Internet : quelle régulation juridique ?( Télécharger le fichier original )par Jean-Philippe CASANOVA Université Paris 13 - DEA Droit des Affaires 1997 |
B). Le filtrage des contenus par les acteurs du réseau.La multitude de sources informationnelles constituant le réseau Internet, conduit à comparer cette masse de données à une immense bibliothèque virtuelle, où chacun est susceptible de trouver ce qu'il y cherche. Cependant, au milieu de ce gigantesque espace culturel, le pire côtoie parfois le meilleur. Si l'esprit critique et la maturité des internautes suffisent dans la plupart des cas à éviter les mésaventures cybernétiques, la technologie semble en mesure d'apporter des solutions complémentaires visant à protéger la sensibilité des plus jeunes contre certains contenus offensants véhiculés par le réseau. Ainsi, il est intéressant d'explorer les nouvelles opportunités qu'offre la technologie pour favoriser le filtrage des informations par l'utilisateur d'Internet. Il conviendra aussi d'analyser les perspectives de classification des sites Web par leurs éditeurs. 1- Le filtrage des informations recueillies sur Internet par l'utilisateur lui même. Avant de regarder l'état des possibilités techniques offertes aux utilisateurs, on abordera les avantages et les inconvénients des systèmes de filtrage. a) UN CONCEPT AVANTAGEUX MAIS NEANMOINS CRITIQUABLE : En juin 1996, le rapport Falque-Pierrotin reconnaissait l'utilité des logiciels de filtrage dans la mesure où ils permettaient, à l'initiative des utilisateurs, de restreindre l'accès à certains sites dangereux. Pour autant, la crainte de voir la surveillance des mineurs confiée à une machine fut clairement exprimée. Interdire l'accès pour les plus jeunes à certains sites jugés inopportuns par les parents est une bonne chose, mais la délégation systématique du contrôle des contenus à un logiciel correspondrait à déresponsabiliser les ascendants. La résolution adoptée par le Conseil de l'Union européenne le 28 novembre 1996 encourage également la mise à disposition des utilisateurs de mécanismes de filtrage.155 Mais en France, le premier pas significatif en ce sens a été fait par la loi du 26 juillet 1996 : En effet, son article 15 fit insérer dans la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, un article 43-1 imposant aux prestataires de services de connexion de fournir à leurs abonnés des moyens techniques de contrôle visant à sélectionner les services offerts sur Internet. Aussitôt, de nombreuses voix s'élevèrent pour contester cette disposition, bien que le Conseil Constitutionnel n'ait pas jugé bon de censurer cette partie de l'amendement Fillon. Les arguments les plus communément employés 156 à l'encontre du filtrage des contenus relèvent de deux catégories : La premiere consiste à dire que la nature des contenus ne ressort pas nécessairement de l'objet d'un site Web, ni de la dénomination de son adresse électronique. La seconde tend à observer que la modification de l'adressage des informations sensibles peut être rapidement opérée sur Internet. Notamment, la technique du « re-routage » ( utiliser des relais ) permet de contourner facilement l'anathème jeté sur un site électronique. Par ailleurs, une autre critique envisageable sur les systèmes de filtrage consiste à penser que les fournisseurs d'accès à Internet qui feront bénéficier les usagers de cette technologie, auront alors tendance à négliger leur surveillance du réseau, ce qui aboutirait à déresponsabiliser totalement les rares personnes capables d'intervenir quelque peu en la matière. Enfin, certains observateurs hostiles à ce concept, prétendent que le défaut majeur de ces filtres réside dans le risque de « supprimer un peu de bon grain en même temps que l'ivraie ». 157 La censure systématique de certains types d'informations peut en effet conduire à bloquer le libre passage de données louables, car maladroitement identifiées. 155 Résolution du Conseil sur les messages à contenu illicite et préjudiciable diffusés sur Internet ; http :// europa.eu.int 156 F. M. Bloch, Le projet de loi régulant Internet : une ligne maginot virtuelle ; Les petites affiches 24 juillet 1996 n° 89 p 15. 157 C. Huitema, Planète Internet, janvier 1997 p 94. b) LES POSSIBILITES TECHNIQUES : A l'heure actuelle, de nombreux logiciels sont disponibles sur le marché : Cyber Patrol, Net Nanny, ou Cybersitter ( tous anglophones ) en sont les plus représentatifs.158 Pour la plupart d'entre eux, ces programmes d'ordinateurs permettent aux parents d'encadrer à l'avance, la navigation sur le réseau effectuée en leur absence par leurs enfants. Ainsi, un panneau de contrôle régulant le niveau du filtrage est accessible uniquement à l'aide d'un mot de passe. Une liste de sites Web préalablement catalogués par les concepteurs du logiciel, peut immédiatement être rendue inaccessible par le mineur. D'autre part, les parents ont la possibilité d'ajouter de leur propre chef à la liste, une sélection de sites jugés répréhensibles. Par ce biais, les personnes désireuses de contrôler rigoureusement les centres d'intérêts de leurs enfants, ont la faculté de préétablir l'ensemble des sujets qui leur semble acceptable de laisser à leur portée. De manière plus précise, il est concevable de compléter ce mécanisme par l'emploi d'un dictionnaire personnalisé de termes interdits. Techniquement, ces logiciels autorisent également la définition de plages horaires durant lesquelles les internautes en culottes courtes pourront se connecter. Concrètement, lors de chaque dépassement des critères choisis par l'autorité parentale, l'ordinateur affichera sur l'écran un message d'interdiction tout en bloquant physiquement l'accès au site en question. A ce stade, si le recours à ces filtres électroniques peut sembler intéressant au niveau de la cellule familiale, il paraît excessif et dangereux d'instaurer le contrôle de tels mécanismes à l'échelle des fournisseurs d'accès à Internet. Comme le précise le rapport du groupe de travail sur les contenus illicites et préjudiciables sur Internet, au sein de la Commission européenne, l'utilisation de ces systèmes de filtrage doit se faire à titre individuel et de manière volontaire. 