Les français face au changement climatique : paradoxe entre sensibilité avouée et pratiques( Télécharger le fichier original )par Chloé Zambeaux Institut Universitaire d'Etude du Développement - Master en Etudes du Developpement 2006 |
PARTIE II ~ANALYSE DE L'ECART ENTRE SENSIBILITE ET PRATIQUES " Mon dieu, je me demande vraiment pourquoi nous avons un temps pareil ! " PARTIE II - CHAPITRE III : L'information et la connaissance
comme moyen de lutte contre le changement 5 CHAPITRE III : L'information et la connaissance comme moyen de lutte contre le changement climatique? Apport de l'approche évolutive Pourquoi l'accès à l'information sur le problème du changement climatique n'entraîne t'elle pas une modification en profondeur des comportements individuels ? La question du changement climatique est pourtant devenu un sujet « à la mode » dans les médias de masse (télévision, presse grand public, radio) : selon une étude de Martine Tabeaud portant sur l'année 2004-2005, le quotidien Le Monde consacrait chaque semaine un à quatre article sur cette thématique. Aujourd'hui il suffit de suivre les journaux télévisés pour nous rendre compte que la thématique est traitée quasi quotidiennement. Nous allons voir dans ce troisième chapitre de quelle manière la problématique sur le changement climatique fait appel à des connaissances complexes, qui nécessitent un changement de paradigme. Nous nous demanderons si l'information véhiculée par les journaux télévisés permet la transmission de cette connaissance complexe. Ceci nous amènera à voir que la connaissance n'est pas forcement suffisante à l'adoption d'un comportement favorable à la lutte contre le changement climatique. 5.1 La nature complexe de la problématique du changement climatique : approche évolutive Nous émettons ici l'hypothèse qu'un changement de paradigme est nécessaire pour appréhender les questions relatives au changement climatique. La vision mécaniste de la réalité constitue, en effet, un obstacle à la compréhension de cette problématique, nous allons voir pourquoi. 5.1.1 Un nécessaire changement de paradigme. Vision évolutive versus mécaniste; Vision complexe versus réductionniste Tout d'abord nous allons essayer de comprendre les enjeux du passage d'une vision mécanique à une vision évolutive. En opposition à la vision atemporelle et
réductrice (chaque élément n'existe que de
manière PARTIE II - CHAPITRE III : L'information et la connaissance
comme moyen de lutte contre le changement (évolution des phénomènes dans le temps) et synchronique (co-évolution des phénomènes : interaction des éléments entre eux)1. L'analyse des phénomènes dans la durée rend compte de leur continuité et de leur évolution dans le temps. Sans cette perspective qui met en évidence l'existence d'une continuité temporelle, l'explication de problèmes à partir des seuls éléments du présent peut se révéler insuffisante pour leur compréhension. De même, avoir une vision qui exclut le futur peut se révéler problématique quand on essaye de comprendre des phénomènes ayant des répercussions à long terme ou ayant une temporalité différée entre causes et conséquences. A l'opposé du paradigme mécaniste qui propose une vision atomiste de la réalité, dans laquelle les éléments sont compris et étudiés de manière isolée, de tout environnement, l'approche évolutive propose une approche relationnelle, caractérisée par la complexité des phénomènes et de leurs interactions. La plupart des savoirs qui sont mobilisés pour analyser des problèmes ont été construit à partir d'une vision mécaniste de la réalité qui sépare les savoirs en disciplines. Comme le souligne Edgard Morin, célèbre pour ces écrits sur la complexité, cette « pensée simplifiante » est très problématique quand l'on s'intéresse à des phénomènes globaux qui nécessite différents niveau d'explication : « Il y a inéquation de plus en plus ample, profonde et grave entre, d'une part, nos savoirs disjoints, morcelés, compartimentés et, d'autre part, des réalités ou problèmes de plus en plus polydisciplinaires, transversaux, multidimensionnelles, transnationaux, globaux, planétaire » (Morin, 2000, p.36). L'analyse de phénomènes globaux passe donc par la mise en lumière des interactions et des interdépendances qui existent entre plusieurs éléments. Une approche évolutive permet cela notamment grâce à l'utilisation d'outils d'analyse tels que l'approche systémique (analyse qui envisage les éléments non pas isolément mais globalement, en tant que partie intégrante d'un ensemble dont les différents composants sont dans une relation de dépendance réciproque2), ou celui de la causalité circulaire et cumulative3. Nous allons voir maintenant pourquoi ce changement de paradigme nous apparaît indispensable pour aborder la problématique du changement climatique. 1 Pascal Van Griethuysen, Une vision évolutive des relations entre nature, science et société, extrait de Pour une approche évolutive de la précaution, Revue européenne des sciences sociales, 62, p.36-50. 2 Cf. définition de l'analyse systémique Le Petit Larousse 2007. 3 Rolf Stepacher, Le paradigme des interdépendances circulaires à l'intérieur d'un système de causation cumulative. PARTIE II - CHAPITRE III : L'information et la connaissance
comme moyen de lutte contre le changement 5.1.2 Pourquoi un changement de paradigme est il nécessaire à la compréhension du processus du changement climatique ? « On peut dire que ce qui est complexe relève d'une part de monde empirique, de l'incertitude, de l'incapacité d'être certain de tout, de formuler une loi, de concevoir un ordre absolu ». (Morin, 2005, p.10) Par sa nature même le problème du changement climatique fait appel à : > Des phénomènes physiques complexes, difficiles à comprendre pour des non spécialistes (la "science des changements climatiques" fait elle même référence à différentes disciplines très "pointues"). De plus, le changement climatique est caractérisé par l'incertitude quant aux causes et surtout quant aux conséquences qu'il implique. Même si la communauté scientifique s'accorde sur le fait de reconnaître la part anthropique des changements climatiques, il est impossible d'en donner un pourcentage exact à l'intérieur du changement climatique « naturel ». De même que les modélisations réalisées pour mesurer les conséquences comportent une certaine marge d'erreur. Cette gestion de l'incertitude apparaît impossible à travers le paradigme mécaniste dans lequel les sciences « exactes » avaient réponse à tout. Seule une approche favorisant la gestion des incertitudes permettra de considérer la problématique du changement climatique dans toute sa complexité car « connaître et penser, ce n'est pas arriver à une vérité absolument certaine, c'est dialoguer avec l'incertitude » (Morin, 1999, p.66). > Des systèmes d'interactions complexes entre l'Homme et le système climatique. Il s'agit là de comprendre par quels mécanismes l'Homme contribue au changement climatique. Nous pouvons représenter cette interaction Homme/changement climatique en utilisant le système de causalité circulaire suivant : Emissions de gaz à effet de serre ACTIVITEES Causalité BOULEVERSEMENT Changement des condition de vie sur Terre PARTIE II - CHAPITRE III : L'information et la connaissance
comme moyen de lutte contre le changement S'il est aujourd'hui communément accepté que la nature anthropique du changement climatique, se fait via l'émission de gaz à effet de serre dans l'atmosphère, un autre degré de complexité intervient lorsque l'on essaye d'identifier d'où proviennent ces émissions de gaz à effet de serre. Il nous semble particulièrement intéressant d'analyser ces émissions à l'échelle des ménages. Les émissions sont le plus souvent identifiées grâce à des catégories générales (énergie, industrie, agriculture...) qui ne permettent pas à l'individu de mesurer sa responsabilité dans le total des émissions. Or nous l'avons vu dans le Chapitre I, il est possible de représenter de manière graphique les émissions de CO2 par ménage. Ce type d'exercice permet de se rendre compte que la plupart des activités domestiques contribuent au changement climatique (on croit souvent qu'au niveau individuel il n'est possible d'agir que sur les transports, or ce graphique nous montre que nos choix d'alimentation et plus généralement de consommation ont un impact tout aussi important). La compréhension des impacts des comportements individuels dans l'émission de gaz à effet de serre sous entend donc le fait d'intégrer une logique par secteur. Nous pouvons d'ailleurs constater que la logique de comportement est différente selon les secteurs, autrement dit une personne faisant des efforts, par exemple dans l'usage de l'énergie au niveau des transport (utilisation de transport en communs...) n'en fera peut être pas du tout quant aux économies d'énergie au niveau de l'habitat. Il s'avère en effet difficile d'avoir un comportement cohérent sur l'ensemble des actions qui ont un impact sur le changement climatique. On peut par exemple faire preuve de bonne volonté en achetant toute l'année des produits issus de l'agriculture biologique, en faisant des économies d'énergie au niveau de l'habitat mais un seul voyage en avion à l'autre bout de la planète laissera ces efforts insignifiants si l'on résonne en quantité de CO2 évité. > Une temporalité longue et différée. En effet, seule une vision à long terme dans le passé comme dans le futur permet de se rendre compte avec quelle rapidité se font ces bouleversements anthropiques du climat. Une vision tournée vers l'avenir permet d'envisager les conséquences dont les principaux coûts seront à supporter par les générations futures. > Une analyse à échelle planétaire. Il est difficile d'appréhender le fait que c'est le système Terre qui est touché dans sa totalité, que les conséquences de ce bouleversement se feront ressentir de manière différente selon la situation géographique dans laquelle l'on se trouve, et ceci indépendamment de la responsabilité dans les émissions de CO2. Jusqu'à maintenant les problèmes PARTIE II - CHAPITRE III : L'information et la connaissance
comme moyen de lutte contre le changement écologiques auxquels l'on devait faire face étaient le plus souvent de nature locale et donc plus facilement analysables car les causes et conséquences étaient visibles à la même échelle. Il est donc nécessaire pour comprendre la problématique du changement climatique de raisonner à partir d'une échelle globale. Adopter une vision complexe s'avère donc indispensable pour comprendre les causes, les conséquences, et les enjeux de l'action anthropique sur le climat. Toute simplification peut s'avérer problématique : « Essayer de simplifier ce qui, par nature, n'est pas simple, risque d'aggraver la confusion et les malentendus et, en fin de compte, de nuire à la crédibilité »1. Les principaux vecteurs actuels de la connaissance (système scolaire et médias de masse) permettent ils cette vision de la complexité de la problématique du changement climatique ? Si nous nous référons aux travaux menés en science de l'éducation il apparaît que le système scolaire actuel ne permet pas la gestion de la complexité2. Nous avons dans ce travail décidé de nous concentrer sur l'approche proposée par les médias (les travaux étant beaucoup moins nombreux sur cette thématique que ceux sur les systèmes scolaires). Nous nous sommes demandé, si le traitement de l'information sur le changement climatique par les médias, permettait la gestion de la complexité inhérente à cette problématique. 5.2 Le traitement du changement climatique par les médias « L ''information sur le changement climatique est incomplète à la télévision; la méconnaissance du grand public sur les causes et conséquences de ce phénomène empêche la mobilisation des citoyens ; nous, citoyens, ne faisons pas le lien entre notre mode de vie et les conséquences sur le changement climatique, d'où notre absence de responsabilisation »3 Nous avons choisi de nous intéresser à la
