Présentation de l'UNIO ou Association de
Camelots
Alors que la Prefeitura semble s'être
désintéressée de l'organisation du Camelódromo de
la rue Uruguaiana et de son devenir, les camelots ont décidé d'en
prendre en main la gestion. Le résultat est plutôt spectaculaire,
et la question est donc, comment cette organisation s'est elle mise en place
?
Le retour des frères Rapetous. La continuité
d'une hiérarchie déjà établie.
A l'origine du Camelódromo, il existait une association
de camelots appelle ACAC-RJ (Association des Commerçants Ambulants du
Centre de Rio de Janeiro) qui fut o ciellement reconnue responsable de
l'organisation des camelots sur les terrains vidés par les travaux du
métro. Cependant, au sein du Camelódromo, un groupe d'actif
commença à prendre en main la réalisation des travaux dont
il a été question précédemment. A la tête de
ce groupe, un dénommé Alexandre Farias, qui était
déjà bien connu des camelots puisqu'il était l'un des
trois frères Rapetous, le groupe qui régnait auparavant sur la
rue Uruguaiana. Il est di cile de savoir si ce groupe s'est imposé comme
une évidence étant donné la localisation, ou si des a
rontements ont eu lieux comme au sein des précédents
Camelódromos. Dixit Rosa Alice, l'actuelle présidente de
l'association de camelots, l'UNIO a été fondée 2 ans
après la création du Camelódromo, soit en 1996, date qui
correspond au début des travaux mis en place par Alexandre Farias. Cela
dit, d'après la presse, c'est en 1999 que fut créée l'UN
IO, après une dispute entre Alexandre Farias et Antônio Perez, le
responsable de l'ACAC-RJ. C'est à ce moment là que le contact a
été rompu avec l'association qui était en lien direct avec
la Prefeitura.
Pour la petite histoire, en mars 2007, les forces de l'ordre
font une grande ra~ e dans tout le Camelódromo, ainsi que dans la maison
du président de l'association. Ce dernier est fait prisonnier,
accusé d'être à la tête d'un grand réseau de
revente de marchandises dites « pirates ». Il s'agit dans l'ensemble
de copies de CD et DVD, ainsi que de vêtements, tennis de marques falsi~
ées. Je n'ai pas retrouvée de traces quand et comment ce dernier
sortit de prison, mais le 18 mai 2007, Alexandre Farias se fait tirer dessus et
meurt alors qu'il était au volant de sa voiture.
Peinture réalisée sur un mur du Camelodromo,
représentant très certainement Alexandre Farias
Par la suite, la présidence de l'UNIO fut reprise par
Rosalice Rodrigues Oliveira, poste qu'elle occupe encore actuellement.
Le rôle de l'association au sein du
Camelódromo
Alors que l'on peut considérer que le Mercado popular
da Uruguaiana a atteint un premier stade satisfaisant en matière de
construction, le rôle de l'UNIO n'en est pas moins limité.
Même si à chaque incendie1, l'association est à
la tête de la commande des travaux, elle assume quotidiennement un grand
nombre d'autres tâches: elle est responsable de la manutention du
Camelódromo et notament des toilettes, créées par la
Prefeituera. Elle emploie donc une équipe de ménage qui
intervient chaque jour. Elle assure la mise en place d'un réseau
d'électricité, et son approvisionnement. De plus, depuis que les
camelots laissent leurs marchandises dans les boxes qu'ils ont
créés, une équipe de sécurité arpente 24h/24
les couloirs du Camelódromo. Pour tous ces services mis en place, les
camelots paient à l'UNIO une taxe baptisée contribution
sociale. Dans cette taxe sont également compris des services de
dentistes et d'avocats auxquels ont droit les camelots. Dans le pratique aucun
d'eux ne semble en pro ter, ou pour le moins je n'ai pas trouvé ceux qui
en béné~ cient. Mais il semblerait que ce soit par choix, ces
derniers
1 Jusqu'à ce jour, ont déjà eu lieu 3
incendies, le 11 février 2001, le 3 décembre 2001, 18 novembre
2007,
arguant qu'ils ont leurs habitudes ailleurs. Ils sont cependant
conscients que ces services sont à leur disposition.
Toutes ces équipes (nettoyages, sécurité,
dentiste, avocats), que Rosalice nomme les fonctionnaires de l'association
représente actuellement 57 personnes. Cependant, lors d'une discussion
avec l'un de ces anciens fonctionnaires, ce dernier met en avant certains
détails au sujet de ces personnes au service de l'UNIO :
« Chacun qui participe à l'amélioration
ici, le personnel (l'UNIO) lui donne un peu d'argent. Par exemple ici
c'était plus bas (le toit), on l'a surélevé. Ils ont fait
payé une taxe pour les box.
