Etude d'impact environnemental en droit français et camerounais( Télécharger le fichier original )par Faustine Villannaeau FOTSO CHEBOU KAMDEM Université de Limoges - Master II en Droit International Comparé de l'Environnement (DICE) 2009 |
Section III. Le contrôle par le juge.La procédure d'élaboration de la décision environnementale obéit à un régime complexe qui est source de retard pour son édiction. Mais ce régime trouve sa légitimité dans sa raison d'être, qui est de créer les meilleures chances de décisions régulières et opportunes. Précisément, la décision environnementale ne peut être prise qu'à la suite d'une étude d'impact scrupuleusement menée ou au vu d'une enquête publique, lorsque celle-ci est prévue, ou après consultation de certains autorités ou organismes consultatifs. Toutes ces formalités qui entourent la décision d'approbation d'un projet soumis à une véritable étude d'impact ou à une étude d'impact détaillée contribuent à renforcer d'une manière ou d'une autre la protection du milieu naturel où sera exécuté le projet. Il appartient donc au juge de veiller au respect des formalités prescrites par les textes en vigueur. Il s'agira alors pour le juge de veiller à la conformité des décisions environnementales au principe de légalité. Précisons en particulier que le juge est amené à contrôler la légalité des études d'impact à l'occasion des recours contre les actes administratifs. Pour ce faire, il faut connaître les moyens juridiques que le requérant doit invoquer pour faire échec à une irrégularité de l'étude d'impact ou des formalités qui garantissent son effectivité. On observera que les moyens juridiques invocables sont quasi identiques dans les deux systèmes juridiques s'agissant des formalités substantielles. Mais, en droit camerounais le formalisme absolu mis en place donne au recourant plus de moyens juridiques qu'il conviendra d'examiner. Cependant, en raison de l'effet exécutoire de l'acte administratif, c'est-à-dire, de la décision d'approbation du projet, il peut apparaître urgent de suspendre ladite décision en attendant le contrôle de la légalité de l'étude d'impact qui est examiné en même temps que ladite décision au fond. Ces observations liminaires seront abordées plus largement dans l'étude des moyens juridiques invocables dans le contrôle de la légalité de l'étude d'impact et des effets de la décision du juge administratif. ParagrapheI. Les moyens invocables devant le juge administratif. Les moyens juridiques à l'appui du recours contre l'acte administratif ayant approuvé une étude d'impact en France comme au Cameroun peuvent être tirés du vice de procédure pour des raisons qui seront développées infra. Toutefois, il est également possible d'invoquer le vice de forme dans le cadre du contrôle de la légalité de l'étude d'impact au Cameroun. L'expérience française acquise dans le contentieux de l'étude d'impact nous permettra de ressortir les grandes tendances de la jurisprudence administrative dont s'inspireront probablement les juristes environnementalistes et le juge administratif camerounais. A. Le moyen tiré du vice de procédure en droits camerounais et français. L'exigence de l'étude d'impact dans la procédure de l'élaboration de la décision d'approbation du projet est une formalité substantielle. Ce faisant, toute insuffisance ou erreur de l'étude d'impact constitue un vice susceptible d'entacher la légalité de l'acte administratif au moyen d'un recours pour excès de pouvoir117(*) fondé sur le vice de procédure118(*). Lorsqu'il s'agira d'une étude d'impact particulière, le juge va tout d'abord vérifier si le contenu minimum exigé a été présenté et plus tard contrôler l'élément particulier du contenu recherché dans le domaine des travaux en question. S'il apparaît que le promoteur a seulement satisfait aux exigences du contenu minimum, l'étude d'impact doit être déclarée insuffisante. De la même manière, le juge examinera dans quelle liste ou annexe est classé le projet