diffusion de l'information relative au changement 1 UNESCO (1997) Eduquer pour un Avenir Viable : une vision transdisciplinaire pour l'action concertée, Conférence Internationale, Thessalonique, èd.Unesco et le Gouvernement de la Grèce, p.22. 2 Cf. travaux d'Edgar Morin, Francine Pellaud. 3 Extrait du rapport officiel du panel de citoyens suite à la conférence de citoyens « changements climatiques et citoyenneté », 9 et 10 février 2002, visualisé le 15/01/07 sur : http://www.ecologie.gouv.fr/IMG/pdf/20020221-rapport-citoyens-cht-climatique.pdf 4 PARTIE II - CHAPITRE III : L'information et la connaissance
comme moyen de lutte contre le changement l'Occident", soit six fois plus que la totalité des lecteurs de quotidiens nationaux et des auditeurs d radios1. De quelle manière l'information y est-elle abordée, et quels problèmes cela pose t-il? Répondre à ces questions nous aidera à mieux comprendre d'où vient le problème de connaissance des français face au changement climatique que nous avons relevé dans le chapitre précédent. 5.2.1 La difficulté à transmettre un sujet complexe : l'exigence de rapidité Pour rester accrocheurs, les journaux télévisés se sont eux aussi engagés dans la course du "toujours plus, toujours plus vite". Ainsi sont traités, dans chaque journal télévisé, une vingtaine de sujet en seulement quarante minutes2. Peut-on aborder la thématique du changement climatique dans des délais si cours ? La diffusion quasi quotidienne de sujets directement ou indirectement liés à la problématique du changement climatique démontre, que l'expérience n'est pas impossible. La question est alors de savoir comment la problématique est traitée, quels sont les aspects abordés, avec quels degrés de complexité. S'il est évident, qu'à travers un sujet de deux minutes, il parait impossible de faire le tour de la question du changement climatique, un sujet bien fait peut tout de même apporter des informations clés à la compréhension de la problématique. De même si aucun effort de clarification n'est fait cela peut s'avérer au contraire très confus, voir compromettre radicalement la compréhension de ce phénomène complexe. Pour expliciter cela nous avons pris l'exemple du traitement de l'information relative à la réunion du GIEC3 (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat), dans des journaux télévisé de vingt heure sur TF1 et France 2. Le journal de TF1 est ouvert par la présentatrice qui annonce que se tient ces jours ci une « réunion très importante sur les problèmes d'environnement et de changement climatique ». Elle poursuit en disant que «le développement économique et le travail de l'Homme, tout cela à des conséquences indéniables sur le réchauffement de la planète ». Arrive l'interview d'un 1 Chiffres cités dans Jean-Claude Renard « Un autre journal télé est-il possible ? » visualisé le 15/01/2007 sur: http://www.politis.fr/article774.html 2 Ces données sont tiré de l'article « toujours plus court... » visualisé le 10/01/2007sur: http://www.monde-diplomatique.fr/2005/12/ENDEWELD/13035 Nous parlons ici des JT de France 2 et TF1 qui sont ceux qui récoltent le plus d'audimat en France 3 Ce rassemblement du GIEC a réuni du 27 janvier au 2 février plus de 500 expert du Climat à Paris (UNESCO) pour valider le résumé à l'intention des décideurs du 4 ème rapport d'évaluation. PARTIE II - CHAPITRE III : L'information et la connaissance
comme moyen de lutte contre le changement scientifique participant à la réunion du GIEC qui mène des travaux de recherche dans l'analyse des couches glaciaires, son intervention se limite à la phrase suivante : « On a constaté dans le passé des variations extrêmement rapides de l'ordre de plus dix degrés en quelques décennies. Cela nous amène à nous poser la question sur la stabilité du climat et son évolution future ». Suite à cette interview le correspondant termine le sujet en affirmant que le groupe d'expert sur le climat établi « un lien de plus en plus probable entre le réchauffement climatique et les activités humaine ». Nous nous rendons compte, qu'un sujet tel que celui-ci, ne permet pas un traitement de l'information, et bien au contraire renforce l'incompréhension du phénomène qui serait dû aux « activités économique » et au « travail de l'homme » (il n'est pas fait référence aux émissions de gaz à effet de serre). A cela s'ajoute le choix inapproprié du passage de l'intervention du scientifique, qui peut largement laisser sous entendre, que de tels bouleversements climatiques ont déjà eu lieu, et que celui que nous vivons aujourd'hui peut être d'origine naturel. Le doute quand à l'origine anthropique du changement climatique persiste donc, et il est renforcé par la dernière phrase du correspondant. Le lendemain le journal télévisé de France 2 proposait également un sujet sur la réunion du GIEC, et plus généralement sur le changement climatique dans lequel l'approche est radicalement différente. Il est clairement exprimé que les scientifiques s'accordent sur « deux certitudes : oui il y à réchauffement climatique, oui l'homme en est responsable ». Cette information est suivie d'un documentaire présentant l'évolution des émissions de gaz à effet de serre, leur provenance par secteur d'activité, le fonctionnement de l'effet de serre, tout en s'appuyant sur des schémas et graphiques. Un effort a donc été effectué quand à la vulgarisation de l'information tout en gardant essayant de présenter les grandes interrelations (Homme/gaz à effet de serre/changement climatique). Notre but ici n'est pas de juger la qualité d'un journal télévisé par rapport à l'autre, mais bien de montrer que le traitement de la même information peut se faire de manière radicalement différente. Dans les deux cas, nous voyons que l'exigence de rapidité est incompatible avec une approche complexe du problème. Nous pouvons aussi nous interroger sur la place occupée par le sujet sur le changement climatique au sein de la vingtaine de sujets traités dans un journal télévisé. En effet, on peut penser que l'ordre de traitement des sujets peut avoir une importance non négligeable dans leur "assimilation" par le téléspectateur. On peut se demander ainsi lequel des sujets sur le changement climatique ou celui de la "disparition du petit Julien" va le plus marquer le téléspectateur. Nous n'avons pas trouvé sur ce point des travaux qui permettrai une quelconque conclusion. Mais si l'on émet l'hypothèse que le PARTIE II - CHAPITRE III : L'information et la connaissance
comme moyen de lutte contre le changement téléspectateur est davantage sensible aux sujets contenant une part d'affectif, alors le changement climatique risque d'être oublié en quelques secondes. Le traitement du sujet du changement climatique exige donc chez les journalistes d'être rigoureux quant au contenu scientifique de l'information, tout en faisant preuve d'effort de vulgarisation d'une information scientifique: « [...] le problème des changements climatiques constitue un thème qui cumule les possibilités de confusion et de malentendus, et face au journaliste, le chercheur n'est pas sans ressentir quelque inquiétude »1. Il apparaît tout aussi important de souligner que, très peu des sujets traités lors des journaux télévisés, mettent en évidence lesquelles de nos actions quotidiennes participent à l'émission de gaz à effet de serre. Ceci peut expliquer en partie l'absence d'une prise de conscience de responsabilité personnelle chez l'individu, et donc une absence de changement de comportement. Nous allons tenter d'expliquer cette absence de remise en cause des comportements individuels dans les journaux télévisés. 5.2.2 La difficulté à aborder la question du changement des comportements : le filtre sélectif des médias Si l'on analyse l'approche faite de la problématique du changement climatique dans les journaux télévisés, nous constatons que la question des comportements individuels est rarement évoquée. La plupart des sujets sont consacrés à l'étude des conséquences du changement climatique (sujet sur la faune et la flore qui sont menacés...). Le tableau suivant montre ainsi qu'en 2005, la part des visuels2 consacrés au traitement des conséquences du changement climatique dans les journaux télévisés de TF1 et France 2 est nettement supérieure à celle consacré aux causes du phénomène. Evolution des visuels consacrés aux causes et aux conséquences du changement climatique :
1 «Effet de serre, changement climatique et perception médiatique» visualisé le 15/01/07 sur: http://www.cnrs.fr/Cnrspresse/n394/html/n394a16.htm 2 Les catégories `visuels conséquences' regroupe entre autres toutes les images liées à la nature (soleil, tempêtes, inondations, fonte des glaces, infographies liées aux conséquences, etc.) ; et la catégorie visuel causes agglomère les images relatives aux émetteurs (voiture, usines, habitats privées, images de ville et urbanisme, etc.). PARTIE II - CHAPITRE III : L'information et la connaissance
comme moyen de lutte contre le changement J. B. Comby1 De plus lorsque les causes sont traitées, c'est majoritairement grâce à une analyse qui part des émissions de gaz à effet de serre par pays, ou bien par secteur d'activité. Pourquoi la responsabilité individuelle est elle beaucoup moins abordée? Nous pouvons émettre ici l'hypothèse que, étant donné le fait que les chaînes de télévisions sont principalement financées par la publicité, elles n'ont pas une liberté totale quand à la manière d'aborder cette problématique. De façon plus générale on voit que parler de la diminution de la consommation reste encore tabou à la télévision. On préfèrera aborder le problème en discutant des potentialités des nouvelles technologies, des économies d'énergie qui pourrait être réalisées... mais le mode de vie occidental dans son ensemble n'est jamais remis en question. Si l'on prend l'exemple de la relation économie/changement climatique on peut constater que les journaux télévisés traitent le changement climatique comme un problème pour l'économie (on peut citer l'exemple des sujets sur le manque à gagner de certaines stations de ski cette saison) alors qu'il serait tout aussi nécessaire d'inverser la perspective afin de voir comment notre système économique est un problème dans la lutte contre le changement climatique. 5.2.3 La difficulté à aborder le long terme l'incertain, l'invisible: Le sensationnel ou besoin d'actualité Comme les banlieues n'existent que lorsqu'elles s'enflamment, le changement climatique n'existe que lorsque se tiennent des conférences internationales, ou aujourd'hui lorsque les conséquences s'en font ressentir (tempêtes, manque d'enneigement...). Le choix des sujets abordés dans les journaux télévisés est en grande partie fonction de leur "pouvoir sensationnel". Un sujet étant à la fois "percutant", pouvant être illustré par des images chocs, en lien avec l'actualité, concernant l'échelle locale, aura toutes les chances de se voir attribuer une place dans le journal télévisé. Ceci explique pourquoi le changement climatique est abordé soit à partir de l'actualité des grandes conférences (protocole de Kyoto, réunion du GIEC) soit à partir de conséquence "tragique" (la mort par noyade d'un ours). Il est difficile pour les journaux télévisé de concilier la lenteur avec laquelle se font ressentir les conséquences du changement climatique et cette exigence de sensationnel. Le graphique 1 COMBY J.B., (25 et 26 juin). « Contribution à une sociologie de la construction politique et médiatique des enjeux liés au changement climatique », Toulouse, Actes du colloque Environnement et Politiques CR23 AISL et CERTOP-CNRS, 325-336. PARTIE II - CHAPITRE III : L'information et la connaissance
