra s'appuyer,
mais aussi ce qui n'adhéreront pas à son projet.
Il sera donc apte, à terme, à faire
évoluer la façon de travailler et les champs de
compétences de chacun, en apportant les outils indispensables de
contrôle et de suivi tels que les tableaux de bords (souvent inexistants
dans les petites entreprises dont le cédant gérait l'entreprise
depuis plusieurs décennies). L'amélioration continue des
pratiques grâce à un suivi régulier est synonyme d'une
consolidation du changement.
Le repreneur devra, pendant cette période
d'accompagnement, assurer une gestion de continuité et attendre le
départ du cédant afin de mettre en place certaines
décisions qui auraient pu le choquer (licenciements, changement de
stratégie), quitte à avancer ce départ si les changements
à effectuer sont urgents. Il sera définitivement patron lorsqu'il
se sera
approprié la culture de l'entreprise et aura
apporté son coup de pinceau. Il doit donc faire ses preuves, en montrant
aux salariés qu'il est des leurs, tout en établissant un nouveau
leadership et, si besoin est, développer un nouvel état d'esprit.
Ouvrir des perspectives nouvelles à destination des salariés aide
à la réalisation d'avancées dans le domaine de la
socialisation du repreneur, notamment en relançant leur confiance dans
l'avenir de l'entreprise, et donc leur motivation dans l'accomplissement de
leur mission.
Dans un souci d'accompagnement réciproque, et donc de
proximité, le besoin d'informations précises et
régulières est nécessaire dans les deux sens. Le repreneur
doit accepter les contraintes qu'il fixe à d'autres. Il devra donc tenir
régulièrement informé le personnel, et dans une moindre
mesure l'ancien dirigeant, de l'avancement du plan de reprise et de
développement de la petite entreprise, ainsi que sur les
résultats par rapport aux objectifs.
Il doit en parallèle tenir compte du travail de deuil
du cédant dès le début de la période de transition.
Mais il n'est pas toujours aisé pour lui de donner du sens à ce
qui lui apparaît dans un premier temps comme des débordements
émotionnels et des résistances au changement, alors qu'il attend
enthousiasme et performance immédiate.
Il doit donc faire preuve d'imagination, tout en respectant
les symboliques traditionnelles. En évitant de revenir sur le
passé, les deux acteurs doivent s'isoler des problèmes de
l'entreprise et recentrer leur attention sur leur situation personnelle.
Ils doivent aborder les sujets pour lesquels ils ont des
affinités et des points de convergence, mais aussi échanger sur
:
· les plans futurs et les sentiments profonds du
cédant par rapport à l'évolution de ses
relations
personnelles vis-à-vis des membres de son réseau, y compris les
salariés.
· L'évolution de l'adaptation du repreneur dans la
nouvelle vie qu'il mène.
Ils doivent se rassurer mutuellement et préparent ainsi
le départ futur du cédant.
En parallèle de l'effacement du cédant, le
nouveau chef d'entreprise devra faire face aux attentes des
stakeholders, et sera sollicité pour résoudre tous les
problèmes car la prise de responsabilités de chacun est
limitée au sein de la petite entreprise dirigée par le fondateur.
Un dirigeant rencontré a confié être demandeur de
solutions, et non de problèmes. Il est disponible afin de décider
entre deux solutions dans la résolution de problèmes et de
justifier cette décision, mais il estimait négatif le fait de
centraliser la détermination des solutions envisageables. Il s'agit
d'une part de multiplier les échanges et débattre davantage au
sein de l'entreprise, mais aussi de développer une organisation
basée sur la délégation et la responsabilisation. Le
nouveau dirigeant doit, quelque soit le contexte de la reprise, prendre les
décisions rapidement, en tenant compte du point de vue du
cédant.
Le sentiment de solitude et/ou d'absence d'avancées se
réduira dès les premiers résultats des actions mises en
place. La prise de leadership se développera et le nouveau dirigeant
reprendra confiance en lui, grâce à un sentiment de
compétence et de pouvoir de décision, qu'il utilisera à
bon escient. Il pourra en outre mesurer ses progrès en termes
d'intégration et de légitimité, en fonction de
l'éventail des sujets abordés avec les salariés, et
à leurs réactions lors du lancement de différentes
actions.
