WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

La métaphore du voyage, quête et subversion de la quête chez Louis-Ferdinand Céline

( Télécharger le fichier original )
par Franck Macé
Université Paris Sorbonne - Master 1 2008
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

3) Les vices de ce style

L'écriture de Céline continue jusqu'à aujourd'hui à être controversée, par écriture nous pensons bien évidemment aux pamphlets des années 30 et 40 mais au-delà aux romans qui comportent des éléments troublants. Le coeur même de cette controverse se situe dans le constat d'une écriture solidement harnachée à une idéologie haineuse qui se dessine au fil des mots. Cette idéologie que certains considèrent comme un fascisme littéraire serait donc tolérée par les lecteurs soumis au nom du style, des acrobaties lexicales, de l'émotion. Cette dernière est du reste la plus contestée par ceux qui veillent à « dégriser » le lectorat happé par le style ou à rationaliser l'étude de cette oeuvre. Le règne tout puissant de l'émotion sur les esprits pose en effet le problème de la réflexion, en cela elle s'oppose à la raison. Le rendu émotif consisterait en une sorte de séduction maléfique du lectorat ensorcelé par la magie de Céline perdant ainsi toute faculté critique, ce serait là le déploiement d'une poétique obscure. Ce charme hypnotique du style semble en effet compléter la définition de la poétique célinienne selon Godard qui précise ceci: « Vouloir, comme Céline s'en vante, toucher son émotion, et même son système nerveux, n'est-ce pas paralyser son esprit critique et le mettre en état d'accepter ce qu'il n'accepterait pas de sang-froid101. ». Un second critique de Céline, Jean-Pierre martin remet en cause pour sa part le statut dont jouit la musique dans cette écriture et veille à la

99 ibid

100 op.cit, p.363.

101 op.cit.

démystifier en insistant sur le fait que celle-ci ne doit pas être un cache légitimant le contenu. Ainsi débattre autour du style de cet auteur c'est à nouveau se pencher sur le caractère irrésistible du Beau et de ses rapports tendus avec le Vrai ou le Bien. Le Beau peut-il dédouaner un auteur? La particularité du style de Céline fondé, nous le verrons à de nombreuses reprises, sur l'idée d'ordre est pourtant le fruit d'un travail de dépouillement assez libertaire en somme. Si l'ordre c'est l'absence de contradiction et le lissage par l'émotion de toutes les divergences possibles, il s'obtient aussi en imposant fermement aux lecteurs des idéologies. Cela revient donc à dire que le style ne tourne pas à vide, il est le bras armé de la doxa. Céline prétendait ne pas être idéologue ou prescripteur d'idéologies, c'est sur ce point précis que l'attaque Jean-Pierre Martin dans le même essai où citant Céline il ajoute: « le style contre les idées, prétend Céline. Contre les idées, vraiment? Le style n'est pas là pour les contrer. Plutôt pour être tout contre elles, pour mieux les transporter, en contrebande, dans le métro émotif102.». Dans l'esprit de Martin, on ne doit pas se contenter d'une lecture purement littéraire, innocente; les idéologies sont présentes et menaçantes. Plus loin dans son essai ce critique évoquera « la fonction politique[...] de la parole en éclats de Céline103.». A l'instar donc d'une plaisanterie qui aurait toujours un fond de sérieux, derrière cette écriture romanesque se dissimulerait des thèses politiques. Il en est une qui est citée, celle du biologisme présente dès son premier roman et soulignant les considérations aigües qui sont celles de Céline en matière de race. Nous n'oublions pas que Céline a écrit sa thèse de médecine sur Semmelweis, un médecin hygiéniste, et que cela combiné à sa culture antisémite peut expliquer sa dérive future vers les thèses eugénistes et de purification de la race. En outre l'idéologie se reflète aussi non dans les thèses mais dans les formes véhiculant ces dernières, ce qui finalise et clôt en somme le système de pensée de l'auteur. Nous l'avons précisé, le style de Céline est autoritaire dans le sens où il confisque la distance critique du lecteur, il l'est aussi à travers ses caractéristiques formelles et notamment la voix du narrateur. Il convient ici de rappeler les travaux de Danièle Racelle-Latin qui mettait en avant la spoliation des autres discours par le discours dominant tenu par Bardamu (cité plus haut). Le narrateur apparaît comme un despote tant sa voix confisque toute la pensée, Martin évoque même un « je terroriste » et « une écriture nerveuse[...]sourde à toute contradiction, à toute contestation de l'intérieur104. ». Ce « je » totalitaire est à l'opposé d'un « je » plus universel comme celui de Montaigne. Toujours sur un plan formel et dans la perspective traitée actuellement notons la présence dans l'édition critique des Damour chez PUF de l'étude d'un épiphénomène grammatical assez significatif quant à la violence faite à la phrase. Au-delà de cet exemple il est fréquent de relever à travers les différentes lectures d'ouvrages savants sur le sujet un lexique de destruction

102 Jean-Pierre Martin,Contre Céline ou D'une gêne persistante à l'égard de la fascination exercée par Louis Destouches sur papier bible, Paris, J.Corti,1997.