comme moyen de lutte contre le changement suivant illustre ce « besoin d'actualité » qui conditionne le traitement de la question du changement climatique dans les journaux télévisés. 20 18 16 14 12 10 4 8 6 2 0 Conférence de Kyoto La médiatisation du changement climatique dans les 2T de TF1 et F2 Sommet deLaHaye Sommet de Johannesburg Canicule entrée en vigueur du protocole de Kyoto Katrina + conférence de Montréal J. B. Comby1 En outre, aborder la complexité du problème nécessiterait un raisonnement à long terme sur des faits pas encore tous visibles, et irait donc contre cette politique des journaux télévisé (nous n'avons pas d'images des changements futurs). De plus, nous pouvons penser que le catastrophisme paniquant ou naïf alimenté les médias à propos d'autres sujets (attentats du 11 septembre, crise de la vache folle, de la grippe aviaire...) a habitué les spectateurs à l'annonce d'une "fin du monde", ce qui les rends aujourd'hui beaucoup plus passif devant l'annonce des potentielles conséquences du changement climatique. Or, on sait que tout comme l'espérance, la peur est nécessaire au passage à l'action: "L'espérance est une condition du tout agir puisqu'il présuppose qu'il est possible d'aboutir à quelque chose et qu'il parie de le faire dans le cas présent"[...] "celle (la peur) qui invite à agir [ ...] qui dans un cas déterminé motive quelqu'un à la faire sienne comme sa propre crainte et à la transformer en devoir d'agir [ ...] " (Jonas, 1990, p.421) Encore aujourd'hui les médias accordent une importance démesurée à la capacité de la technologie à résoudre le problème (sujets sur les biocarburants, sur le stockage de C02...), a travers des sujets certes plus « croustillants » que des explications plus complexes sur la perturbation du cycle du carbone. 1 COMBY J.B., (25 et 26 juin). « Contribution à une sociologie de la construction politique et médiatique des enjeux liés au changement climatique », Toulouse, Actes du colloque Environnement et Politiques CR23 AISL et CERTOP-CNRS, 325-336. PARTIE II - CHAPITRE III : L'information et la connaissance
comme moyen de lutte contre le changement Nous voyons donc que certaines exigences propres aux journaux télévisés et de manière plus générale aux médias posent problème dans la transmission de l'information sur le changement climatique. Tout comme celui du système scolaire, le fonctionnement des médias reste problématique quand il s'agit de transmettre des d'informations complexes. Cependant, il semblerait que de plus en plus d'effort soient fait dans la vulgarisation de ces informations (clarté de la présentation, schémas explicatifs, illustrations par des exemples concrets...). Mais la transmission d'une information suffit elle à son assimilation sous forme de connaissance? Nous allons tenter de répondre à cette question dans la suite de ce travail. 5.3 Information, connaissance et action L'individu qui reçoit une information sur le changement climatique, par exemple grâce aux journaux télévisés, va-t-il la transformer obligatoirement en connaissance? La connaissance de la problématique du changement climatique est-elle le seul facteur pourrait influencer l'adoption d'un comportement en faveur de la lutte contre le changement climatique? 5.3.1 De l'information à la connaissance Une première chose est la transmission de l'information, et comme nous l'avons vu celle-ci peut s'avérer difficile dans le cas du changement climatique, une deuxième étape est la transformation de cette information en connaissance. Assimilons-nous toutes les informations que nous recevons? Bien évidement non:« il est illusoire de croire que « montrer », voire « démontrer », « expliquer », « faire lire » ou « projeter » grâce à l'une des multiples possibilités qu'offrent les nouvelles technologies suffit pour que l'apprenant, enfant ou adulte, s'approprie réellement un savoir »1. Nos connaissances préalables, sont parfois des obstacles à « l'assimilation » de nouvelles informations:"[...] toute nouvelle information est confronté au réseau de conceptions de l'individu qui va l'accepter ou pas : apprendre c'est transformer ses conceptions "2. Comme l'explique André Giordan l'information reçue par un individu va être confrontée à son réseau de conceptions, autrement dit son système de penser, avant d'être soit assimilée, soit déformée, soit rejetée. Le réseau de conceptions correspond à notre manière de raisonner, de percevoir le monde, tout ce qui nous à construit: notre environnement affectif et familial, 1 Francine Pellaud, «Le développement durable : d'un concept complexe à la vie quotidienne », Les sciences de l'éducation pour l'ère nouvelle, vol. 35, janvier 2002, p.4. 2 André Giordan, Apprendre! Berlin, (1998) 2002. PARTIE II - CHAPITRE III : L'information et la connaissance
comme moyen de lutte contre le changement naturel et géographique, religieux ou mystique, philosophique et politique, professionnel, notre réseau de référence (notions, concepts, valeurs), nos modes de raisonnements implicites (paradigmes, modèles) ou explicites (logico-mathèmatiques), notre réseau sémantique (production de sens), enfin les signifiants que nous utilisons (linguistiques, iconiques, symboliques)1. Les réseaux de conceptions préalables agissent donc comme un « filtre réducteur »: une nouvelle information reçut pourra soit être rejetée, soit déformée, ou bien elle permettra la transformation des conceptions ce qui aboutira à la construction d'une nouvelle grille d'analyse (filtre réducteur) à partir duquel seront analysées les prochaines informations que recevra l'individu. Dans cette optique, il est aisément compréhensible qu'un bon nombre d'individus qui reçoivent des informations sur le changement climatique par le biais des journaux télévisés, ne transforment pas celle-ci en connaissance (dans le cas ou par exemple leur grille d'analyse est en partie constitué par la croyance en la capacité du progrès technologique à résoudre tout les problèmes). La transformation d'une information en connaissance, dans le cas où les conceptions préalables ne sont pas favorables à cette information, passe par la déconstruction de ces conceptions. Autrement dit, si un individu assimile le changement climatique à la seule hausse des températures, il ne comprendra pas l'information donnée par le journal télévisé à propos du lien entre les inondations à répétition et le changement climatique. Pour que cet individu comprenne le lien entre le phénomène d'inondation et celui du réchauffement climatique, il faudrait l'amener devant les limites de son raisonnement et lui en proposer un autre qui lui 1 Francine Pellaud,Richard-Emmanuel Eastes, André Giordan, « Un modèle pour comprendre l'apprendre : Le modèle allostérique », Gymnasium Helveticum, janvier 2005. PARTIE II - CHAPITRE III : L'information et la connaissance
comme moyen de lutte contre le changement paraisse plus adéquat (déconstruction-reconstruction). On voit bien ici la difficulté que peut rencontrer un média pour stimuler ce processus de déconstruction-reconstruction: un journal télévisé est suivi par des individus ayant tous des systèmes de conceptions uniques. Cependant, une étude des conceptions relatives au changement climatique nous permettrai peut être de dégager des grandes catégories de conceptions, et ainsi de cibler les informations nécessaires à la déconstruction de celles qui s'avèrent fausse. « L'information ne suffit pas pour modifier un comportement. La dynamique de groupe est importante, comme celle de l'apprentissage : changer c'est apprendre » 5.3.2 Les différentes formes de connaissance nécessaire à l'action Une recherche en psychologie sociale menée par Florian G. Kaiser et Urs Kurher1 met en évidence que ce n'est pas la masse de connaissance qui détermine le comportement, mais l'interaction entre différentes formes de connaissance : « Before someone can act, he or she must know how things should be, and what can be done. While the first form of knowledge is composed of declarative environmental knowledge, the second consists of procedural (i.e. action-related) knowledge. The third form of knowledge, effectiveness knowledge, is particularly relevant when behavior is instrumental in optimising a person 's cost-benefit ratio »2 . Prenons l'exemple de l'utilisation de la voiture en lien avec le changement climatique: une forme de connaissance abstraite du système (declarative knowledge) sera la connaissance du lien entre les émissions de CO2 dû à l'utilisation de la voiture, l'effet de serre, et le changement climatique. Le savoir agir proche de la pratique (procedural knowledge) s'illustrera par la décision d'utiliser moins la voiture. Enfin, les connaissances en matière d'efficience (effectiveness knowledge) pourraient être la capacité à choisir de se déplacer grâce aux transports en communs, ou grâce à une voiture roulant au biogaz, à partir de l'évaluation en termes d'efficience écologique de ces deux moyens de transport. Cependant, nous pensons que dans certains cas, la présence d'une, voire de toutes ces formes de connaissance, ne suffisent pas à l'adoption d'un comportement écologique, en l'occurrence d'un comportement favorable à la lutte contre le changement climatique. 1 F. G. Kaiser, «Ecological Behavior's Dependency on Different Forms of Knowledge», Applied Psychology: An international review», 2003, 52 (4), 598-613 2 Ibid., p.600 PARTIE II - CHAPITRE III : L'information et la connaissance
comme moyen de lutte contre le changement 5.3.3 La connaissance un facteur nécessaire mais non suffisant pour l'action Pourquoi un individu qui à des éléments de connaissance complexe à propos de la problématique du changement climatique (declarative, procedural, effectiveness), et qui à donc connaissance des risques encourus, n'adopte-t-il pas un comportement en faveur de la lutte contre le changement climatique ? « [...] apprendre à raisonner avec la complexité, comprendre les enjeux du développement durable et la place que chaque individu occupe dans la réussite de ce processus ne sont pas des garanties pour un passage à l'action »1. Il semblerait que la connaissance ne soit pas le seul facteur influençant l'adoption d'un comportement favorable à la lutte contre le changement climatique. J. J. Wittezeale souligne même que si nous attachons dans notre culture beaucoup d'importance à la prise de conscience celle-ci suit en général, le changement de comportement plutôt que de le précéder. De plus une étude menée par le CRIOC sur les « Logiques d'attitudes et de comportements à l'égard de la consommation d'énergie » a démontré qu'il n'existait pas de lien univoque entre le niveau d'information et un comportement favorable aux économies d'énergie. C'est dans le but de la mise en évidence de l'existence d'autres facteurs influençant les comportements que nous nous somme intéressé aux théories du comportement et à celles de la motivation. 1 Francine Pellaud, «Le développement durable : d'un concept complexe à la vie quotidienne », Les sciences de l'éducation pour l'ère nouvelle, vol. 35, janvier 2002, p.5 6 CHAPITRE IV : Théories du changement de comportement et de la motivation Nous venons de voir que la connaissance n'est pas un facteur suffisant pour comprendre nos comportements face au changement climatique : quels sont les autres facteurs qui influencent nos motivations et donc nos comportements face à ce phénomène ? Ce chapitre à pour but de donner quelques apports théoriques qui nous permettront par la suite de mettre en évidence les obstacles aux changements de pratiques en faveur de la lutte contre le changement climatique. Nous allons donc nous intéresser aux théories qui permettent de comprendre comment se forment nos comportements : théorie du comportement, de la motivation et du changement de comportement. 