pour déterminer quelle catégorie d'étude d'impact devait être effectuée. Le problème peut se poser de savoir ce qu'il adviendrait si le promoteur produit une véritable étude d'impact alors que c'est une étude d'impact allégé qu'il fallait présenter. Nous pensons que le juge ne devrait pas annuler une décision qui a approuvé une pareille étude d'impact, car l'extrême prudence ne nuit pas dans le cas d'espèce. A contrario, l'hypothèse inverse doit être sanctionnée pour insuffisance d'étude d'impact quoique tous les éléments de l'étude d'impact allégés aient été respectés. Par ailleurs, si le promoteur dont le projet est dispensé d'étude d'impact réalise néanmoins une étude ou notice d'impact, le juge ne devrait pas annuler l'acte administratif qui a approuvé ce projet n vertu de la soumission de principe de tous les travaux à une étude d'impact. L'appréciation de la régularité de l'étude d'impact peut se faire sur le plan de la forme et du fond (ou de son contenu). Sur le plan de la régularité formelle, le juge administratif est peu exigeant. Il suffit que l'étude d'impact comporte les éléments exigés, peu importe l'ordre de leur présentation119(*). Sur le plan du fond, outre l'erreur ou l'insuffisance déjà indiqué, le juge administratif annulera l'acte administratif en cas d'absence d'étude d'impact. De même, pour les études d'impact soumises à enquête publique, le juge administratif ne manquera pas d'annuler l'acte administratif qui a été prise au mépris de cette formalité. En droit camerounais, le juge administratif pourra également sanctionner la décision d'approbation qui a été rendue en l'absence de la consultation du comité interministériel de l'environnement120(*). A cet effet, la loi cadre du 05 août 1996 dispose en substance que la décision de l'administration en charge de l'environnement doit être prise après avis préalable dudit comité, sous peine de nullité absolue de la décision. Le juge administratif français a été plusieurs fois sollicité dans le cadre des recours contre les études d'impact et son activité a permis de dégager certaines solutions que pourra profiter le juge camerounais. B. Le moyen tiré du vice de forme en droit camerounais La violation des règles de forme peut émaner de plusieurs irrégularités extérieures à la décision121(*). Nous retiendrons dans ce cadre l'obligation qui impose la motivation de certaines décisions. En effet, il ressort en substance de l'article 20 de la loi cadre du 05 août 1996 que toute étude d'impact donne lieu à une décision motivée de l'administration compétente sous peine de nullité absolue de cette décision. Le droit camerounais fait de l'obligation de motiver une étude d'impact une formalité substantielle. En vertu de cette obligation, l'auteur de la décision est tenu d'exposer de façon complète et précise les raisons de fait et de droit pour lesquelles elle est prise. Cette obligation suppose donc toujours que la décision soit écrite122(*). Il incombe au ministère de l'environnement de motiver sa décision de rejet ou d'approbation de l'étude d'impact. Cette obligation permet au juge de contrôler les raisons qui ont déterminé l'administration à rejeter ou à approuver une étude d'impact. Elle contraint l'administration à examiner attentivement le bien-fondé des décisions qu'elle projette et est ainsi susceptible de prévenir des décisions insuffisamment étudiées ou difficiles à justifier. Par cette obligation, le juge pourra facilement comprendre si l'approbation de l'étude d'impact a été rendue avec une légèreté ou par un laxisme de l'administration. Enfin, cette obligation est garante du sérieux du contrôle par l'administration de l'étude d'impact. C. Les tendances de la jurisprudence administrative en matière d'étude d'impact A notre connaissance, il ne nous semble pas que le juge administratif camerounais ait été saisi d'un contrôle de légalité de l'étude d'impact123(*). Dès lors, le juge administratif pourra s'inspirer des solutions dégagées par son