Collectionneurs et Paquebots - Constitution et préservation d'un héritage patrimonial et culturel( Télécharger le fichier original )par Cécile Bricault Université Lille 3 - Master 2 Pro Administration patrimoniale 2009 |
1.1.3 Mémoire de paquebotL'objet est la mémoire du paquebot. Il participe au sauvetage mémorial de ces paquebots détruits les uns après les autres, par l'usure ou l'indifférence de nos contemporains. La disparition des anciens paquebots conduit à la perte de lieux de mémoire. Ils ne prétendent même pas être ces « coquilles sur le rivage quand se retire la mer de la mémoire vivante »43(*), puisque certains, comme l'ex-France, ex-Norway, sont démantelés dans des pays étrangers. Même si d'autres deviennent des restaurants, hôtels ou casinos de luxe, tel le Queen Mary44(*) - musée restaurant, ils ont perdu leur usage premier, leur valeur intrinsèque...45(*) Les collectionneurs sont ici unanimes : un paquebot est fait pour naviguer, et non pour être « attaché » à un quai46(*). Quelques uns préfèrent néanmoins une seconde vie, qui sauve le paquebot et ses objets, à la destruction volontaire du bâtiment47(*) : puisque les objets restent sur le navire. Perte - temporaire - pour les collectionneurs... Ainsi s'expliquent la colère et le dépit de certains collectionneurs, ayant appris l'incendie volontaire, par les troupes irakiennes, du Mariott-Hôtel, bateau ancré à Koweit et transformé en hôtel de luxe. Ne demeure alors que le milieu de mémoire... Objets, anciens matelots, officiers, voyageurs, tous transmettent leurs mémoires. Une mémoire orale, parfois écrite, teintée donc de matériel et d'immatériel. Mémoire de quoi ? de qui ? D'une époque, d'un style de vie, d'anecdotes liées à un voyage, un personnage ou un objet... La mémoire se satisfait du patrimoine matériel. Les objets-survivants de cette période faste des paquebots sont les derniers supports d'un patrimoine immatériel en voie de disparition : art de vivre, savoir-faire, métiers, traditions, histoires, souvenirs... Les collectionneurs sont ainsi souvent d'anciens voyageurs ou d'anciens marins, qui gardent par devers eux encore des traces, des supports, néanmoins souvenirs lointains et empreints de subjectivité et de leur sensibilité... Mais de milieu de mémoire, l'objet-survivant devient alors un lieu de mémoire, puisqu' « un lieu de mémoire dans tous les sens du terme, va de l'objet le plus matériel et concret, et éventuellement géographiquement situé, à l'objet le plus abstrait et intellectuellement construit »48(*). Or les objets-survivants des paquebots font l'objet de constructions mentales de la part des musées, des collectionneurs. L'élaboration d'une histoire mémorielle permet de replonger dans la mémoire d'un passé, amène la réappropriation du patrimoine du paquebot et de sa mémoire. Les objets deviennent commémoratifs, en ce sens qu'ils rappellent incessamment des événements, des personnages, des lieux49(*). Ainsi Escal'Atlantic fonctionne de par les collections présentées, collectées, et parfois issues de dons de collectionneurs. L'écomusée de Saint-Nazaire50(*), très apprécié des collectionneurs, a recréé un « centre d'interprétation » du paquebot. Les visiteurs pénètrent dans un univers rêvé et utopique, que n'offrent plus forcément les nouveaux paquebots. Cette restauration du passé fait la part entre patrimoine et mémoire. Elle recrée une mémoire artificielle. De plus la plupart des visiteurs ne sont jamais montés à bord d'un paquebot. Ils trouvent là un avant-goût de leurs envies inconscientes de fuite devant la réalité, désirs d'aventures, et d'un peu de merveilleux... Transmission d'un héritage, traduction d'un passé, remémoration de scènes, peintures de genre... Trahison ? Paul Ricoeur