6.1 Théories du comportement Voici une définition commune du terme comportement : « Manière de se comporter, de se conduire ; ensemble des réactions d'un individu ; conduite. Ensemble des réactions, observables objectivement, d'un organisme qui agit en réponses aux stimulations venues de son milieu intérieur ou du milieu extérieur »1. Ce qui nous intéresse ici est donc de mettre en évidence quelles sont ces « stimulations ». La conduite humaine étant un phénomène complexe nous savons que ces stimulations peuvent revêtir des formes très différentes : « La conduite a une forme concrète extérieure, directement observable, mais cette forme externe se rattache d'une manière complexe, d'une part, à tous les éléments de la situation dans laquelle elle prend un sens final et aussi à des éléments intrasubjectifs des niveaux biologiques, affectifs, social et culturel qui interviennent, ceci en interaction, pour donner différentes significations dont l'intégration donnera le sens final. Car, le sens final, il ne faut pas l'oublier, est un construit, c'est-à-dire quelque chose qui résulte de la rencontre d'éléments divers provenant de l'acteur lui- même comme de la situation » (MUCHIELLI, 2006 (1981), p.16-17). Les comportements se forment donc à divers niveaux, à partir d'éléments internes à l'individu ou extérieurs à lui. Nous parlons ici de différents niveaux (internes/externes) mais il est important de rappeler les liens qu'ils entretiennent entre eux. Nous pouvons pour cela nous référer au principe de la causalité circulaire et cumulative. Ainsi, les éléments que l'on pourrait croire interne à l'individu peuvent être des éléments sociaux internalisés. Par exemple un besoin aussi naturel que celui de manger est socialement conditionné, ce qui explique 1 Définition issue du dictionnaire Larousse l'habitude des Français de manger plus de viande qu'il n'est nécessaire. De même chaque individu a une influence sur son milieu. Il peut ainsi influencer le groupe en exposant ses valeurs personnelles. Une autre piste pour comprendre les origines des comportements humains est à chercher du coté de l'étude des facteurs qui motivent les comportements. C'est dans ce sens que nous nous sommes intéressés aux théories de la motivation. 6.2 Théories de la motivation 6.2.1 Tentative de définition Les définitions suivantes nous aident à mieux cerner ce que nous entendons par le concept de motivation : « Ensemble des motifs qui expliquent un acte, processus physiologique et psychologique responsable du déclenchement, de la poursuite et de la cessation d'un comportement » (Dictionnaire Larousse) « Le concept de motivation représente le construit hypothétique utilisé afin de décrire les forces internes et/ou externes produisant le déclenchement, la direction, l'intensité et la persistance du comportement ». (Vallerand, 1993) « Un besoin ou un désir qui sert à dynamiser le comportement ou à l'orienter vers un but ». (Myers, 1998) « Des stimuli externes perçus comme pouvant assouvir un besoin suscitent et dirigent des comportements ». (C.Hull, 1943) A la lecture de ces définitions, nous pouvons nous rendre compte que le concept de motivation est un concept complexe qui fait référence à de nombreuses théories. Chaque théorie de la motivation apportant sa propre définition du concept. Le but ici n'est pas ici de présenter et de départager l'ensemble des théories de la motivation mais d'en donner un aperçu global afin de mettre en évidence les facteurs déterminant de la motivation. Pour ce faire, nous nous sommes principalement référés à l'ouvrage de F. Fenouillet, La Motivation, qui nous semblait avoir l'avantage de présenter ces théories de manière synthétique. 6.2.2 Les différents types de motivations : classifications La conduite humaine possède différents niveaux de
profondeur, et les moteurs de ces directe déterminant une conduite1. Une chose est certaine, nous n'agissons pas par hasard mais suivant des motivations. Ces motivations peuvent se trouver au niveau de l'inconscient (par exemple j'enlève ma main d'un objet brûlant) ou du conscient (je suis conscient que je vais au travailler tous les matins dans le but d'avoir un salaire). Elles peuvent être rationnelles ou irrationnelles. Une distinction qui nous est apparue intéressante à relever pour la suite de notre analyse (Chapitre V), est celle faite entre les motivations dites intrinsèques et les motivations dites extrinsèques. Une motivation est « intrinsèque » quand elle est déterminée par le plaisir et le sentiment d'autonomie. Le comportement est dans ce cas motivé uniquement par l'intérêt et le plaisir que le sujet trouve dans la pratique de l'activité, sans attendre de récompense extrinsèques à l'activité ni à chercher à éviter un quelconque sentiment de culpabilité. On dit d'une motivation qu'elle est extrinsèque quand une personne n'est pas essentiellement intéressée par l'activité en soi. Dans ce deuxième cas de figure, le sujet agit dans l'intention d'obtenir une conséquence qui se trouve en dehors de l'activité même. Le sujet cherche par exemple à recevoir une récompense à éviter de se sentir coupable, à gagner l'approbation... « Une activité qui est pratiquée pour elle-même, pour son contenu est dite intrinsèquement motivée, tandis qu'une activité qui est pratiquée pour ses effets est dite extrinsèquement motivée »2. Outre ces quelques classifications, nous avons décidé de nous intéresser de manière plus approfondie aux sources de motivations, c'est-à-dire aux éléments qui vont avoir une influence sur la motivation et donc sur les pratiques individuelles. En effet, la mise en évidence de ces éléments, nous permettra ensuite de répondre de manière plus précise à la question : quels sont les éléments qui influencent nos actions face au changement climatique ? Nous avons choisi de regrouper les différentes sources de motivation sous forme de quatre catégories qui mettent en évidence les différents niveaux entrant en jeux dans la formation des comportements : le niveau biologique, le niveau affectif, le niveau socioculturel et celui des contraintes externes (normes sociales et variables situationnelles). Il est important de noter qu'une même motivation peut résulter d'une combinaison de sources. 1 Cf. principe de la causalité circulaire. 2 Piche S., « Précurseurs motivationnels des performances sportives et scolaire », Université de Laval, 2003. 6.2.2.1 Niveau biologique (besoins et instincts) : Une première approche des sources de motivation est celle des conceptions innéistes et biologiques des motivations. Ces approches reposent principalement sur deux concepts celui de besoins et celui d'instinct. L'accent est mit sur les facteurs internes inscris dès la naissance dans l'individu. Nous allons redéfinir ces concepts et voir de quelle manière ils peuvent influencer les motivations. > Les instincts : « Un comportement instinctif est donc un comportement relativement stéréotypé, commun à toute une espèce animale susceptible d'une faible adaptation sinon d'aucune, et qui se déclenche d'une manière automatique lorsque d'une part, l'organisme est dans un certain état de préparation et qu'il rencontre un signal déclencheur spécifique dans son environnement. » (MUCHIELLI 2006 (1981), p.23) Il n'a à pas un accord des théoriciens ayant travaillé sur ce concept quant à une liste exhaustive des instincts. Si on cite le plus souvent l'instinct de conservation, sexuel, d'agression, de possession, de domination, maternel... il n'existe pas une liste exhaustive et univoque de la totalité des instincts. Les instincts sont, dans les faits, canalisés par les règles et normes des niveaux psychologique et socioculturel. > Les besoins : Nous pouvons dire en premier lieu que la motivation apparaît lorsqu'il est nécessaire de satisfaire un besoin. Le concept de besoin renvoie à trois idées : celle de nécessité vitale, l'idée de tension qui cherche la satisfaction qui apporte un retour à l'équilibre, et l'idée de catégorie spécifique d'objets satisfacteurs vers laquelle est orienté la tension (par exemple celle des besoins sociaux). On peut définir le concept de besoin comme : « Un état de tension insatisfaisant lié à une nécessité (biologique, psychologique, sociologique) existentielle, orienté vers une catégorie d'objets satisfacteurs qui poussent l'individu à rechercher un équilibre plus satisfaisant par l'atteinte d'objets appartenant à un certain exemple ». (Muchielli, 2006 (1981), p.25) Il existe différents types de besoins. Les besoins physiologique : faim, soif, désir d'échapper à la douleur... Chez les humains ces motivations de bases que l'on pourrait qualifier d'inné et primaires sont modifiées et transformées par des influences sociales et culturels : par exemple on accepte de ne plus manger pour ressembler à son idole (anorexie) ou bien encore on accepte la douleur à travers des rites culturels... Il existe d'autres motivations ayant une base biologique sans pour autant être nécessaires à la survie immédiate de l'organisme. Nous pouvons citer par exemple le sexe, le soin parental et l'agression. De même que pour les besoins physiologiques ces besoins biologiques ne sont pas exempts d'influence sociale et se traduiront donc à travers des comportements différents selon le contexte socioculturel. Les besoins psychologiques quand eux, sont largement déterminés des contacts socio affectifs. Nous pouvons citer par exemple le besoin d'estime de soi, d'accomplissement, de pouvoir, de reconnaissance, d'acceptation, d'intimité, de communiquer... Enfin, l'état sociologique de la société ambiante conditionne directement les besoins sociologiques que l'on peut aussi qualifier de besoins secondaires: besoin d'information de confort, de détente. Contrairement à cette conception qui met en avant les facteurs biologiques et instinctifs de l'homme, les conceptions suivantes des motivations mettent l'accent sur l'influence du milieu, que ce soit à travers la présence d'un système de valeurs sociales, de normes sociales... 6.2.2.2 Niveau psychologique et socioculturel : le concept d'attitude « A sa naissance l'homme n'est qu'une tabula rasa. Ce sont les expériences qui vont écrire cette page vierge et le façonner. » (Muchielli, 2006 (1981), p.47). Le concept d'attitude a vu naissance dans les travaux de psychologie sociale. On peut le définir comme un ensemble de dispositions internes et durables par rapport à un objet. C'est un état d'esprit, une prédisposition générale psychologique envers quelque chose. « Une attitude est donc une orientation générale de la manière d'être face à certains éléments du monde. C'est l'expression dynamique d'un principe affectif profond et inconscient (ou valeur) acquis à travers la succession ou la répétition d'expérience de la vie. Une attitude prédispose à percevoir et à agir d'une certaine manière » (MUCHIELLI, 2006 (1981), p. 72) C'est cette prédisposition qui va orienter dans un certain sens toutes les interactions avec l'objet en question. Ce concept regroupe les notions de valeurs, croyances et opinions. Si en psychologie sociale ces composantes ne sont pas étudiées séparément, il nous semblait plus pertinent pour ce travail d'étudier chacune de ces composantes pour elle même en gardant à l'esprit qu'elles font partie d'un tout qui représente une tendance à l'action. 6.2.2.3 Niveau affectif : les émotions Les émotions jouent aussi un rôle important dans la motivation d'un comportement. Ainsi l'amour, la peur donneront lieu à des comportements bien distincts. De manière plus générale on peut dire que chaque individu à un « passé affectif » qui oriente ses motivations et comportements. Ainsi, tout individu rencontre des situations qui vont le marquer. Ces situations laissent des traces affectives indélébiles qui orientent sa perception du monde, ses attitudes et ses réactions ultérieures. Celles ci déterminent les niveaux des motivations anthropologiques, culturelles et individuelles Ces traces affectives peuvent se formuler sous forme de règle ou de croyances, elles sous tendent alors toutes les conduites, et constituent ce que l'on pourrait nommer des « règles de vie » (Muchielli, 2006 (1981), p.52-54). 