Collectionneurs et Paquebots - Constitution et préservation d'un héritage patrimonial et culturel( Télécharger le fichier original )par Cécile Bricault Université Lille 3 - Master 2 Pro Administration patrimoniale 2009 |
1.2 Le collectionneur du paquebot« Il y a deux sortes de collectionneurs, celui qui cache ses trésors et celui qui les montre, on est placard ou bien vitrine ; je suis vitrine » Sacha Guitry.60(*) Le collectionneur du paquebot est toujours sur la passerelle qui relie le navire au quai. Il est un pont entre passé et présent : un curseur placé à un endroit précis du temps. Il voit la recherche du passé comme une construction pour l'avenir. « Pour être soi, il faut se projeter vers ce qui est étranger, se prolonger dans et par lui. Demeurer enclos dans son identité c'est se perdre et cesser d'être. On se connaît, on se construit par le contact, l'échange, le commerce avec l'autre. Entre les rives du même et de l'autre, l'homme est un pont »61(*). Un pont entre l'objet et les autres, un pont qui permet à la mémoire de créer une brèche dans le temps continu de l'Histoire. Le collectionneur crée le mythe fondateur de la collection. Il apparait toujours héros de sa propre histoire. En outre cette collection possède un cachet particulier, car beaucoup d'objets sont contemporains des acquéreurs, excepté les objets concernant les navires du milieu XIXe au début XXe. Les collections s'enracinent ainsi dans une histoire familiale, un vécu mémoriel. « La mémoire n'est jamais achevée comme le passé, ce donné « qui ne laisse plus de place au possible » »62(*). Chaque collectionneur est le gardien d'un passé, de son passé maritime. Un héritage qu'il conserve précieusement et parfois jalousement, clé de son identité, et qu'il souhaite transmettre ensuite. La volonté de recueillir cette histoire et de l'inscrire dans une durée amène le collectionneur à effectuer une intervention dans le cours de l'Histoire. Il échappe à l'objectivité, et tisse un lien subjectif autour des objets qu'il soustrait à la marche historique du temps. Une typologie est assez difficile à mettre en oeuvre. En effet, les collectionneurs affichent tous différents profils. Il n'est donc pas envisageable de proposer un profil type du collectionneur du paquebot, ce qui, par ailleurs, ôterait l'originalité de ces façons différentes d'appréhender la collection de paquebots. Néanmoins les réponses apportées au questionnaire permettent de cibler les identités variées du collectionneur du paquebot à travers divers axes : comment devient-il collectionneur ? comment se dévoile-t-il ? comment se considère-t-il ? quels sont ses comportements ? 1.2.1 Devenir collectionneurLe collectionneur « rêve non seulement qu'il s'en va dans un monde lointain et révolu, mais aussi dans un monde meilleur »63(*). Il existe différentes manières de devenir un collectionneur du paquebot. Ces contextes favorables à l'éclosion d'une telle passion sont bien évidemment uniques pour chacun, personnels à chaque histoire. Néanmoins, ils peuvent se regrouper et s'interpénétrer. La collection débute par le souvenir64(*) ou par un souvenir65(*). Celui-ci suppose toujours un héritage transmis, qui va se révéler entièrement à un esprit... En ce qui concerne le monde du paquebot, les souvenirs sont divers, et varient à l'infini les raisons qui poussent un homme à devenir collectionneur de cet univers. 1.2.1.1 Souvenirs d'enfanceDans un ordre chronologique, la première des raisons remonte à l'enfance : lorsque l'enfant commence à appréhender le monde par lui-même, qu'il atteint une phase d'éblouissement, de perception et parfois de compréhension. Phase qu'en tant qu'adultes, nous avons parfois du mal à retrouver. Parmi les dix collectionneurs, trois ont commencé leurs collections vers l'âge de 10 à 13 ans. L'un parce qu'enfant, il a voyagé sur les lignes françaises qui menaient les Français vers les colonies Outre-Mer66(*). Il collectait alors tous les renseignements, conservait tous les papiers relatifs aux paquebots empruntés. Le contexte décrit ici révèle dans ce premier besoin de collectionner, un trauma qui peut prendre ses causes dans ces nombreux voyages et dans le besoin inconscient de stabilité souhaité par l'enfant. A travers sa collecte de papiers, il garde des repères et se crée ses propres repères. Les deux suivants débutent de manière similaire après avoir reçu un cadeau de leur père ou d'un ami. Le premier a ainsi entre les mains une silhouette en métal du paquebot Normandie67(*), et le lendemain ses yeux ne voient sur la brocante que les objets venant de ce paquebot68(*). Nouvel objet de curiosité, le paquebot entre dans la vie du jeune garçon et n'en sortira plus. Ce premier objet est d'une importance cruciale dans la construction identitaire de ce collectionneur, puisqu'en cas de vente de sa collection, il sera l'un des seuls objets dont son possesseur ne pourra se séparer. Le deuxième reçoit un lot important de cartes postales sur les paquebots69(*), et se lance dans des lectures concernant le Titanic. Premier héritage et première transmission dans la possession. Première prise de conscience d'un ailleurs, sous la forme d'objet en 3D, de papiers qui laisse à l'imaginaire le soin de suppléer au réel, ou la forme d'un vécu que l'on se remémore. * 60 Sacha GUITRY, cité dans RHEIMS Maurice, Les Collectionneurs. * 61 RICOEUR Paul, « Cultures, du deuil à la tradition » Article in Le Monde, 23 mai 2004. * 62 BOURSIER Jean-Yves, La mémoire comme trace des possibles. N°12-2002, Traces. Site revues.org, catégorie Socio-Anthropologie. Il cite Marc BLOCH, Apologie pour l'histoire, Paris, Armand Colin, 1974, (1ère ed. 1941), p. 107. * 63 PRAZ Mario, La maison de la vie. Trad. M. Bacelli Galli, p.40. 1993. Cité par RHEIMS Maurice, Les collectionneurs. * 64 Au sens du souvenir créé par l'esprit et notre mémoire. * 65 Au sens d'objet-souvenir. * 66 Questionnaire MEC5, Q6 et Q12. * 67 Questionnaire MJC10, Q6 et Q13. * 68 « Le Normandie était un paquebot transatlantique de la Compagnie générale Transatlantique, construit par les Chantiers de Penhoët à Saint-Nazaire. Considéré par beaucoup comme le plus beau paquebot jamais construit, c'était aussi le plus grand à sa sortie du chantier en 1932. Après seulement quatre ans de service, il est réquisitionné par la marine américaine afin d'être converti en transport de troupes avec une capacité de plus de 10.000 soldats. Durant des travaux dans le port de New-York un incendie se déclare en 1942 et le paquebot chavire sous le poids de l'eau déversée par les pompiers. Renflouée, l'épave est ferraillée en 1946. Normandie laisse le souvenir d'un âge d'or des transatlantiques luxueux, dont le Queen Mary II est aujourd'hui l'héritier». Source : Wikipédia. Article « Normandie ». * 69 Questionnaire MAC1, Q6 et Q13. |
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