A cause des travaux?
Oui, à cause des travaux. Mais pour les travaux qu'est ce
qui se passe? Ce sont leurs « employés », genre...
Qu'est ce que ça veut dire?
Comment est ce que je peux te dire ça? C'est un peu comme
le tra~ c de drogue, ils ne peuvent que travailler à
l'intérieur...
Mais comment ça, tu veux dire que vous ne pouvez pas
venir et proposer des transformations à ceux qui en ont besoin?
Si bien sur tu peux, tu peux, mais je ne pourrais pas conseiller
mon maçon par exemple, je ne peux pas amener qui je veux pour faire
quelque chose ici, dans le Camelódromo. » (Evaldo - Un camelot
ex-agent de sécurité du Camelódromo - Entretien
réalisé en aout 2008)
Cette conversation met en évidence que toute la
structure mise en place pour donner un caractère formel à
l'ensemble ne sort en réalité pas du système informel.
Cependant, on ne peut nier que l'UN IO fasse preuve d'une certaine
volonté sur ce plan, et a réussi depuis peu à faire valoir
les emplois des agents de sécurité. Ils sont aujourd'hui sous
contrat, employés par l'UNIO, et cotisent ainsi pour leur retraite.
Pouvoir dire que l'on est sous contrat (carteira assinada) au
Brésil est une ~ erté particulièrement grande, preuve
d'une insertion dans le système formel et de réussite sociale.
Autre détail, cette conversation démysti~ e un
peu le système d'entraide concernant les milieux
défavorisés. Au Brésil il existe un terme ; le
Mutirão. Qui désigne ce que l'on pourrait appeler un
travail en coopérative ; un système d'entraide mis en place ou
chacun aide son voisin pour se voir aidé à son tour, et qui
provoque l'admiration de nombreux corps de métiers aux aspirations
utopistes. On attribue le succès du développement de certaines
communautés dans l'état de Rio (et probablement ailleurs
également) suivant ce principe de fonctionnement. Ce terme de
mutirão s'est vu attribué au processus de
développement du Camelódromo et par cette ré exion, notre
interlocuteur sous entend que le mutirão a fonctionné
aidé de certaines motivations. J'imagine que lors du commencement des
travaux, l'aide ~ nancière de l'UNIO n'a pas forcément
été présente tout de suite, mais on constate que
maintenant que le Camelódromo a atteint un certain niveau de
développement, des stimulations sont nécessaires.
Une autre ré exion, en ce qui concerne les
fonctionnaires, conserne la sécurité mise en place dans le
Camelódromo. Elle est composée de 20 hommes (5 par quadra) et est
totalement invisible aux yeux des clients. Moi-même qui ai
fréquenté les lieux très régulièrement ai
mis beaucoup de temps à les reconnaître. Il sont habillés
de façon tout à fait classique, mis à part qu'ils ont un
gilet noir sans manche, avec l'inscription Camelódromo,
discrète dans le dos. Autant dire que la communication est faible,
comparée au personnel de l'UNIO a ublé de T-shirt vert ou orange
suivant la fonction (coordinateur vert et directeur orange), avec l'inscription
UNIO en grosses lettres.
On peut se poser la question de l'intérêt d'une
telle discrétion. Comme le souligne Thierry Paquot, la
sécurité a un double objectif d'intimidation envers les personnes
mal intentionnées et de tranquillisation pour les clients qui
fréquentent le lieu, qui comme nous l'avions dit, ont mis du temps
à investir le Camelódromo. Or, Il a été
montré que c'est le sentiment d'insécurité, tout autant
que le nombre de crimes et délits commis qui diminuent par l'e~ et de la
présence visible des forces de sécurité 2.
Et l'invisibilité de cette sécurité induit un
sentiment d'insécurité toujours présent dans la tête
des clients :
« Bon, j'en ai seulement entendu parler, moi il ne m'est
jamais rien arrivé, mais ici dans le Camelôdromo on dit qu'il y a
beaucoup de pickpocket.
Ah bon?
Il ne m'est jamais rien arrivé, ni même à
quelqu'un que je connais, mais je sais que dans certains blocs3 il y
a beaucoup de pickpockets. Mais bon, je n'ai rien vu et rien ne m'est
arrivé
Et tu sais dans lesquelles ça se produit plus?