6.2.2.4 Les sources externes : variables situationnelles et normes sociales Certaines sources externes à l'organisme peuvent nous motiver ou influencer notre comportement et éventuellement devenir des motivations internes. L'existence de contraintes environnementales peuvent orienter les comportements, souvent les individus eux-même ignorent l'influence de ces contraintes externes sur leur propre comportement. Ces sources externes de motivation peuvent donc prendre la forme de contextes physiques (infrastructure adaptée) ou de contextes sociaux et/ou moraux (normes sociales, cadre juridique...). > Les normes sociales « Dans toute société existent des modèles culturels de conduite qui prescrivent « des manières d'agir, de penser et de sentir » (Durkheim), jugées acceptables par le groupe. Ces modèles, inspirés par les valeurs dominantes de la société, se concrétisent dans un ensemble de normes de comportement dont le respect est assuré par un système de sanctions. Ces normes ont un caractère impératif pour les individus mais elles varient selon les sociétés » (Etienne, 1997, p.221) Les normes sociales représentent, à la fois ce que l'individu pense que les autres ou la société attends de lui, ainsi que la motivation de se conformer à ces attentes. Les normes sociales définissent donc un cadre aux comportements socialement acceptables. Les normes s'accompagnent d'un système de sanctions qui peuvent prendre la forme de prescriptions explicites, à travers les lois, ou bien implicite à travers les « usages » et les « moeurs »1. Elles 1 « Depuis William Summer (Folkaws, 1906), il est classique de distinguer les simples « usages » (manière de s'habiller, règles de politesse...) des « moeurs » qui, représentant des impératifs moraux (mode d'exercice légitime de la sexualité par exemple), entraîneraient une réprobation plus forte et des sanctions plus sévères » (ETIENNE Jean, 1997, p.222). peuvent être positive, par exemple le jeune homme qui cède sa place à la personne âgée reçoit de manière implicite (usages et moeurs) ou explicite (droit) l'approbation du groupe, ou négative (réprobation morale, sanction pénale), une personne qui dépasse la limite de vitesse risque une peine pénale. > Le contexte physique/ variables situationnelles Le contexte dans lequel se déroule l'action d'un individu influe sur ses motivations : si le contexte est favorable à l'action alors celle-ci sera plus facile à entreprendre. Un exemple de contexte peut être le contexte économique : celui-ci peut largement motiver ou démotiver une action donnée. Par exemple dans notre cas de figure la situation économique d'un individu et le contexte dans lequel elle s'inscrit peut déterminer l'achat ou non de panneaux solaire. L'éventail des actions individuelles est donc, en parti, déterminé par des variables issues du contexte économique. Un autre exemple peut être celui du contexte physique. Par exemple la présence ou non d'infrastructures favorables à l'action (réseau de transport en commun, présence d'un point de tri des déchets à proximité...) motivera positivement ou négativement l'action. Les obstacles à certaines pratiques sont donc à aller chercher dans des déterminants internes à l'individu, mais il ne faut pas négliger le rôle des sources externes qui peuvent constituer d'importantes sources de motivation, ou bien au contraire être source d'obstacles à un comportement donné. Nous retiendrons que tous ces déterminants (internes ou externes) forment un ensemble complexe, interconnecté. Le schéma résume le cadre théorique que nous venons d'exposer, et à partir duquel nous allons analyser les comportements face au changement climatique Niveau Comportement Facteurs externes Niveau affectif Niveau biologique Nous nous efforcerons donc de mettre en évidence, dans le chapitre suivant, comment ces différents niveaux de motivation influent nos comportements face au changement climatique. 6.3 Théories du changement de comportement et des résistances En nous intéressant aux pratiques individuelles face au changement climatique nous en sommes venus à nous demander pourquoi les individus ne modifient pas leurs comportements face à ce phénomène. Les théories du changement de comportement peuvent nous donner quelques premiers éléments de réponse. Il s'agit donc de comprendre la démarche avec laquelle un individu va modifier ses actions. 6.3.1 Les conditions nécessaires au changement de comportement Quelles sont les conditions préalables à l'adoption d'un comportement donné ? A travers leurs travaux les chercheurs de The Health Communication Unit (THCU) on mit en évidence l'existence de huit conditions préalables pour qu'une personne adopte un comportement donné1 :
1 Hershfield L.,. Chirrey S,. Thesenvitz J. Chandran U Changement de comportements: un cadre d'application, 06/2004 (2000) visualisé le 15/02/07 sur : http://www.thcu.ca/infoandresources/publications/changementdecomportementsv4.1.f.november11.2005.pdf
Si les trois premières conditions sont jugées « nécessaire et suffisante » pour adopter un comportement, les cinq autres ont un effet sur l'intensité et l'orientation de l'intention. Nous reviendrons sur cette grille d'analyse lorsque nous traiterons des résistances face au changement de comportement dans le chapitre suivant. 6.3.2 Le changement de comportement : un processus Tout individu qui passe à travers un changement majeur vivra, à une intensité variable, le processus suivant : Situation actuelle dégel Transition regel Situation Symptômes de la transition : Frustration Confusion Stress Critiques et conflits Nostalgie pour les bons vieux jours Source : Carl Lemieux1 1 Schéma issu de la présentation power point du 20 juin 2007 « Comment faire face à la résistance au changement », Rendez vous international sur les applications du développement durable, Sherbrooke. Un système qui change doit être « dégelé », déstabilisé, puis passer par une période de transition avant d'être « regelé vers une situation désirée ».Cette période de transition est constituée de différents états. Pour qu'un changement de comportement survienne, il faut que l'individu donne un sens et comprenne les enjeux du changement, il peut être nécessaire de créer une « burning Platform » c'est-à-dire un sentiment d'urgence. Il est nécessaire que l'individu puisse donner une vision à ce changement afin de se projeter, de voir à quelle situation aboutira ses efforts. Enfin si le changement de comportement est soutenu par l'environnement (personnes proches...) il sera plus facile à adopter. 6.3.3 Les résistances au changement Ex.: Les habitudes, la satisfaction des besoins, la préférence pour la stabilité, l'identification à la situation actuelle... Ne (liée à la personnalité) Ex.: Les moyens fournis pour intégrer le changement, le manque de compétences, la cohérence actuelle du système, les rôles et responsabilités, ... Ex.: La qualité de l'information/messages, des attentes non explicites, le manque de respect des personnes, le temps (pour digérer), la crédibilité de l'agent de changement... Ne peuvent pas (liée à l'environnement) Ne comprennent pas (liée aux modes d'implantation) Source : Carl Lemieux1 Cette représentation graphique montre que la résistance au changement peut s'expliquer en grande partie par des problème de compréhension, ensuite par des problème des contraintes externes qui font que l'individu n'a pas la possibilité de modifier son comportement, et dans un partie bien moindre par un manque de volonté de changer. Il est ici nécessaire de rappeler que tout processus de changement implique un certain nombre de résistance à celui-ci. Nous allons donc essayer de mettre en évidence dans le chapitre suivant qu'elles sont les résistances au changement de comportements face au défi que constitue la lutte contre le changement climatique. 7 CHAPITRE V : Analyse des résistances aux changements de pratiques Nous avons vu que la connaissance d'un problème n'est pas le seul facteur qui influe les comportements dans la lutte contre celui-ci : il ne suffit pas d'avoir une représentation réaliste du problème du changement climatique pour changer radicalement de comportement et lutter contre. Nous allons, dans ce chapitre, analyser les différents facteurs qui peuvent expliquer que les préoccupations vis-à-vis du changement climatique ne se traduisent pas dans les pratiques. Cette analyse repose sur la lecture de divers ouvrages qui nous ont fourni des éléments de réponses théoriques, mais aussi sur la réalisation d'une série d'entretiens qualitatifs grâce auxquels nous illustrerons nos propos. Nous avons classé ces facteurs selon qu'ils soient propres à la nature du phénomène du changement climatique, qu'ils fassent référence aux contextes (normatif, moral, physique) ou bien qu'ils soient propres aux l' individus1. 7.1 Contraintes propres à la nature du phénomène 7.1.1 Le changement climatique un risque nouveau « [...] l'humanité n 'a jamais eu à connaître un défi climatique comparable aux changements qui s'annoncent à l'orée du XXIe siècle » (D. Bourg, 2001, p.41). En accélérant le processus naturel d'effet de serre, la civilisation actuelle fait face à un risque d'un type nouveau : le changement climatique. Nous n'avons encore jamais affronté un problème semblable à celui-ci. Nous n'avons donc pas d'expériences passées qui pourraient nous guider quant aux pratiques à adopter pour y faire face. Notre absence de recul explique peut-être notre manque de prise au sérieux du problème. Nous avons besoin de temps pour nous faire à l'idée que nous pouvons perturber les grands cycles naturels. Le risque est alors que la médiatisation du problème passe pour un « effet de mode ». Caroline « [...] on en parle quand même globalement assez récemment. Ca fait pas si longtemps que le sujet comme je vous le disais qui est une tendance à la mode...mais y'a encore que deux ou trois ans...on en parlait pas plus que ça. » « A un moment donné il y avait eu un
débat sur le fait que le changement 1 Il faut noter qu'un même facteur peut faire référence à plusieurs catégories à la fois. maintenant, vous êtes convaincu du fait que le changement climatique soit un phénomène scientifiquement prouvé ou est- ce que vous en doutez ? Béatrice Euh...je pense que c'est difficile de savoir si c'est causé par l'homme ou si c'est un cycle normal. Parce que j'ai des vagues souvenirs de ce que j'ai pu lire quand j'était gamine sur la préhistoire ou des choses comme ça et ces changements d'ère où on est passé à des moments où il faisait très froid et des périodes où ça s'est réchauffé, peut-être qu'on est dans une phase comme ça mais je sais pas vraiment, j'arrive pas vraiment à savoir si on est la cause de ça ou si c'est une mode. C'est-à-dire que tout d'un coup on s'est dit « oh beh tiens on va essayer de faire que les gens s'intéressent à l'écologie, un peu comme les concerts qu'il y a eu il y a pas très longtemps [Earth Concert] euh... c'est bien, c'est très très bien mais au bout d'un moment, ça n'engage que moi, on arrive plus à savoir si c'est vrai, si c'est une mode ou si il y a des plus gros intérêts derrière... » Cependant, la difficulté à appréhender le phénomène ne tient pas uniquement à sa nouveauté mais aussi à sa nature complexe. 7.1.2 La difficulté à appréhender un phénomène complexe « Elle [la conscience écologique] est une vision « holographique » de l'ensemble des savoirs auquel les enfants et les étudiants ne sont pas habitués » (J Van Cauter, 2003, p.110). 7.1.2.1 Un phénomène difficile à se représenter Comme nous l'avons vu dans la partie précédente, les études quantitatives sur la perception de l'effet de serre montrent qu'il existe un vrai problème de connaissance de la part du grand public sur le changement climatique. La réalisation d'une série d'entretiens nous a permis de confirmer cette idée. Sur l'ensemble des personnes interrogées, une seule avait une représentation proche de la réalité du phénomène. De même, nous avons constaté que changement climatique et trou de la couche d'ozone sont systématiquement confondus. « De manière générale j'aurais aimé que tu me parles du changement climatique, à quoi ça te fait penser ? Myriam Euh, couche d'ozone, pollutions, les glaces polaires qui fondent, euh, augmentation des océans, fonte des glaces, changement de climat dans les régions et dans les pays, voila... » Le phénomène d'effet de serre reste très mal compris : « Je ne sais pas si tu as entendu parler du mécanisme de l'effet de serre, est ce que tu as à peu prês compris comment ca fonctionnait ?