103 ibid

104 ibid

choisi par les auteurs. Ici il s'agit des rapports établis par Barthes entre le nom et la place hégémonique de l'adjectif dans la phrase notamment lors des pastiches de grands discours et voici ce qu'en disent les auteurs: « Selon Barthes[...]l'adjectif placerait ainsi le nom du côté de la mort. C'est bien ce rôle-là qu'assume l'adjectif célinien, mais à un degré extrême: il « tue » le nom de façon plus radicale encore en le vidant de sa substance105[...]. ». Enfin afin de clore sur ce sujet et dans le but de démontrer que ce style n'a pas fini de poser problème, nous exposons ici les propos tenus par Alain Finkielkraut lors d'un entretien radiophonique pour l'émission « Qui vive » sur l'antenne de RCJ où ce dernier évoque la « jurisprudence Céline ». Pour ce dernier elle consiste à légitimer dorénavant des propos haineux sous prétexte que ces derniers sont ornés d'une inventivité littéraire heureuse. Cette remarque ne porte que sur les pamphlets de Céline, c'est à dire un pan de sa production toutefois on peut penser que les pamphlets sont tendus par un style travaillé de longue haleine et qui aurait enfin épousé ce pour quoi il était fait et trouvé là sa propre finalité. Ce genre virulent est une dérive de l'émotif car la frontière est mince et la pente glissante vers ce que Finkielkraut nomme « l'éruptif, le vindicatif, l'épidermique, le féroce. ». Pour le formuler autrement toujours selon notre littérateur Céline a donné ses lettres de gloire à une démarche d'écriture fondée sur le flot, sur ce qui est « lâché » là où ce qui compte est ce qui est retenu, mesuré, pensé. Le débat finalement s'il perdure est loin d'être achevé car les arguments les plus ciselés aux yeux de la raison auront beaucoup de mal à venir à bout de la magie. Combattre ce style c'est vouloir enferrer un spectre. En outre le style de Céline, parce qu'il est un style rare, s' inscrit dans une tradition littéraire française dont l'inclination fervente pour les stylistes semble irréductible.

A l'image des territoires du nouveau monde conquis violemment par les hommes, le voyage métaphorique en terre littéraire de Céline est à la fois une exploration menant à des voies nouvelles mais aussi une forme de maltraitance infligée à la langue académique et aux codes romanesques. Le roman est brisé, la langue tordue; ce sont là les nécessités de la quête de la modernité. L'auteur ne pouvait décrire les convulsions de son temps à travers une langue placide. Ainsi Céline se fait passeur, il conduit lors de cette traversée les lecteurs d'une rive à l'autre, quittant les formes littéraires précipitées dans la désuétude il projette le roman vers le renouveau. En cela il participe aux soubresauts salutaires qui animent le parcours de l'histoire littéraire et la fait déborder de son lit. Là n'est donc pas la part subversive de cette quête en écriture avivée par les lois du voyage, lois d'un motif en partie appauvri, bafoué dans le récit étant en fait transférées dans l'écriture même stimulée par la volonté de rompre les codes, d'inventer et d'offrir au lectorat en le touchant au plus près du coeur les sensations les plus aigües. Toutefois si l'avènement de ce style, accueilli de manière partagée lors de la publication de Voyage au bout de la nuit et aujourd'hui installé au rang de mythe, n'apparaît pas comme un problème a contrario les emplois romanesques et pamphlétaires de cette trouvaille heureuse interpellent. Dans un premier temps Céline a progressivement en quelque sorte négligé son invention en la menant à son terme à savoir la déconstruction la plus significative de la phrase; le style meurt de son accomplissement et la fragile solution alchimique des débuts reposant sur un subtil attelage d'oralité prosaïque et d'amplitude poétique se brouille. Cette poursuite de la dislocation se reflète parfaitement dans le récit de Mort à crédit, des romans sous forme de chroniques de la guerre puis des pamphlets. C'est là le second point subversif, Céline a mis au service d'idées haineuses sa « petite musique » si fluide et légère. Sa douce ritournelle, pernicieusement, s'est emparée des idéologies d'airain gorgées de haine pour les faire dansoter au fil des phrases. De plus le pamphlet, s'il s'est imprégné des trouvailles des romans précédents, fut à son tour un incubateur de style pour les romans d'après-guerre. Ce laboratoire d'écriture fut le lieu où se déploya la force d'un style dévoreur de mots, vociférateur, un style comme une emprise irrationnelle.