Non, je ne sais pas»
( Fabiano - un client - Quadra D - Entretien
réalisé en septembre 2008)
L'objectif premier de cette sécurité est de
protéger la marchandise. Il va de soit qu'il faut également
protéger le client car la réputation du lieu est en cause, mais
ce n'est pas une priorité. Grâce à ce service de
sécurité d'Uruguaiana, on est plus en sécurité dans
le Camelódromo que dans le centre ville lui même, mais un grand
nombre de gens l'ignorent. Par la discrétion de cette patrouille,
Uruguaiana a che clairement que sur son territoire les lois qui y ont
été établies sont mises en pratiques par leurs propres
représentants de l'ordre qui sont di érents du système
formel, tout comme le sont les lois en vigueur au Camelódromo.
Malgré tout, les confrontations avec la police sont fréquentes et
inévitables étant donné que nous sommes en plein centre
ville. La sécurité d'Uruguaiana reste e cace mais fait pro l bas
face à la ville formelle avec laquelle elle est continuellement en
contact. Elle est tout à fait à l'image de cette cohabitation
entendue entre le Camelódromo, son activité, et la ville de
Rio.
2 Paquot Thierry, Le quotidien urbain. Essai sur les temps
des villes, (Paris), Institut des villes, 2001.
3 Il a utilisé le terme bloco pour
désigner ce que nous appelons quadra, suivant le langage établi
par les camelots. On note par cette occasion que ce vocabulaire n'a pas encore
été acquis par tous.
Organisation au sein de l'UNIO
L'UNIO est organisée suivant un schéma
hiérarchique simple :
Le seul contact que les camelots ont avec l'UNIO se fait
à travers des coordinateurs qui sont leurs intermédiaires
directs. Leur tâche principale est de récolter la fameuse
contribution sociale. C'est un travail quotidien car il n'y a pas de jour
précis pour son règlement, chaque camelot passe un accord avec
l'UNIO. Le coordinateur est également chargé de recueillir toutes
les remarques de dysfonctionnements (électricité, matériel
défectueux), et en faire part aux directeurs qui s'occupent de les
résoudre. En n le grand rôle du coordinateur est celui de la
gestion de con its entre camelots, qui d'après Felipe, sont
réguliers.
Le président et le vice président sont
responsables du fonctionnement général, essentiellement de la
manutention (électricité, ménage, sécurité),
et s'attèlent donc à la gestion des équipes hors camelots.
Ces deux personnages représentent surtout le pouvoir au sein du
Camelódromo et sont les interlocuteurs directs des ou d'un quelconque
autre organisme souhaitant intervenir sur le Camelódromo.
Même si on ne sait pas exactement par quels moyens
Alexandre s'est retrouvé à la tête de l'UNIO, on se doute
que le réseau préexistant avant la création du
Camelódromo a du jouer. Aujourd'hui, on ne sait pas trop comment
Rosalice est arrivée au pouvoir ; si elle a été
élue ou si cela s'est fait d'un commun accord entre le personnel de
l'UNIO. Il est cependant établi que des élections doivent avoir
lieu tous
les 5 ans pour changer le personnel de l'UNIO si les camelots
le désirent. Cependant, depuis 15 ans l'équipe n'a jamais
changé. Rosalice faisait déjà partie de l'équipe
d'Alexandre et était connue de tous, elle occupait un poste de
directrice. D'après l'extrait suivant, on semble comprendre que la
première équipe de direction s'est faite par
auto-proclamation.
« Premier jour du camelodrome elle (Rosalice)
était déjà a l'intérieur, à participer
à tout. Donc elle a une voix très active à
l'intérieur. Alexandre, qu'est ce qu'il s'est passé? Il savait
qu'elle avait beaucoup de connaissances, et il l'a appelée pour
être directrice. Parce que là il faut avoir beaucoup de contact,
bien dialoguer, entre amis. »
(Felipe - Coordinateur à l'UNIO - Entretien
réalisé en septembre 2008)
Cetteéquipe ne semble pas près de changer,
même si lesjournaux relatent parfois destémoignages de camelots se
plaignant de l'attitude d'Alexandre qui exerçait sur eux du chantage.
D'après un sondage réalisé par l'UNIO elle-même,
cette dernière béné~ cierait de 95% des vois de camelots,
ce qui indique que pour l'instant l'équipe ne sera pas modi~
ée.
On peut malgré tout citer le nom de Periquito, un
camelot qui a créé sa propre association4, et qui
dénonce des abus que commettrait l'UNIO. A son sujet Felipe sourit et
lève les yeux au ciel.