A la question générale « j'aurais aimé que vous me parliez du changement climatique » l'ensemble des personnes interviewées (excepté le mieux informé) évoquent les conséquences du changement climatique et non les causes : « De manière très générale j'aurai aimé que vous me disiez ce que représente pour vous le changement climatique ce qui vous vient à l'esprit quand on parle de changement climatique ? Béatrice La première chose qui me vient à l'esprit, c'est les saisons qui correspondent plus trop, les souvenirs que j 'ai de gamine c'est que l'été il faisait beau l'automne il faisait moins beau l'hiver il faisait froid, le printemps...et maintenant l'été est en plein mois d'avril, le mois de juillet c'est une horreur et il n'y a plus d'hiver. » En effet, les individus interrogés ont davantage de peine à se représenter les causes du changement climatique que les conséquences, ce qui peut expliquer en partie la difficulté à comprendre l'impact de nos activités sur le changement climatique. 7.1.2.2 La difficulté à comprendre l'impact de nos activités quotidiennes De manière générale, les individus interviewés n'arrivent pas à mettre en relation leurs pratiques quotidiennes (excepté l'usage de la voiture) et leur impact sur le changement climatique. On peut donc supposer qu'un premier obstacle à la lutte « individuelle » contre le changement climatique réside dans le fait que nous n'avons pas conscience qu'une grande partie de nos pratiques quotidiennes ont un impact sur l'effet de serre. La prise de conscience de la responsabilité vis-à-vis du problème en est compromise, ainsi que la capacité à voir quelles sont les actions envisageables pour lutter contre le changement climatique au niveau individuel. « Tu parlais des actions individuelles, quotidiennes, selon toi quelles sont tes actions quotidiennes qui ont le plus d'impact sur le changement climatique ?
Seule une personne fait le lien avec la consommation d'énergie (électricité), le changement climatique et l'énergie étant pourtant deux problématiques très reliées. « Ok, à ton niveau est ce que tu sais lesquelles de tes activités quotidiennes contribuent à l'effet de serre ? Julien [...] oui le simple usage de l'électricité, j'imagine qu'y a... quand on utilise l'électricité... ouais ça participe au réchauffement climatique, peut-être d'une manière un peu moindre mais quand même quoi, donc tout ça après c'est des choses auxquelles je fais attention mais qui sont finalement tellement ancrées dans nos manières de vivre que c'est difficile de s'en détacher donc voilà... » Nous voyons donc qu'un autre obstacle à la lutte contre l'effet de serre réside dans un problème de connaissance. Cependant, la médiatisation du problème est telle, que malgré les difficultés de représentation et de compréhension du changement climatique la majorité des personnes sont convaincues de son existence. « Maintenant pour vous c'est quelque chose de scientifiquement prouvé, que les scientifiques sont tous d'accord pour dire qu'il y a un changement climatique est ce que vous avez encore un doute là-dessus ? Caroline Je sais qu'il y a eu beaucoup de débats il y a encore quelque temps... euh je les lisais aussi comme ça...où tout le monde n'était pas d'accord...mais j'ai l'impression maintenant de plus en plus que les gens se mettent d'accord par rapport à ça. » Si la majorité des personnes sont convaincues de l'existence du changement climatique, nous pouvons alors nous demander si l'inertie face au problème ne réside pas dans le fait que nous n'y croyons pas vraiment. 7.1.3 Pourquoi ne croyons nous pas à la catastrophe annoncée ? 7.1.3.1 Controverse et incertitude « Nous sommes confrontés à une situation originale et neuve au regard de l'histoire. Dans une telle incertitude comment distinguer entre risques objectifs et perceptions délirantes, entre acquis scientifiques et rumeurs infondées ? » (D. Bourg, 2001, p.120). Nous venons de souligner le fait que la majorité des français se disent convaincus de l'existence du changement climatique. Il n'en reste pas moins qu'un quart d'entre eux continue d'être sceptiques sur la question, et pense que le changement climatique est une hypothèse sur laquelle les scientifiques ne sont pas tous d'accord. Lors des entretiens que nous avons réalisés, le manque d'information au sujet de la communauté scientifique qui étudie le changement climatique nous est apparu flagrant : seule une personne a évoqué les résultats du GIEC ou IPCC en anglais. Pourtant les résultats de « la réunion de l'IPCC » qui a eu lieu en début d'année 2007 ont largement été relayés par les médias grand public, notamment par les journaux télévisés. Nous émettons ici l'hypothèse que la difficulté à admettre le consensus scientifique autour de la responsabilité humaine du changement climatique peut s'expliquer par l'histoire jusqu'alors controversée du phénomène. En effet, si la communauté scientifique est, depuis plusieurs décennies, unanime à déclarer l'existence du changement climatique et la responsabilité humaine dans le phénomène, les médias ont fait naître sur le sujet beaucoup de controverses qui n'avaient pas lieu d'être. Il est donc difficile pour le grand public d'admettre avec certitude l'origine anthropique du changement climatique après avoir entendu pendant des années de faux débats sur le sujet. « A un moment donné il y avait eu un débat sur le fait que le changement climatique soit un phénomène scientifiquement prouvé. Est-ce que vous maintenant, vous êtes convaincue du fait que le changement climatique soit un phénomène scientifiquement prouvé ou est ce que vous en doutez ? Béatrice Euh...je pense que c'est difficile de savoir si c'est causé par l'homme ou si c'est un cycle normal. Parce que j'ai des vagues souvenirs de ce que j'ai pu lire quand j'était gamine sur la préhistoire ou des choses comme ca et ces changements d'ère où on est passé à des moments où il faisait très froid et des périodes où ca c'est réchauffé, peut être qu'on est dans une phase comme ca mais je sais pas vraiment, j'arrive pas vraiment à savoir si on est la cause de ca ou si c'est une mode. C'est-à-dire que tout d'un coup on c'est dit « oh beh tiens on va essayer de faire que les gens s'intéressent à l'écologie, un peu comme les concerts qu'il y a eu il y a pas très longtemps [earth concert] euh... c'est bien, c'est très trés bien mais au bout d'un moment, ca n'engage que moi, on arrive plus à savoir si c'est vrai, si c'est une mode ou si il y a des plus gros intérêts derrière... » 7.1.3.2 Catastrophisme ; rôle de la peur « C'est parce que la catastrophe constitue un destin détestable dont nous devons dire que nous n'en voulons pas qu'il faut garder les yeux fixés sur elle, sans jamais la perdre de vue. » (J-P Dupuis, 2002, p.84) Craignons-nous le changement climatique ? Le discours des médias et des politiques sur le sujet est-il trop ou pas assez catastrophiste ? Avons-nous besoin d'avoir peur pour réagir ? A la question « au niveau mondial, qu'est-ce qui vous inquiète le plus pour l'environnement ? Le « réchauffement de l'atmosphère » arrive seulement en neuvième position. Le changement climatique n'est donc pas le problème environnemental qui préoccupe le plus les français. Ces derniers s'inquiètent par exemple davantage pour la question des centrales nucléaires. Nous trouvons intéressant de noter qu'aux yeux des français le risque induit par les centrales nucléaires, qui n'est pas pourtant scientifiquement prouvé (les probabilités qu'un accident se produise, existent peut être, mais sont faibles), est plus inquiétant que ceux induis par le changement climatique alors que ce problème représente aujourd'hui une certitude scientifique. Les discours de plusieurs interviewés nous ont confirmé le fait que de manière générale les français ne craignent pas le changement climatique : « Est-ce que face à l'évolution du phénomène, vous vous sentez plutôt confiante, vous pensez que l'on va trouver des solutions ? Quand on en parle, ça vous fait plutôt peur ? Pour être franche ça ne m'angoisse pas énormément. J'ai pas le temps. Caroline Béatrice Je ne sais pas par exemple si vous voyez un reportage sur les inondations...etc. ? Oui bien sur c'est angoissant, sur le moment c'est prenant, en tout cas c'est intéressant, c'est prenant. De là a m'angoisser complètement... peut-être que je ne me rends pas compte... parce que on en a parlé, quand même globalement assez récemment. » « Et est-ce que vous êtes confiante face à l'évolution du phénomène, est-ce que d'en parler cela vous fait peur ? Non ça ne m'angoisse pas [...] » Nous pouvons donc émettre l'hypothèse selon laquelle, la difficulté de mobilisation de l'opinion publique face au changement climatique, s'explique en partie par le fait que le phénomène ne fait pas peur. Or, « [...] pour percevoir concrètement les dangers cette opinion parait avoir besoin de crises graves, [...], ou l'épreuve d'une expérience personnelle directe » (J. Van Cauter 2003, p.78-79). Il reste cependant difficile de départager le débat sur le rôle du catastrophisme et de la peur dans le discours des médias et des politiques. Doit-on accuser ces acteurs de ne pas être assez « alarmistes », « catastrophistes » sur le sujet. Nicolas Van Rauglaudre nous rappel le sur ce point que : « Certains penseurs et acteurs prennent le parti selon lequel seule la peur peut être un mobile suffisant pour penser le futur. Si la peur peut être un bon aiguillon, elle n'est pas une bonne pédagogue. Le vrai moteur est le « désir de développement ». Avoir envie de développer la Planète, d'offrir à nos enfants des raisons d'espérer, travailler pour faire comprendre que rien n'est inéluctable (sous prétexte que certaines puissances semblent inaccessibles), appelle à une métamorphose des mentalités pour soutenir l'idée réaliste d'un avenir durable. » (J. Van Cauter, 2003, p.11) Dans le cas du changement climatique, la catastrophe nous parait impossible tant qu'elle ne s'est pas produite. La perspective de la catastrophe ne nous émeut pas, elle nous laisse indifférent. Si l'on sait les choses peut être ne les croyons nous pas... 7.1.3.3 Nous savons les choses mais nous ne les croyons pas « Admettons que nous soyons certains, ou presque, que la catastrophe est devant nous, comme le lapsus des théoriciens de la précaution le donne à penser. Le problème est que nous ne le croyons pas. Nous ne croyons pas ce que nous savons. Le défi qui est lancé à la prudence n'est pas le manque de connaissance sur l'inscription de la catastrophe dans l'avenir, mais le fait que cette inscription n'est pas crédible » (J-P Dupuis, 2002, p.142). « Nous tenons la catastrophe pour impossible dans le même temps où les données dont nous disposons nous la font tenir pour vraisemblable et même certaine ou quasi certaine. [...] Ce n'est pas