homologue français. En effet, dans sa mission de contrôle des actes administratifs, le juge fait usage du principe de proportionnalité124(*). En effet, ce principe permet au juge d'apprécier de manière globale si le contenu de l'étude d'impact est en relation avec l'importance des travaux et leur influence sur l'environnement. Ainsi, le juge considère que plus le projet est grand, plus il est supposé avoir des incidences néfastes sur l'environnement. Par conséquent, le juge devrait faire preuve de la hardiesse dans le contrôle125(*). Inversement, si le projet a une faible répercussion sur l'environnement, le contrôle de la qualité de l'étude d'impact sera également moindre126(*). En outre, les tribunaux exigent aussi que l'étude d'impact soit sérieuse et complète. N'est pas sérieuse ou est incomplète une étude comportant des contradictions ou des incertitudes127(*) ; ou comportant des erreurs ou des lacunes128(*). Quelles sont les sanctions prononcées contre une décision irrégulières ? ParagrapheII. Les sanctions infligées par le juge administratif dans les deux pays. Le juge peut préalablement suspendre la décision et prononcer son annulation. A. La suspension de la décision. En principe, l'exercice d'un recours contre une décision de l'administration ne suspend pas l'exécution de la décision129(*). Cette décision est prise et s'applique préalablement à toute intervention juridictionnelle130(*). Cependant, en raison du caractère irréversible des dommages qui résulteraient des incidences néfastes du projet s'il est entamé, l'article 2 de la loi française sur la protection de la nature a institué « une procédure contentieuse exceptionnelle sans exiger l'urgence »131(*). En effet, cet article 2 dispose en clair que : « si une requête déposée devant la juridiction administrative contre une autorisation ou une décision d'approbation d'un projet visé à l'alinéa 1er du présent article est fondée sur l'absence d'étude d'impact, la juridiction saisie fait droit à la demande de sursis à exécution de la décision attaquée dès que cette absence est constatée selon une procédure d'urgence ». Il transpire en filigrane de ce texte que le juge administratif français doit accorder automatiquement la suspension de la décision d'approbation ou d'autorisation d'un projet dès lors qu'il y'a absence d'étude d'impact132(*). Le droit camerounais ne contient pas de pareilles dispositions relatives à la prérogative accordée au juge administratif, mais cette prérogative est plutôt dévolue à l'administration en vertu de l'article 20 (2) de la loi cadre du 05 août 1996. Cependant, il est toujours permis de solliciter la suspension de la décision par la voie du référé-administratif comme en droit français. Mêmement, la chambre administrative de la Cour Suprême accorde le sursis à exécution d'une décision dont l'exécution peut causer un préjudice irréparable ou difficilement réparable133(*). B. L'annulation de la décision Comme indiqué plus haut, en cas d'insuffisance, d'erreur ou d'absence d'étude d'impact, le juge administratif annule la décision d'approbation. Le juge peut à cet égard soulever d'office les moyens d'ordre public prévus par les textes134(*) pour annuler la décision incriminée. L'annulation de la décision emporte également annulation de l'étude d'impact. Cependant, l'annulation de la décision ainsi que son accessoire l'étude d'impact, n'exclut pas que le promoteur soumette de nouveau une autre étude d'impact pour approbation en veillant cette fois ci à ne pas l'entacher du vice135(*) qui était à l'origine de l'annulation. Cette possibilité de reprise de l'acte est une conséquence des effets de l'annulation d'une décision pour illégalité externe dont font partie le vice de procédure et le vice de forme sus évoquées136(*). CONCLUSION : L'EIE est soumise à un triple contrôle. Tout d'abord, dans les deux systèmes juridiques, les textes ont organisé la participation du public pour lui permettre de s'exprimer sur l'opportunité et la