l'exprime ainsi : « lorsqu'il existe trace, ce n'est plus de la mémoire vraie, il y a médiation et histoire comme rapport entre le présent et le passé dont on ne connaît que des traces, résultat d'une reconstruction, d'un tri opéré dans ces traces laissées par l'activité humaine »51(*). De même le dernier paquebot construit par Disney Line Cruise se veut être l'héritier fidèle de la ligne des plus grands liners. A son bord les personnages de Disney, que l'on retrouve également à Disneyland, participent de cette apparence de conte de fée, réalité vécue le temps d'un voyage. L'imaginaire des enfants et des adultes se réjouit de cette plongée réelle dans un monde merveilleux. Il s'agit là d'une nouvelle façon de magnifier la mémoire du paquebot et son patrimoine. Bien évidemment, ce dernier paquebot n'échappe pas à la grandiloquence américaine, cependant il signifie une nouvelle étape pour l'univers du paquebot. Celui-ci est entré dans le monde de la légende et du conte de fée, à l'instar d'un château fantastique. Il devient là une nouvelle sorte de lieu de mémoire, un lieu encore une fois hors du temps et de l'espace. Ainsi les compagnies Costa Croisières52(*) et TMR53(*) ont décidé de collaborer afin de redonner vie à la légende des Croisières Paquet54(*). Elles souhaitent ressusciter à travers un navire choisi avec le plus grand soin, l'Allegra, qui prendra la suite du Mermoz55(*), « l'Ame nostalgique des croisières, une certaine alchimie intemporelle du bien-être »56(*). Ici aussi la « mémoire vivante » 57(*)se rappelle encore à nous, à travers une retraduction et une transformation consciente du passé, pour un futur attendu. Le collectionneur voit dans l'acte d'acquérir ces objets sa contribution pour la sauvegarde d'un patrimoine, et parfois même héritage familial. Pour lui il s'agit d'un devoir sacré, d'un « devoir de mémoire ». Alors celui-ci « fait de chacun l'historien de soi »58(*). Le collectionneur devient l'historien de ses propres souvenirs et de sa propre mémoire. La collection « relie la question de la trace à celle du deuil et de l'héritage, mais aussi à la pensée, à l'intelligibilité de ce qui fut hier »59(*). * 43 NORA Pierre, Les lieux de mémoire. Introduction La fin de l'Histoire-Mémoire. * 44 Et bientôt le Rotterdam dans le port du même nom, dans sa livrée d'origine. * 45 BARBIER-GUYOT Alexandra, L'aura et/ou la valeur d'usage. Mémoire de Master 1 professionnel Administration patrimoniale Lille 3, 2008. * 46 Questionnaire MBC5, Q70. * 47 Annexe 1. Questionnaire, Q66 à Q70. * 48 NORA Pierre, Les lieux de mémoire. Gallimard, 1997. * 49 RIEGL Aloïs, « Le culte moderne des monuments ». N°9-2001, Commémorer, Site Revues.org, catégorie Socio-Anthropologie. http://socio-anthropologie.revues.org/document5.html * 50 Ecomusée de Saint-Nazaire, dirigé par Daniel SICARD, conservateur. * 51 RICOEUR Paul, Temps et récit, Paris, Seuil, tome III, Le temps raconté, 1985. * 52 http://www.fr.worldofcosta.com/la_storia.aspx http://www.costacroisieres.fr/B2C/F/Default.htm * 53 http://www.tmr-international.com/ * 54 Costa est dépositaire de la marque Paquet. * 55 Annexe 3. Le Mermoz, ex Jean Mermoz, de la Compagnie Fraissinet, desservait la C.O.A. jusqu'à Libreville. * 56 Jean-Maurice Ravon, directeur de TMR. Brochure envoyée aux croisiéristes au sujet de la croisière inaugurale de la nouvelle Compagnie Paquet. Voir en Annexe 5. * 57 NORA Pierre, Les lieux de mémoire. Introduction, La fin de l'Histoire-Mémoire. * 58 NORA Pierre, Les lieux de mémoire. Introduction, La fin de l'Histoire-Mémoire, p.32. Gallimard. 1997. * 59 BOURSIER Jean-Yves, La mémoire comme trace des possibles. Socio-Anthropologie. N°12-2002, Traces. http://socio-anthropologie.revues.org/document145.html |
|