l'incertitude, scientifique ou non, qui est l'obstacle, c'est l'impossibilité de croire que le pire va arriver. [...] La situation présente nous montre que l'annonce des catastrophes ne produit aucun changement sensible, ni dans nos manières de faire, ni dans nos manières de penser. Même lorsqu'ils sont informés, les peuples ne croient pas ce qu'ils savent» (J-P Dupuis, 2002, p.142-143). Dans son ouvrage Pour un catastrophisme éclairé, J-P Dupuis a développé la thèse selon laquelle nous ne réagissons pas devant les catastrophes annoncées non pas parce que nous n'avons pas les connaissances qui permettent de les prédire, mais parce que nous n'y croyons pas. En effet, dans le cas du changement climatique la communauté scientifique nous a fourni des données fiables qui permettent de prédire la catastrophe à venir. De même, bon nombre de personnes pourtant bien informées sur le sujet ne changent pas pour autant leur comportement. Ceci s'expliquerait-il comme le laisse à penser Dupuis par le fait que nous ne croyons pas au changement climatique ? Ceci est possible car comme il l'explique, on ne croit pas à la catastrophe dans la mesure ou on ne peut pas imaginer que le pire puisse arriver avant de l'avoir expérimenté. En complément de la thèse de Dupuis, nous pouvons penser que nous ne croyons pas ce que nous savons parce que nous croyons seulement ce que nous voulons croire. Nous pensons que dans le cas du changement climatique, notre immobilisme n'est pas seulement dû au fait que la catastrophe annoncée ne nous apparaît pas comme crédible mais au fait que nous préférons, consciemment ou non ne pas y croire. La question que nous devons nous poser est alors, quels sont les facteurs qui expliquent que nous préférons ne pas croire au changement climatique ? Nous allons donner des éléments de réponse à cette question dans la suite de cette analyse. 7.1.4 La temporalité et la globalité du phénomène comme obstacle « Voilà donc que nous apparaissons désormais responsables, ou du moins corresponsables, d'une action collective dont les développements et les effets nous sont largement inconnus ; voilà que se trouve brisé le cercle de proximité qui m'obligeait seulement à l'égard du proche et du prochain, et distendu le lien de simultanéité qui me faisait comptable des effets immédiats, ou à tout le moins voisin, des actes que je posais aujourd'hui. » (F. Ost, 1995, p.267) Deux caractéristiques propres au phénomène constituent selon nous un obstacle à la lutte contre le changement climatique : il s'agit de sa temporalité et de sa globalité. En effet, pour comprendre l'écart entre conscience écologique et pratiques individuelles, il faut garder à l'esprit que les conséquences du changement climatique sont différées dans le temps et dans l'espace. C'est-à-dire que les personnes qui bénéficient aujourd'hui de la possibilité d'émettre des gaz à effet de serre ne sont pas nécessairement celles qui devront en assumer les coûts : les émission rejetées aujourd'hui participent à un phénomène global qui s'inscrit à longue échelle dans le temps et dont les conséquences seront différentes selon où l'on se situe sur la planète (nous pensons ici particulièrement au habitants insulaires qui seront les premières victimes de la montée du niveau de la mer). 7.1.4.1 La difficulté à gérer le long terme dans une société de l'instantanéité La mise en place d'une lutte efficace contre le changement climatique sous entend l'adoption d'une vision à long terme du problème. Or, il semblerait que ce type de vision ne soit pas celle avec laquelle nous composons en règle générale dans les sociétés occidentales : « Elles [la réflexion et l'action écologique] sont par excellence aux antipodes d'un système économique de productivité et d'efficacité qui s'actualise dans l'instant et qui se sert de la fausse durée technologique pour se justifier rationnellement. » (J. Van Cauter, 2003, p.108). Comment le « développement durable » peut-il être la nouvelle valeur de sociétés qui vivent dans l'immédiateté ? Comme le souligne Van Cauter et Rauglaudre la première difficulté se situe dans la « divergence de forme de temps », c'est-à-dire dans la différence entre les représentations du temps des individus selon leur intérêt immédiat, et la vision long terme nécessaire pour aller dans la direction d'un « développement durable ». Dans notre cas, le problème réside donc dans le fait qu'une grande majorité des individus n'estiment pas être affectés par les conséquences du changement climatique dans le temps présent et que les logiques de l'individualisme (nous reviendrons sur ce thème plus loin dans l'analyse) font qu'ils ne se soucient pas du temps futur. Si, il n'est aujourd'hui plus politiquement correct de dire que nous n'avons pas à nous soucier des générations futures ce qui importe est que nous, nous ne subissions pas les conséquences du changement climatique : Myriam « Si je pense égoïstement je me dis que moi j'y serais pas, mais je pense qu'on va vers... que la terre va quand même changer, ya des projections, ya des images qui me viennent ou l'eau a envahi telle région mais ça sera dans plusieurs euh... peut être dans un millier d'années (rires) on y sera plus (rires). Mais justement, il faut quand même se préoccuper des générations à venir. » Caroline « On sait que c'est bien, mais ça nous touche pas directement, pour l'instant. » Il n'existe donc pas de système de récompenses et de sanctions immédiates vis-à-vis de la lutte contre le changement climatique. Quand nous émettons des gaz à effet de serre, nous n'en payons pas les conséquences aujourd'hui, et si nous décidons de nous investir dans la lutte contre le changement climatique, les récompenses sont elles aussi invisibles dans le présent à cause de l'inertie du phénomène (nous n'avons pas la satisfaction que peut procurer par exemple les résultats de la dépollution d'un site après une marée noire). Il s'agit donc d'intégrer ou plutôt « réintégrer » le temps long (passé comme futur) dans nos visions du monde, alors que nous vivons dans une société qui « n'a pas le temps » qui se focalise dans l'immédiat, et dont les logiques sont des logiques à court terme. 7.1.4.2 Individuel versus global Tout comme la dimension temporelle, la dimension
planétaire des risques écologiques n'est comment leurs pratiques individuelles (niveau local) peuvent influer sur le niveau global. Ainsi, il est plus facile de motiver des personnes à lutter contre des problèmes écologiques d'échelle locale (pollution des sols, d'une rivière...) que d'échelle globale. Cette échelle planétaire ou globale est souvent le domaine de l'environnement « invisible », que l'homme a du mal à appréhender de manière quotidienne (Lévèque, 2003, p.122). De plus, nous verrons plus tard que la globalité du phénomène pose problème en ce qui concerne les questions de responsabilité. A ces difficultés d'appréhender la temporalité et la globalité du phénomène s'ajoute la difficulté à gérer un phénomène qui est invisible et incertain. 7.1.5 Comment gérer l'invisible et l'incertain 7.1.5.1 Un problème « invisible » « [...] un risque invisible est plus facilement nié, ou au contraire dramatisé. En outre, parce que ces risques échappent à nos sens, la science devient le médiateur nécessaire pour les appréhender : elle seule a les instruments pour les mesurer » « La « déplétion » de la couche d'ozone, le réchauffement climatique dû à l'effet de serre anthropogénique, la pollution radioactive, l'accumulation de contaminants divers dans les graisses animales, l'acidification des terres et de l'atmosphère, la fragilisation des sols, la pollution due aux pots d'échappements eux-mêmes... : tous ces grands problèmes qui se posent à l'échelle mondiale, ne sont guère accessibles aux sens ou à l'expérience immédiate » (D. Bourg, 2001, p.1 12). La crise environnementale provoquée par le changement climatique reste un phénomène peu perceptible par nos sens. Que ce soit les causes du problème ou ses conséquences, nous restons en effet largement dans le domaine de « l'invisible ». Notre expérience personnelle ne nous permet pas d'identifier le phénomène, de même il est impossible de mesurer ce phénomène spontanément. Ainsi, nos émissions quotidiennes de gaz à effet de serre passent inaperçues, excepté peut être celles de nos pots d'échappement. En effet, les émissions contenues, par exemple, dans notre consommation alimentaire ne sont pas « visibles » (quand je mange 1 kg de fruits et légumes, je ne vois pas les 150 grammes de gaz à effet de serre qui ont été nécessaires pour qu'ils arrivent dans mon assiette). De même, nous ne souffrons pas quotidiennement du problème du changement climatique. Il apparaît donc difficile de se préoccuper de quelque chose que l'on ne voit pas, que l'on ne sent pas. C'est pourquoi les médias parlent du changement climatique quand ils ont l'impression que le phénomène se « concrétise » : canicules, manque d'enneigement... Un autre point qui parait aller à l'encontre de la lutte individuelle contre le changement climatique réside dans l'imprévisibilité exacte du phénomène. 7.1.5.2 Des risques « incertains » Il n'est pas question ici, de remettre en cause les certitudes scientifiques au sujet de l'existence du problème du changement climatique. Nous entendons par « risques incertains » les « zones d'ombre » qui persistent autour du problème. En effet, même si les scientifiques élaborent des scénarios de plus en plus pointus sur les conséquences du changement climatique, une part d'incertitude demeure. On ne peut pas répondre par exemple, avec certitude, à la question de savoir de combien la température moyenne augmentera si les émissions de gaz à effet de serre se stabilisent au niveau actuel. La communauté scientifique peut, sur ce point, nous donner des ordres de grandeur, mais il reste impossible de prévoir avec exactitude les conséquences du changement climatique. Or il semblerait que nos sociétés ne soient plus habituées à gérer l'incertitude. Les progrès de la science nous ont habitués à vivre dans un monde de plus en plus « certain ». Les sociétés industrielles ont ainsi du mal à intégrer le principe de précaution selon lequel ; « face à des menaces graves, qualifiées d'irréversibles, dans le domaine de l'environnement, on ne doit pas attendre d'avoir acquis une certitude scientifique pour agir » (D. Bourg, 2001, p.145). Ce principe préconise donc, face à un problème grave, de ne pas attendre d'être en possession de la totalité de certitudes scientifiques sur ce problème pour passer à l'action. Ce problème se reflète dans le discours de certains des interviewés qui reconnaissent que s'ils étaient plus directement menacés ou si les scientifiques faisaient preuve de certitudes plus alarmistes, ils seraient davantage enclins à modifier leurs comportements.