pertinence de l'EIE. Les mécanismes de contrôle mis en place ont permis de constater quelques similitudes dans les deux pays, à l'instar de l'enquête publique. Il a été observé que ce mécanisme de contrôle est limité parce qu'il ne s'applique pas à tous les travaux et ne permet pas au public de modifier le rapport d'EIE avant sa rédaction. A l'analyse des textes, il a été constaté que chaque système juridique présente des mécanismes propres permettant au public de participer à la prise de décision. Dans l'ensemble, les mécanismes propres au droit français ne permettent pas un contrôle systématique du public et leur mise en oeuvre est restrictive. En revanche, le droit camerounais a prévu un contrôle systématique du public pour tous les travaux soumis à toutes les catégories d'EIE. En outre, ce contrôle a été encadré comme un canevas obligatoire dans le contenu de l'EIE. Le droit camerounais a également systématisé le contrôle a posteriori des projets pour vérifier si les engagements pris dans le cadre de l'EIE seront honorés. En définitive, il apparaît que, sur le plan théorique, le contrôle effectué par le public camerounais est plus efficace que celui exercé par le public français. * 117 R.Chapus, op.cit, n°999, P786-788 et n°1213, P.1023 * 118 Idem, n°1222, P.1030. * 119 CE, 09 juillet 1982, Ministre de l'industrie c/ Comité départemental de défense contre les couloirs de lignes à très haute tension * 120Lire le régime des consultations, R.Chapus, op.cit, n°1303, P.1106-1108. Voir également les n° 1306 et 1307 respectivement P.1112, 1113 et suivants. Lire également le même auteur n°1225, P. 1032-1034. * 121 Pour la définition de cette notion, lire R.Chapus, op.cit, n°1317, P.1128. * 122 CE 25 mai 1994, Mme C.W., P.748 * 123 Il faut rappeler que le décret d'application est intervenu en février 2005 et que de manière générale la pratique des études d'impact est récente au Cameroun. * 124 Voir M.Prieur, op.cit, n°107, P94-95. * 125 CE, 14 octobre 1988, Commune de Saint-Vrain, CJEG 1989, p.189, concl.Stirn. * 126 CE, 24 octobre 1984, Comité de défense de Rochefort-en-terre, RJE,1984, P.334. Cette solution de la jurisprudence est critiquable dans la mesure où l'étude d'impact vise nécessairement à évaluer l'incidence du projet sur l'environnement. On ne peut donc pas a priori savoir qu'un projet a une faible répercussion sur l'environnement. * 127 CE, 4 mai 1988, Sauveur Cardoso, Quot.Jur, 31 décembre 1988, note R.Romi * 128 TA Bordeaux, 22 octobre 1987, Association pour la défense de Génissac, RJE, P.163, note S. Charbonneau. En ce qui concerne d'autres décisions d'annulation pour étude d'impact insuffisante, lire M.Prieur, op.cit, P.95 * 129 Ce principe est tiré de la jurisprudence française dans l'affaire HUGLO * 130 C'est cette force de la décision administrative que le doyen Hauriou a qualifié de « privilège du préalable » * 131 V.M.Prieur, op.cit, n°109, P.96 * 132 Il faut néanmoins préciser que l'article L.554-11 du Code de justice administrative a, en vertu de la loi du 30 juin 2000 relative au référé devant les juridictions administratives, limité le bénéfice de la suspension automatique aux seuls projets entrepris par des collectivités publiques. * 133 OSE/92/93/CS/PCA, Aff. SIGHOKO Abraham C/ Etat du Cameroun. * 134 L'article 18 de la loi cadre du 05 août 1996 dispose que toute étude d'impact non-conforme au cahier des charges est nulle et de nul effet. De la même manière, l'absence de motivation de la décision de l'administration ou le défaut d'avis sont des nullités absolues. * 135 Si le promoteur reprend le même vice et que son étude d'impact est approuvée, il y'aura autorité de la chose jugée. En ce sens, C.S.C.A, jugement n°88/03-04 du 30 juin 2004, Amenchi Martin C/ Etat du Cameroun(SESI), P.15, Juridis Périodique juillet-août-septembre 2008, note Salomon Bilong. V. également R.Chapus,op.cit, 1032, P.817 * 136 R.Chapus, op.cit, n°1211, P .1022. |
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