Cet élan doit le pousser à prendre les
premières décisions importantes, dans le cadre de la
stratégie définie, portée à la connaissance des
employés. La condition nécessaire est que son
prédécesseur soit ouvert à ces manoeuvres et à
assister à l'évolution de son entreprise sous les ordres d'un
autre individu. Le nouveau dirigeant sera en mesure de prendre des
décisions portant sur des domaines de compétences de plus en plus
pointus, et impactant sur la vie quotidienne de l'entreprise et sur ses
résultats. Le système d'information est dans la plupart des cas
à revoir, dans un objectif de rentabilité et de contrôle.
Le repreneur devra aussi travailler sur la mise à jour les bases de
données de l'entreprise.
Il n'empêche que ce processus fonctionne lorsque la
relation de confiance est totale entre les deux hommes, qui ont
contribué à une préparation soigneuse de chaque
étape. Mais la situation rencontrée mène
fréquemment à un conflit de rôle entre les deux dirigeants.
La direction à deux têtes doit donc durer le moins de temps
possible à partir du moment où le repreneur détient le
leadership, donc est reconnu apte par ses collaborateurs à diriger
l'entreprise et montrer la direction à suivre.
Notons enfin les ajustements identitaires qui vont avoir lieu
au sein de l'entreprise (Bouchikhi). Le repreneur a du, à la suite de
son arrivée, se fondre dans le paysage et observer, avant d'être
légitime dans le but de fixer une ligne de conduite et la mise en place
des premières actions. Il a avant toute chose ajusté son
identité à celle de l'entreprise, tout du moins en apparence. Les
employés seront dans un second temps enclins à faire ce
même effort envers le nouveau dirigeant, qui va faire évoluer peu
à peu l'identité de l'entreprise. Comme nous l'avons vu
précédemment, l'identité de l'entreprise est fortement
corrélée à la personnalité de son dirigeant. La
qualité de la relation repreneur/collaborateurs règlera le rythme
d'évolution des pratiques et de l'organisation, en parallèle du
développement économique de l'entreprise.
Ces ajustements sont lents car ils doivent s'inscrire dans la
durée, mais aussi incertains, car l'identité d'un individu ou
d'un groupe ne dépend pas que de lui-même. Une nouvelle
identité n'est viable que si elle est acceptée par le milieu
social dont elle a besoin pour fonctionner. Mignon (2001) affirme d'ailleurs
que "la pérennité organisationnelle est préservée
lorsque l'entreprise a su au cours de son histoire, résister à
l'épreuve des bouleversements profonds de son environnement et
préserver l'essentiel de son identité".
Nous pouvons conclure par les quatre principales
étapes du processus de reprise, vécues par le nouveau dirigeant
suite à son arrivée dans la petite entreprise, que Debouloy
résume parfaitement:
· Le refus de la part des salariés, pendant
laquelle la rationalité du repreneur est prise en défaut. Ils
sont en désaccord avec toutes les initiatives qu'il prend, dont ils
mettent en avant les aspects négatifs. Ils critiquent plus
généralement l'opération de reprise, dont ils sont
victimes.
· La réalité de la disparition, ou
"décharge émotionnelle", pendant laquelle le passé est
idéalisé, et le présent rejeté. Il est très
difficile pour le repreneur de remettre de l'ordre dans les propos de ses
collaborateurs, même si ils semblent inexacts ou injustifiés. Il
ne doit pas opposer une rationalité rigoureuse face à la
démesure des émotions, ce qui mènerait à la
confrontation. Il doit favoriser les échanges au sein des
équipes, afin de faire réapparaitre le passé
réel.
· La dépression, pendant laquelle le repreneur
fait face à un manque de motivation et d'énergie des
salariés, qui ne distinguent encore que vaguement la nouvelle
identité de l'entreprise. De même, le dirigeant prend du recul sur
les décisions qu'il a prises et les remet en question.
· Le rétablissement, lorsque le repreneur est
à même de gérer les équipes seul, et que les
premiers résultats positifs apparaissent pour l'entreprise et les
salariés, qui partageront à nouveau leurs idées et
sentiments.