7.2 Contraintes propres aux contextes Selon J-P Bozonnet1 les deux modes de d'intervention de l'Etat sont l'introduction de contraintes et celle de ressources supplémentaires dans le paradigme de l'action. L'Etat peut ainsi rendre les contextes d'action davantage favorable aux changements de comportement. Pour cela, les pouvoirs publics peuvent introduire des contraintes d'ordre financier (taxes sur les carburants), mais aussi des contraintes sur l'aménagement du territoire (= contexte physique) ou en bien encore utiliser l'appareil législatif (= contexte normatif), afin de donner à chaque individu l'assurance que les autres s'engageront aussi dans la lutte contre l'effet de serre. Son action peut aussi passer par l'introduction de nouvelles ressources d'ordre financier (réduction d'impôts, subvention à l'achat de technologies moins polluantes) ou bien concernant l'aménagement du territoire (pistes cyclables). Le rôle des pouvoirs publics est sans précédent étant donné qu'aujourd'hui, la plupart des pratiques environnementales domestiques, sont plus ou moins dépendantes des contextes dans lesquelles elles se déroulent (par exemple, on ne peut pas se rendre au travail en bus si la commune ou l'on habite n'est pas dotée d'un réseau de transport urbain). Nous allons donc voir comment aujourd'hui les contextes normatifs, moraux et physiques représentent, sous certains aspects des contraintes aux changements de comportements en faveur de la lutte contre le changement climatique. 7.2.1 Contexte normatif et moral : des normes et des
valeurs peu 7.2.1.1 Des normes peu contraignantes Il existe quelques normes, sous forme de lois, qui visent à lutter contre l'effet de serre, comme par exemple le fait d'imposer des normes à respecter au niveau de la consommation des appareils électriques lors de leur construction... Cependant, ces normes restent très marginales et surtout, elles ne concernent pas directement les pratiques individuelles. En effet, il est difficile de penser une loi qui, par exemple, fixerait un taux d'émission annuel de gaz à effet de serre, par personne, à ne pas dépasser : il est très difficile voir impossible de contrôler les émissions individuelles de gaz à effet de serre. On pourrait, par exemple, penser à la 1 BOZONNET Jean-Paul, (25 et 26 juin 2007). « De la conscience écologique aux pratiques. Pratiques domestiques et politiques environnementales à la lumière des théories du choix rationnel et des valeurs », Toulouse, Actes du colloque Environnement et Politiques, CR23 AISL et CERTOP-CNRS, 279-287. création d'un kilométrage de voyage en avion à ne pas dépasser, mais ce type de mesure serait pris comme une atteinte aux libertés individuelles. Il nous semble donc, que le système législatif a peu de marge de manoeuvre pour lutter contre les émissions individuelles de gaz à effet de serre. Il convient alors, de nous intéresser au rôle des normes implicites (usages et moeurs) dans la lutte contre le changement climatique. Tout comme les lois, les normes morales du type réprobation nous apparaissent quasi inexistantes et d'impact modeste. Par exemple, le fait de conduire une Ferrari n'est pas réprimée négativement bien au contraire, de multiples signes (compliments sur la voiture, regard envieux...) provenant d'autres individus feront que cette personne se sentira valorisée par son action. Des explications sont donc à chercher dans nos systèmes de valeurs. 7.2.1.2 Des valeurs contradictoires Si les français se disent en majorité, soucieux des problèmes d'environnement et du changement climatique, il nous est apparu que ces valeurs « écologistes » rentrent largement en conflit avec d'autres types de valeurs. Dans le cas qui nous intéresse, nous avons identifié certaines valeurs, partagées par une grande partie de la population, qui nous semble aller à l'encontre de la lutte individuelle contre l'effet de serre. Bien entendu cette liste n'est pas exhaustive :
processus de « déculpabilisation ». Ainsi, nous pensons que l'un des risques des campagnes de sensibilisation sur le changement climatique, actuellement mis à l'oeuvre, est de donner une batterie de « petits gestes » (ne pas laisser les appareils en veille...) qui une fois appliqués peuvent d'une certaine manière condamner la naissance d'une vraie réflexion sur nos modes de vie qui est pourtant nécessaire si l'on veut lutter efficacement contre le changement climatique. En effet, les modifications « en surface » des pratiques on un effet « déculpabilisateur » qui tue dans l'oeuf une réflexion plus profonde.
interviewées n'a radicalement changé de comportement suite à la prise de conscience du problème du changement climatique, nous voulions tout de même montrer qu'une solution qui s'offre aux individus pour annuler la situation de tension interne est d'adapter complètement leurs comportements à leurs valeurs. Dans ce cas, un changement de mode de vie beaucoup plus radical s'impose. C'est la raison pour laquelle cette option est largement minoritaire par rapport aux autres. En effet, elle demande beaucoup plus d'effort, de « sacrifices » personnels que les précédentes. Nous l'avons d'ailleurs mentionné dans l'analyse, même les individus dotés de valeurs « pro environnementales » sont bien souvent contraints de continuer leurs modes de vie habituels (les contraintes viennent alors de l'extérieur). Pourtant, c'est bien cette dernière option d'une modification radicale des comportements que nous devons adopter si nous voulons lutter efficacement contre le changement climatique. Nous allons maintenant étudier, plus en détail, un exemple qui sous couvert d'outil de lutte contre le changement climatique constitue avant tout, selon nous, une stratégie de réduction de la dissonance cognitive provoqué par l'écart valeurs/pratiques. 7.4.3 La compensation volontaire des émissions
de CO2 : outil de lutte Les systèmes de compensation volontaire des émissions de CO2 sont-ils des moyens efficaces de lutte contre le changement climatique au niveau individuel ? D'après une étude de l'ADEME réalisée en novembre 2006, 31 structures offrant des services de compensation des émissions de CO2 ont vu le jour à travers le monde ces dernières années. Dans le sillage des marchés internationaux et nationaux de CO2, ces structures proposent la compensation de gaz à effet de serre pour les particuliers. Ce système correspond à la réduction des gaz à effet de serre atmosphériques d'une quantité équivalente à celle que l'on a émise par une activité telle que le transport, le chauffage... Cette réduction se fait via le financement de projets qui ont pour but d'éviter ou de séquestrer des émissions équivalentes. Le calcul du montant à payer se fait donc sur la base du coût moyen de l'émission de la tonne de CO2 (ou kilo selon les organismes) de carbone évité par l'ensemble des projets. Nous avons ainsi calculé que la tonne de CO2 coûte de 14 à 24 euros selon le prestataire choisi. Notre thèse est ici la suivante : les systèmes de compensation constituent davantage, des objets permettant de réduire la situation de dissonance, ou sentiment de culpabilité, provoqué par l'écart valeurs/pratiques chez les individus qui y on recourt, que des outils efficaces de lutte contre le changement climatique. En effet, suite à l'analyse des trois principaux systèmes de compensation en France (Action Carbone, Climat Mundi et CO2 solidaire). Voici ce que nous avons observé : - Ces systèmes ne sont pas forcément efficaces d'un point de vu physique : l'équilibre entre quantité achetées et quantités évitées n'est pas toujours respecté (par exemple les projets de reforestation d'Action Carbonne sont de « fausses bonnes solutions » étant donné que la reforestation permet seulement de stocker des émission de CO2 qui seront un jour au l'autre réémis : mort de l'arbre, feux de forêt...), et dans certains cas, en particulier lorsque les projets viennent satisfaire de nouveaux besoins (électrification dans un village ou il n'y avait pas jusqu'alors l'électricité) on peut parler d'effet rebond. - Selon le discours soutenu par les différents organismes de compensation on peut dire que les systèmes de compensation volontaires constituent réellement une stratégie de réduction de la dissonance cognitive. On peut ainsi constater que le discours de Climat Mundi est particulièrement « déculpabilisateur », « déresponsabilisateur » : « Il est temps de penser au climat devenez neutre en CO2 » ; La compensation « c'est une nouvelle façon de limiter votre contribution au réchauffement climatique, en chargeant quelqu'un de diminuer à votre place la partie de vos émissions de CO2 que vous ne pouvez pas réduire vous-même, ou pas tout de suite, ou dont la réduction vous coûterait trop cher » ; « en compensant la totalité de mes émissions de CO2, je peux ainsi annuler totalement mon impact sur le réchauffement climatique, et devenir ainsi « neutre en CO2 » ou « zéro CO2 ». C'est bon pour la planète, et c'est bon pour moi et tous les enfants du monde ! »1. 7.5 Conclusion du chapitre V Nous pouvons conclure de cette analyse que les facteurs qui
peuvent expliquer l'immobilisme 1 Extraits du discours tenu par Climat Mundi sur son site internet. uniquement d'un manque de connaissance du problème. Nous savons que ces facteurs peuvent prendre la forme de contraintes internes à l'individu (ex. le fait de préférer les voyages lointains au tourisme rural) mais il ne faut pas négliger la présence de contraintes externes (ex. absence de réseau de transport urbain) qui peuvent décourager des individus pourtant très sensibles au problème du changement climatique. Il nous est impossible de dire quel facteur a le plus d'influence sur les comportements face au changement climatique. Le manque de connaissance sur le problème étant très général, nous avons vu qu'une grande majorité des français se heurtent à des problèmes cognitifs en ce qui concerne la représentation du changement climatique de ses causes, de ses conséquences... Ce problème de manque de compréhension nous parait donc être le premier obstacle à la prise de conscience de la réalité du problème et donc à la lutte individuelle contre le changement climatique. Cependant, en interviewant des personnes ayant des représentations plus proches de la réalité du phénomène, nous nous somme rendus compte à quel point les facteurs expliquant leur immobilisme (qui dans ce cas là ne s'explique plus par un défaut de connaissance) peuvent être variés. Système de normes et de valeurs, caractéristiques propres au phénomène (nouveauté, invisibilité...), pressions de la société... nombreuses peuvent être les contraintes qui une fois qu'elles ont exercé leur influence sur les comportements expliquent que les français ne s'engagent pas, de manière globale, dans une lutte individuelle contre le changement climatique. |
|