D) UN STYLE AU COEUR DU DEBAT
1) Rayonnement du style
Le style est une vitalité nouvelle apportée
à la littérature, un renouvellement de ses codes offrant par
là-même une extension de son potentiel. Le style aux yeux de
Céline est un artisanat qui consiste à travailler soigneusement
sur le matériau de la langue, à le réinventer. En cela
nous pouvons penser que la nouvelle offre, suprême, en littérature
correspond à l'ouvrage qui reposera sur une structure formelle inconnue
jusqu'alors exposant autrement les éléments de fond. A l'image de
ce que Robbe-Grillet a pu dire sur le Nouveau Roman, l'engagement se situe dans
la forme; l'écriture devient une sorte d'aventure. A l'aune de ce
postulat et dans un pays qui a coutume de glorifier ses écrivains les
ouvrages de Céline sont dignes d'être en quelque sorte «
panthéonisés », du reste ce point de vue est aujourd'hui
largement partagé notamment par Barthes, cité par Godard dans
Poétique de Céline, qui précise ceci sur la
liberté en littérature, elle dépend « du travail de
déplacement qu'il exerce sur la langue: de ce point de vue Céline
est tout aussi important que Hugo, Chateaubriand que Zola96.».
Un autre littérateur renommé, Sollers, le place volontiers aux
côtés de
Proust, Flaubert, Joyce dans son ouvrage regroupant ses
critiques et rendant un vibrant hommage aux grands créateurs: La
guerre du goût. Céline, lui-même, lors d'un entretien
réalisé pour la télévision avec Dumayet
(identifié plus haut) précise que le style est une chose rare en
littérature estimant les véritables créateurs au nombre de
deux ou trois par génération par opposition à ce qu'il
nomme les « cafouilleux ». Toutefois il existe une autre dimension
qui va donner à ce fameux style toute son importance, celle du
débat public, politique autour de la figure de Céline
antisémite et collaborateur. En effet lorsque Céline sera
attaqué par la suite sur ses idées il répondra «
style! ». C'est ce que Sollers explique dans son article intitulé
judicieusement Stratégie de Céline mettant en
lumière le fait que pour Céline les attaques se cristallisent de
façon inavouée autour de son style iconoclaste rompant avec tous
les codes admis par la bienséance: « Plus que jamais la
société est persuadée d'être bonne[...]. Son ennemi
principal ne sera donc pas, comme elle veut le faire croire, l'individu qui a
de mauvaises pensées, l'extrémiste, le terroriste, mais bien
celui qui s'exprime autrement, de façon plus nette, plus
complexe97. ». Plus haut il évoque aussi le fondement
supposé de ces attaques incessantes, la « jalousie verbale ».
Coupable, Céline devient victime. Cette instrumentalisation du style
sera au coeur de la défense de l'auteur qui, comme le rappelle à
nouveau Sollers lors d'un débat à la radio retranscrit, reprend
l'idée de Flaubert selon laquelle on peut être coupable à
cause de son style évoquant « la haine inconsciente du style »
. C'est donc fort de cet orgueil que Céline a continué à
écrire, renforcé même par les attaques comme autant de
preuves de son génie et de sa singularité. Après avoir
souligné l'importance du style dans l'oeuvre et la vie plus personnelle
de Céline, voyons les vertus puis les vices de cette écriture
problématique.
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