3. Analyse
Je peux souligner une certaine contradiction dans le discours
de Fatoumata : d?un côté, elle dit avoir eu la chance d?être
tombée sur un bon médecin et de l?autre, accuser le
système d?être en partie responsable de ses malheurs. Elle fait
une distinction, d?un côté, elle met le médecin et les
associations et de l?autre côté elle met le système
administratif à part.
«Dans le système administratif de la
santé il ya rien à dire ; il est défaillant. Bon, je parle
pour moi (silence), certes il y a l'AME qui est mis en place pour les personnes
sans papiers mais bon on te retarde tellement, que finalement tu ne sais plus
quoi faire. Je te dis et je te le redis, être étranger
amène déjà une précarité. Maintenant, il y a
quand même tout un système qui est mis en place pour venir en aide
aux migrants Mais, je pense qu'il y a un certain discours qui est quand
même défavorisant et en plus, ce que je trouve dommage, ce sont
les remarques qui tuent provenant de certaines personnes du corps
médical. En tout cas, il y a une grande différence entre mon
médecin et les gens que j'ai rencontrés au sein des associations
Ils m'ont aidé, ils ne m'ont pas jugé, ils m'ont pris telle que
je suis venue. Une fois je suis allée accompagner une amie à la
préfecture ; si tu voyais comment ils l'ont renvoyé chez elle.
C'est fou après cela tu as la haine. Un jour, un laboratoire et une
pharmacie ont refusé de s'occuper de moi soit disant que j'ai l'AME et
qu'ils ont toujours des problèmes avec l'AME des étrangers sous
entendue nous les personnes migrantes Moi, je dis
il faut repenser le discours émit, peut être
faire une prévention par les migrants eux-mêmes en gros au lieu de
nous donner le poisson qu'on nous apprenne à prcher le
poisson.»
Ce récit montre que Fatoumata croit aux systèmes
de santé et à tout ce qui est mis en place afin de les aider
à mieux vivre leur séropositivité. Mais d?un autre
côté, il suffit qu?elle soit confrontée à une
difficulté pour mettre tous ses «malheurs» sur le
système de santé et le service administratif.
Alors qu?on pourrait penser que les femmes migrantes une fois
leur séropositivité connue se préoccuperait de leur
santé, ces femmes pensent en tout premier lieu à l? origine de
leur contamination, et ensuite à tout ce que la maladie engendre
(exclusion, discrimination, mobilité etc.). L?accès aux soins est
quelque chose qui vient en dernier lieu. Ce n?est pas une priorité chez
ces femmes contrairement à ce qu?on pourrait croire.
Généralement, ces femmes n?arrivent pas à
déterminer exactement l?origine de leur contamination, mais elles
continuent à vouloir la trouver. Ce n?est qu?une fois qu?elles arrivent
à comprendre comment vivre au milieu des gens de leur communauté
avec leur séropositivité et avoir une situation qu?elles
appellent «normale» c'est-à-dire avec
régularisation des papiers, trouver un bon logement etc. c?est seulement
là, qu?elles pensent à leur santé. Dans le cas de
Fatoumata, elle est un peu désemparée entre s?occuper de la
santé de son enfant et trouver un lieu où rester sans que sa
séropositivité ne soit jamais connue.
Hormis le fait que le VIH/SIDA est perçu comme un
stigmate, une exclusion, source de mobilité, c?est aussi perçu
comme un malheur et une honte mais renvoie aussi une certaine image
négative de soi.
C?est un malheur puisque, cela les revoit à une
situation d?impuissance. C?est une fatalité, ces femmes savent qu?elles
ne vont pas guérir de la maladie. Il y a bien sür les traitements
efficaces qui permettent de vivre plus longtemps avec la maladie et ne pas
atteindre le stade du VIH/SIDA mais le malheur est souvent plus associé
à une souffrance morale. Morale, parce que ces femmes sont le plus
souvent confrontées à un silence : c?est un lourd poids pour
elle. Le fait de ne pas dire leur séropositivité les travaille
psychologiquement donc, le SIDA est un malheur, il renvoie très souvent
un discrédit sur les personnes séropositives.
C?est une honte puisque, la personne qui est malade du SIDA au
sein d?une famille véhicule une mauvaise image de la famille. La famille
dont est issue la personne est mal vue au sein de la communauté dans
laquelle elle vit. La famille préfère exclure la personne
déviante que de la garder au sein de la famille. Etre porteur du VIH,
c?est forcement avoir eu une débauche sexuelle. C?est source d?exclusion
au sein de la famille qui est l?une des plus grandes punitions pour un
être humain. Ce témoignage illustre bien ces propos.