Quelle est donc la place du voyage dans les deux premiers récits de Céline? Quelle est la place du voyage dans la vie de Louis-Ferdinand Destouches? Avec quelle amplitude le lexème « voyage » est-il exploité dans l'oeuvre? Le voyage se trouve au centre de la structure et de la dynamique des ouvrages choisis et étudiés, position renforcée par l'emploi sémantique plein que Céline en fait. En effet il l'exploite premièrement dans sa dimension concrète au service d'un projet nihiliste lui ôtant partiellement ses charmes chers au goût du public des années 30: évasion, harmonie niant par làmême sa logique universelle. Puis il l'exploite généreusement dans sa fonction poétique selon un double emploi métaphorique correspondant au parcours de vie des narrateurs et à la quête littéraire menée par Céline afin de tous les restituer. Céline se sert donc pleinement de ce motif et de ses lois usurpées, perverties par le projet incandescent de l'auteur: renvoyer au monde à l'aide de livres féroces toute l'horreur qui émane de lui. Le livre devient donc un miroir grossissant grâce auquel Céline fait part de toutes ses désillusions à propos de l'Homme et de ses errances aiguillonnées par sa sempiternelle lourdeur. Dans son parcours de vie le voyage fut pour l'auteur une suite d'expériences fécondes. En littérature les mécanisme du voyage seront le prisme principal amplifiant et tordant les visions projetées par l'imagination de l'auteur. Sans souffle dans la diégèse, le voyage insuffle une vigueur nouvelle à l'écriture du récit. Ces textes sont donc le résultat d'un transfert de vitalité selon lequel le voyage physique, dévitalisé par l'auteur, assombrit considérablement le récit d'un voyage métaphorique sous les effets d'une langue régénérée par les lois du voyage, « revitalisante », au service du rien. C'est un processus littéraire au sein d'un système clos qui mène à un nihilisme vigoureux. Ainsi chez Céline le vrai voyage est dans l'écriture et si nous avons constaté qu'il est synonyme d'invention nous pouvons également affirmer qu'il permet à l'auteur de se réinventer. Destouches invente Céline et veille du moins au début de sa carrière d'écrivain à ce que les deux vies ne se mêlent point. Maître du territoire littéraire nouvellement conquis Céline devient comme son nom de corsaire écumant les eaux propices au sabordage de la vieille littérature. Cette étude de la notion de voyage en somme nous permet de faire émerger l'alliance oxymorique entre la vie et la mort qui sous-tend l'ensemble de l'oeuvre susceptible d'être perçu à l'aide d'une plus large monographie. Ce paradoxe constitue l'essence même de cette écriture. Tout d'abord il existe ce conflit entre la vitalité de cette nouvelle langue, seconde, mortifère et la déliquescence de la langue maternelle, première, opérée par l'auteur. Ensuite il est indéniable que cette langue revitalisée a servi et véhiculé des idées funestes dans le cadre des pamphlets notamment. Si cette opposition s'avère présente sur un plan formel, elle l'est aussi quant au travail de mémoire qui nourrit les deux premiers romans. En effet Céline ravive au fil des lignes des souvenirs personnels mais il les annihile en leur ôtant toute légitimité en matière de véracité, ainsi les éléments autobiographiques susceptibles d'être immortalisés par la plume meurent sous les coups de boutoir de la transposition. L'existence de Destouches meurt en donnant

naissance au monde de Céline. En outre Céline connu pour avoir été un grand lecteur d'auteurs classiques tout au long de sa vie et notamment en prison au Danemark éteint la flamme de la visée universelle de cette littérature, rompt avec ses préceptes et fait naître une littérature exclusivement articulée autour du moi, une littérature « moimoiiste » auto-alimentée par la seule vie de Céline durant la guerre et l'exil illustrée par D'un château l'autre, Nord, Rigodon... Comme cristallisée dans la notion de voyage, la tension Vie/mort se niche au plus profond de l'âme de Louis-Ferdinand Destouches et de l'imaginaire de Céline.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Piètre disciple, qui ne surpasse pas son maitre !"   Léonard de Vinci