« Il est fatigant, il ne veut pas reconnaître notre
travail. On discute beaucoup avec lui mais bon... De toute façon il n'a
l'appui de personne ici tu sais. Alors nous on lui fait comprendre... »
Les relations entre l'UNIO et les vendeurs du
Camelódromo
Il est assez di cile de statuer sur le regard que portent les
camelot sur l'UNIO. Toute une partie des travailleurs n'a pas de contact avec
eux, et pour ceux avec lesquels le contact existe, on sent parfois quelques
réticences à en parler, des sous entendus, des non-dits, mieux
vaut ne pas se mettre l'UN IO à dos.
Le rôle de l'UNIO n'est pas perçu par tous de la
même façon. Il y a tout d'abord toute une catégorie de
camelots qui est arrivée après la création du
Camelódromo qui reconnaît n'avoir aucun contact avec
l'association, et n'est même pas au courant des service que cette
dernière leur propose (dentiste notamment).
« Non, je n'ai pas trop de contact avec eux non. Parce que
moi j'arrive ici, je monte le box, puis je ferme les lieux et je m'en vais
d'ici. »
(Tiago, 21 ans- vendeur dans la quadra C depuis 1 an -
employé - Entretien réalisé en décembre 2007)
4 Assocação Legitima Entidade Grupo de Apoio aos
comerciantes do Mercado Popular do Centro do Rio. D'après l'article
Depois do incêndio, ânimos quentes, par Marcelo
Migliaccio, paru dans le Jornal do Brasil le 20 novembre 2007, l'association de
Periquito aurait l'appui de 80 box sur les 1500 du Camelódromo.
Ce style de réponse est assez systématique
venant de la part de personnes arrivée depuis encore peu de temps. En
règle générale, qui ne paie pas la contribution sociale ne
semble pas avoir de contact avec l'UNIO, mais les employés qui sont
présents dans le Camelódromo depuis un moment commencent à
entrer petit a petit au contact de cette association. Les rapports
décrits sont très conviviaux.
« Et quelle est ta relation avec l'association de
camelots? Tu as des contacts avec eux? Oui, des bonnes relations, et
nombreuses.
Nombreuses, et de quel type?
Des conversations... On discute beaucoup.
Et tu trouves qu'ils arrivent à améliorer les
conditions de travail ici? Ou c'est plutôt des relations amicales que tu
as avec eux?
Oh, plutôt d'amitié, oui d'amitié. »
(Fernando, 18 ans - vendeur dans la quadra D depuis 4 ans -
Entretien réalisé en décembre 2007 )
En n les camelots qui ont vu naître l'UNIO et savent
comment elle fonctionne lui portent un regard di érent. Cela dit,
généralement ceux qui semblent éprouver du
désaccord avec le fonctionnement de l'UNIO, préfèrent
être brefs à ce sujet, et cet extrait d'entretien est le seul qui
soit une dénonciation réellement explicite.
« Par exemple tu bois une bière, tu paies la
quantité que tu dois, d'accord? Ben nous on paie la quantité
d'électricité qu'on utilise. Et ils prennent de l'argent,
ça a un prix. C'est comme dans la maison ou j'habite, il faut bien payer
ce qu'on utilise. Et ici certains utilisent et on abusent. Tu comprends?
Ah oui? Mais s'il y a quelqu'un qui veut se plaindre de
quelque chose, comment il fait? Il va à l'association.
Mais tu ne peux pas te plaindre d'eux même...
Alors là tu peux prendre des coups, perdre ton point de
vente... »
(Evaldo - Un camelot ex-agent de sécurité du
Camelódromo - Entretien réalisé en aout 2008)
On peut lire de nombreux témoignages dans les journaux,
où les camelots accusaient Alexandre Farias de les forcer à
entrer dans des réseaux de piraterie etc. Toutes ces accusations sont
à prendre avec précaution comme je l'ai déjà
signalé, cependant il faut en avoir conscience. L'équilibre du
Camelódromo repose sur les épaules de L'UNIO, c'est un fait, et
les camelots sont conscients qu'ils lui doivent le bon fonctionnement quotidien
du lieu. Cela dit, Roberto Anderson avait fait à juste titre la
remarques suivante « Quand tu es hors la loi, dans
l'irrégularité, ça donne une marge pour beaucoup d'autre
irrégularités, notamment d'exploitation, à
l'intérieur même du marché, certains en exploitent
d'autres. » . C'est malheureusement ce qui semble e ectivement se
passer au sein du Camelódromo.
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