«La plus grande douleur est de ne pas avoir d'amis,
d'ame soeur. Pour nous, la clé c'est la notion de honte. Si vous faite
honte à quelqu'un c'est très grave. La personne qui a le SIDA
n'est pas un individu isolé, elle appartient à un clan, à
une tribu, et finalement à une société. Et sa propre honte
rejaillit sur le reste de la famille. La cause de la maladie étant
souvent liée au sexe, la principale réaction est : "C'est toi qui
l'a cherché, c'est toi qui va payer". Donc la famille te rejette..Et la
plus grande punition pour un Africain, c'est l'isolement». (n°
spécial remaides, novembre 2005, p30)
L?image de soi renvoie à comment ces femmes se
perçoivent mais aussi aux regards des autres sur elle. Ces femmes
pensent qu?être porteuse du VIH se lit sur leur visage. Ainsi, sans le
vouloir ces femmes s?auto excluent. Les femmes interviewées font
attention á toujours être bien présentables. Depuis
l?annonce de leur séropositivité, elles n?ont pas eu de relations
sexuelles, elles pensent que leur corps est sale et donc, le fait d?être
nu devant un homme est inconcevable. Il leur faut du temps avant d?accepter ce
corps qui se change et se transforme. Le regard des autres sur ces femmes se
traduit par leur réaction, et leur attitude en présence de ces
femmes. Et ceci est souvent mal vécu par ces femmes. Le reflet de
l?image négative du VIH/SIDA contribue à construire l?image de
soi de la personne séropositive.
"Tu ne vois pas comment elle a maigri ?" Cette simp le phrase
équivalait à une véritable
condamnation. Je me suis retrouvée du
côté des personnes à la "minceur suspecte". (Femm'info,
p24)
La perception du VIH/SIDA est vu ici d?un point de vue
plutôt comportemental, c?est un construit social. Ces femmes pensent que
le VIH/SIDA est source de beaucoup de maux qui, selon elles, n?ont pas lieu
d?être. Pour ces femmes tout est façonné dans la
société dans laquelle elles vivent et cela quelque soit le lieu
où elles résideront.
IV : Rapport au risque et protection de soi
Le rapport que les femmes ont du risque, c?est la protection
de soi. En se protégeant, elles protègent les autres. Elles
évitent toute relation sexuelle qu?elles perçoivent comme seul
moyen de se préserver. Mais aussi un moyen qui peut leur éviter
de révéler leur séropositivité. Les propos qui
suivent illustrent le rapport que les femmes interviewées ont du
risque.
«Tu veux parler de quel risque, je suis
déjà séropositive. Mais bon, avant l'annonce de ma
séropositivité, je savais déjà ce que c'est qu'~tre
séropositive. Une fois, j'ai rencontré les volontaires d'Aides
qui faisaient de la prévention dans un salon où j'ai l'habitude
de me faire coiffer. J'ai pu échanger avec eux mais bon bien avant
ça je voyais toutes les campagnes de préventions faites sur le
VIH/SIDA. Avec eux, on a discuté des risques que l'on pouvait encourir.
On a échangé sur les différentes choses qu'on pouvait
mettre en place afin de limiter les risques d'infections. En ce temps,
j'étais encore séronégative. Maintenant, le risque pour
moi c'est d'éviter l'une des maladies opportunistes. Pour cela, le plus
simple, c'est de ne pas avoir de rapport sexuel. Tu me diras il y a pas que
cela. Il faut se protéger contre les maladies, et surtout des attitudes
des autres, sinon on se laisse facilement abattre, mais il faut aussi adopter
une nouvelle hygiène de vie. Je fais attention à ce que je
mange, à ce que je bois, en gros à mon mode de vie.»
(Mary)
«Moi, je n'ai pas de rapport avec le risque puisque,
je viens d'apprendre ma séropositivité. J'essaye tant bien que
mal de me protéger de la méchanceté de mes compatriotes.
(Long silence). Je sais avec qui je peux parler de cette maladie. C'est un
risque de se prostituer, mais j'avais toujours fais attention à ne pas
prendre de risque en me préservant et en me faisant dépister au
moins une fois par mois. Je ne sais pas ce qui s'est passé, tu sais le
préservatif peut se percer, ou je ne sais pas. Le risque c'est de faire
attention et éviter tout rapport sexuel. Mais il faut aussi que
je change de mode de vie et intégrer de nouvelles règles
dans ma vie.» (Fatoumata)
«Le rapport au risque c'est quoi. Les risques se
trainent à nos côtés et surviennent au moment où on
les attend le moins. Je fais attention à moi et à ce que je fais
et j'essaye de vivre ma vie. Ce dont je suis sûre, je suis
séropositive et c'est irréversible. Je me protège en
évitant tout
rapport sexuel, ainsi je me protège. Mais je fais
aussi attention à ce que je mange, ce que je bois, j'ai appris à
vivre autrement avec le VIH/SIDA. Tu sais, si on ne fait pas attention, on peut
se choper n'importe quelle maladie. Donc comme je te l'ai dit faire attention,
mais vraiment à tout.» (Lydia)
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