2) Les vertus de ce style
Les amateurs de Céline célèbrent le fruit
de cette exploration littéraire animée par les préceptes
du voyage et dévoilent ainsi une conception du Beau selon laquelle cette
notion est à appréhender indépendamment du Bien, des
idées par opposition à ceux estimant que Beau et Bien sont
insécables. Parmi ces vertus le rire semble un atout considérable
installant soit une distance vis à vis des idées ou encore un
renforcement de ces dernières, c'est là une forme d'intelligence
du texte; cet argument du rire est utilisé par ceux qui plaident du
côté de Céline à l'image de Sollers face à un
opposant farouche comme Jean-Pierre Martin; insistant sur cet
élément il affirme: « Aussi, Céline, loin
d'être quelqu'un qui élucubre des simplismes idiots, pointe
quelque chose, sous la forme du rire98[...]. ». Cet argument
récuse toute idée de logorrhée, au reste ce postulat d'une
écriture utile se renforce car le même Sollers lui adjoint un
second argument selon lequel, sans doute en pensant aux pamphlets, ces mots
exposent le Mal à vif et par conséquent « le mal, lorsqu'il
est verbalisé à ce
97 Philippe Sollers, La guerre du goût, Paris,
Gallimard, 1996, p.166.
98 Alain Finkielkraut (dir), Ce que peut la
littérature, Paris, Gallimard, 2008.
point[...]permet de voir exactement ce qu'est cette
passion-là99 ». Ainsi évoquer le mal de
façon infréquentable, c'est se confronter en tant que lecteur
à lui sans ambage. La musique de cette écriture
réinventée apparaît ensuite comme une nouvelle vertu, une
grâce donnée aux mots qui se font virevoltants. Ce n'est donc pas
insignifiant que Sollers ait choisi cet angle lorsqu'il s'est agi de consacrer
un second article à Céline dans La guerre du goût
sous le nom de Céline au clavier. En une courte formule,
la clé de l'oeuvre se trouve dans la clef de sol. Se fondant sur un
extrait de Rigodon voici comment il met en avant la musicalité:
« [...]le langage, tout entier devient une boîte à musique,
un clavier, où il suffit de piquer un air pour retrouver une
nébuleuse de récit intarissable100.». Un autre
poète au XIXème siècle, Verlaine, était aussi
musicien des mots et sa propre musique les accompagnait créant une
poésie décantée, allégée, murmurée.
Pour Céline l'effet est multiplié, la musique semble devenir un
langage premier superposé aux mots, le langage second; les mots sont des
croches qui servent la cadence. Toutefois si elle séduit cette
littérature présente également des aspects plus sombres
caractérisés principalement par sa malignité, sa
voracité que mettent en avant ses détracteurs comme Martin. Par
exemple, à l'instar de ce dernier, ne peut-on pas estimer que le rire et
la musique sont deux facteurs de dilution du mal? Un aspect plus
maléfique de ce style peut être observé.
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