2) Le climat
Cet élément correspond à l'axe vertical
de la topographie célinienne et représente en cela le danger qui
s'élance du ciel et fond sur l'homme, réduit à subir ces
nouvelles plaies d'Égypte. Le climat chaud et cauchemardesque participe
aussi à généraliser le thème de l'eau sale à
travers ces passages de voyage car sous ses effets atroces tout se
décompose, se liquéfie. C'est ce que rappelle Juan Manuel Gomez
Bernal dans sa thèse sur les lieux céliniens en indiquant que
l'élément liquide suggère par analogie la
décomposition, la pourriture d'un monde précaire, friable. La
chaleur est le premier aspect de la radicalité climatique lors des
voyages qui souligne la petitesse de l'homme
17 A.-C. Et J.-P. Damour, Louis-Ferdinand Céline
« Voyage au bout de la nuit », Paris, PUF, 1985, p.48.
transformé, réduit à l'état d'une
masse flasque ainsi que le rappelle Bardamu: « les enfants, sorte
pénible de gros asticots européens, se dissolvaient de leur
côté par la chaleur, en diarrhée permanente18.
». Le second aspect tout aussi radical est la forte présence de la
pluie, du déluge anglais qui s'abat sur Ferdinand. C'est la poursuite de
la punition divine qui installe l'infériorité humaine en
réalité intangible comme le dévoile cet extrait de
Mort à crédit lorsque le narrateur décrit la
pension et plus précisément des gravures murales: « il y
avait l'Arche de Noé! complètement bouclée sous la pluie,
qui rebondissait dans les vagues, dans les furies tout écumantes...On
était comme ça, nous aussi, sur la colline à
Rochester19. ». De ce fait le climat oblige à
l'enfermement, à réduire considérablement son espace en
vivant dans un abri: soit une case en Afrique ou l'affreuse pension en
Angleterre. Ainsi en suivant les affres des narrateurs le lecteur suit le
mécanisme qui l'amène de l'extérieur vers
l'intérieur, de l'endroit à l'envers, du visible au
dévoilé.
3) L'habitat
Afin d'étudier cette notion qui conclura notre analyse
de l'aspect repoussant des lieux céliniens nous utiliserons trois
refuges sordides occupés par les narrateurs face à
l'adversité du monde extérieur. Ces lieux deviennent autant de
« symboles épiques », outil défini par Deleuze dans son
étude sur Zola qui définit un élément incarnant les
grands thèmes de l'oeuvre à l'image de la chambre d'hôtel
au début de L'assommoir. Le premier thème est celui de
la laideur. Chez Céline elle correspond au Laugh calvin dont
Bardamu précise qu'il est un « supplice esthétique ».
Dans le second roman la pension est frappée du sceau de la
disgrâce étant à la fois laide et peu
généreuse quant à la nourriture. Au delà de
l'esthétisme et à l'image du monde ces lieux sont marqués
par le délabrement, le manque de confort à l'instar de la case
isolée au milieu de la forêt africaine, abri des plus
précaires. Ainsi l'intérieur n'est qu'un condensé de
l'extérieur, il démontre que microcosme et macrocosme se
rejoignent, le monde n'offrant aucune issue à l'homme en quête de
renouveau. Les lieux dans le cadre du récit où la parole du
narrateur est expansive sont autant de moyens d'installer avec minutie la
défiance de l'auteur quant à la notion de voyage, il serait
à présent utile afin de prolonger cette analyse d'établir
le rôle du traitement littéraire de cette topographie et de la
stratégie d'écriture mise en place par Céline afin de
continuer ce travail de sape qui tend à pulvériser les fondements
du voyage.
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