159 Face aux critiques portant sur la fiabilité et l'efficacité de son produit, la société éditrice du logiciel Cyber Patrol explique que cet outil ne se contente pas de bloquer l'accès aux sites selon des mots clés apparaissant à l'écran, mais il serait en outre capable de replacer les termes litigieux dans leur contexte, évitant ainsi la censure de sites vertueux.160 En ce qui concerne le courrier électronique, il existe également des parades électroniques dont l'objet est de trier l'arrivage de prospectus douteux par E-mail. Un logiciel réalisé par la société Bellcore permet de vérifier le courrier parvenant à l'adresse électronique de l'utilisateur, afin d'en évincer les messages publicitaires indésirables ( Spam ) ou certaines communications intempestives. Des internautes préconisent d'ailleurs, pour parfaire ce mécanisme, de mettre au point des réseaux d'alerte : Grâce à une collaboration à grande échelle des usagers il est possible de prévenir l'ensemble de la communauté des que l'un des membres du groupe aura reçu dans sa boite aux lettres électronique un spam. Ainsi, les autres internautes pourront rapidement régler leurs logiciels de barrage, évitant de ce fait la gangrène généralisée du réseau. Selon monsieur Christian Huitema cette solidarité pourrait fort bien parvenir à décourager ces expéditeurs indélicats : « Si nous nous défendons, nous pouvons parfaitement arrêter ces cuistres ».161 158 F. Latrive, Privé d'Internet par papa - maman, Libération Multimédia 8 novembre 1996. Et J. Tournier, Internet : censure à domicile, Le Monde 19 février 1996. 159 Rapport consultable sur le site : www2.echo.lu/legal 160 Renseignements en provenance du site : www.microsys.com 161 Planète Internet, Spam : impair et manque, janvier 1997. 2- La classification des sites Web par les éditeurs. La classification des sites Web au moyen d'une signalétique adaptée, serait un moyen simple de prévention et d'information pour les utilisateurs d'Internet. A l'instar des mesures prises par les chaînes de télévision françaises en novembre 1996, il est concevable d'instaurer sur Internet une coutume de signalisation des contenus. Sur la page d'accueil d'un site hébergeant des données sensibles, l'affichage d'un logo ou d'un court message suffirait à prévenir l'usager du caractère violent ou pornographique des fichiers en question. Sans vouloir imposer un ordre moral, une collaboration des différents acteurs du réseau pourrait certainement mettre en place l'usage d'une telle signalétique. Pour le moment, certains sites dont le contenu pourrait choquer les plus jeunes font l'effort de multiplier les pages d'accueil préalables à l'accès définitif au coeur des fichiers. Grace à ce procédé, ces sites prennent la précaution d'avertir l'usager que les images ou les propos qu'il va rencontrer ne sont pas destinés aux mineurs. A l'heure actuelle, les moteurs de recherche sur Internet effectuent déjà une classification des contenus, afin de faciliter et accélérer l'accès aux sites que les internautes désirent appréhender. La technologie du « Surfwatch >> permet donc d'ores et déjà aux services Altavista ou Yahoo, de trier et classer par centre d'intérêt la majorité des sites Web rencontrés sur le réseau. 162 Ces initiatives conduisent à satisfaire les internautes dans leur quête d'information sur le réseau, en canalisant leur accessibilité aux différents sites. On peut même prétendre qu'un éditeur de contenu a tout intérêt d'adhérer à la classification des moteurs de recherche, en employant une adresse U.R.L au nom évocateur, s'il ne veut pas demeurer totalement inconnu et inaccessible. L'immensité d'Internet aidant, le recours à un moteur de recherche est en effet l'unique moyen pour rencontrer les nouveautés du réseau, et l'intégralité des sites partageant un theme particulier. Si l'harmonisation nécessaire à ce genre de classification n'est pas encore à l'ordre du jour, la volonté de faire avancer le processus existe déjà : Une organisation dénommée World Wide Web Consortium a mis au point un standard servant à cataloguer les sites Web, en fonction de certains critères et degrés de violence ou d'érotisme. Il s'agit de la norme PICS ( Platform for Internet Content Selection ) établie par l'association internationale des plus grands acteurs du réseau : Apple, A.O.L, Compuserve, Netscape et France Télécom. Leur objectif est de généraliser l'utilisation de critères et niveaux d'acceptabilité, dans un dessein plus informationnel que restrictif. A ce propos, le rapport Falque-Pierrotin met l'accent sur l'hégémonie anglosaxonne dans le domaine de la classification des sites. Il apparaît en effet, qu'en raison des sensibilités spécifiquement européennes, l'émergence d'une institution plus représentative de ces conceptions soit rendue nécessaire. On imagine alors l'avènement d'un organisme européen regroupant des associations d'utilisateurs, et recommandant des listes de sites Web, ainsi qu'une signalétique appropriée. Il convient d'ailleurs de signaler que la résolution du Conseil européen du 28 novembre 1996, a clairement invité les Etats membres à introduire des « mécanismes de signalement en ligne directe accessibles au public », en prenant exemple sur la norme PICS. 162 Sites : www.altavista.digital.com & www.yahoo.fr |
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