section 2 : Le comportement de l'Etat à travers
les dépenses publiques
« Le fait d'assurer une couverture (...) de bonne
qualité en matière des services sociaux de base, constitue l'un
des moyens (...) les plus efficaces de réduire la
pauvreté ».
Carol Bellamy, Directeur Exécutif -
UNICEF
L'objet de cette section est construit autour de la
problématique des dépenses publiques et de ses modes de
financements. Et comme dit plus haut, elles constituent à ce titre le
référentiel des politiques économiques d'un pays
donné.
I.
Analyse théorique de la notion des depenses publiques
Les dépenses publiques ont vu leur importance relative
par rapport au PIB s'accroître de manière très
significative au point d'atteindre aujourd'hui un niveau jugé excessif
par de nombreux économistes et responsables politiques.
Elles sont par ailleurs souvent considérées
comme un levier très important à la disposition des pouvoirs pour
agir sur l'activité économique et l'emploi ; ce qui est sans
doute vrai. Il ne faudrait cependant pas oublier les effets pervers qu'engendre
le mouvement intempestif des dépenses publiques sur l'inflation et le
déséquilibre extérieur.
L'intervention des pouvoirs publics dans le système
économique et financier est un trait majeur dans toutes les
sociétés contemporaines. Elle se manifeste selon des
modalités diverses. Certaines sont monétaires, d'autres non. Les
premières prennent la forme de dépenses et de recettes publiques.
Elles seules retiendront notre attention dans ce paragraphe. La notion de
dépenses publiques sera d'abord précisée ainsi que son
évaluation.
Force est de constater cependant que les dépenses
publiques ne sont pas mesurées par un agrégat spécifique.
Il convient de les évaluer à partir des comptes des
administrations publiques centrales (essentiellement l'Etat), des
administrations publiques locales (régions, départementales,
communes) et de la sécurité sociale. Elles désignent des
biens et services achetés par les pouvoirs publics. On y retrouve des
éléments aussi disparates que les équipements militaires,
les autoroutes ou les services rendus par les fonctionnaires.
Les dépenses afférentes au fonctionnement et au
développement des services regroupent les salaires versés, la
consommation intermédiaire et les investissements. Les opérations
de redistribution recouvrent essentiellement les subventions et les prestations
sociales. Les intérêts versés sont ceux des emprunts
émis par l'Etat ou les collectivités locales.
En somme, les dépenses publiques servent à
financer les investissements publics.
A. APPROCHE NOTIONNELLE DE
L'INVESTISSEMENT PUBLIC VIÀ LE MULTIPLICATEUR D'INVESTISSEMENT
D'entrée de jeu, on suppose que l'investissement
supplémentaire initial a pour conséquence d'entraîner un
accroissement du revenu national supérieur au montant de l'accroissement
initial de l'investissement public. Ce postulat nous permet d'énoncer le
multiplicateur d'investissement public et ses conditions d'action.
1. ENONCÉ DU
MULTIPLICATEUR D'INVESTISSEMENT PUBLIC
Supposons que dans une économie les pouvoirs publics
décident d'accroître le montant de l'investissement ; cette
décision, qui se traduit par la mise en service d'un capital productif
additionnel, aura pour conséquence d'accroître le nombre de
travailleurs et par là même d'accroître les revenus des
salariés. Face à cet accroissement de revenu, les salariés
vont augmenter leurs achats de biens alimentaires et industriels ; cet
accroissement des achats de biens de consommation va dégarnir les
stocks, ce qui nécessitera pour leur reconstitution un accroissement de
production avec distribution supplémentaire de revenus à une
seconde catégorie de salariés etc.
Deux (2) hypothèses seront successivement
envisagées. Dans la première, l'accroissement de l'investissement
public se réalise en une seule fois et ne se répète pas.
Dans la seconde, l'accroissement de l'investissement est supposé se
reproduire pendant plusieurs périodes.
a. L'effet de
l'accroissement d'un investissement public non
répété
Le circuit des revenus et des dépenses que nous venons
d'exposer peut se formuler d'une manière simple :
?Y = k?I, avec ?Y, l'accroissement du
revenu, ?I, l'accroissement de l'investissement et k, le
multiplicateur d'investissement.
La question revient à calculer k et à
rechercher les facteurs qui le déterminent. Les revenus
supplémentaires, obtenus par la première catégorie de
salariés, sont dépensés pour l'achat des biens de
consommation ou industriels, ce qui a pour conséquence de
dégarnir les stocks. Il est bien évident que si les
salariés dépensent tout leur supplément de revenu, la
diminution des stocks sera telle que l'accroissement de production pour leur
reconstitution sera beaucoup plus important que si l'on dépense
uniquement la moitié du supplément de revenu.
Le multiplicateur d'investissement dépend de la
propension marginale à consommer : plus celle-ci sera forte plus
l'accroissement de la production et du revenu sera important, plus la
propension marginale à consommer sera faible plus réduit sera
l'accroissement de production et du revenu national.
Nous pouvons formaliser ce raisonnement sous forme d'une
relation algébrique ;
?Y = k?I
D'où k = ?Y/?I
Or Y = C + I
Donc ?Y = ?C + ?I
D'où ?I = ?Y - ?C
On peut écrire : k = ?Y/(?Y - ?C)
En divisant par ?Y nous avons : k = 1/
(1-?C/?Y)
Or ?C/?Y = la propension marginale à
consommer.
D'où 1 - ?C/?Y = la propension marginale
à épargner.
Conclusion : le multiplicateur d'investissement
est égal à l'inverse de la propension à
épargner.
b. L'effet de
l'accroissement d'un investissement public pendant plusieurs
périodes
Pour chaque période apparaît un accroissement de
l'investissement public ?I qui entraîne une augmentation de la
consommation et du revenu plus importante que dans l'hypothèse du non
renouvellement de l'investissement envisagé
précédemment.
2. LES CONDITIONS D'ACTION
DU MULTIPLICATEUR D'INVESTISSEMENT
Les principales sont les deux (2) suivantes :
Ø la première est celle de sous-emploi. Tout
investissement supplémentaire entraînera un accroissement du
produit national à la condition que le travail et le capital soient
partiellement inemployés, sinon la hausse du revenu serait purement
nominale et déboucherait sur l'inflation ;
Ø la seconde est celle de la stabilité de la
propension moyenne à consommer.
Cependant cette condition est difficilement acceptable en
raison de l'instabilité des habitudes de consommation.
B. LE FINANCEMENT DES
DÉPENSES PUBLIQUES
Un déficit budgétaire et un accroissement de
dépenses publiques peuvent être financés selon trois (3)
modalités différentes : l'émission d'emprunts, la
création monétaire et le recours à l'impôt. Cette
dernière option concerne évidemment le financement d'un
supplément de dépenses. On voit mal, en effet, un accroissement
de fiscalité financer un déficit budgétaire
provoqué par une réduction de la fiscalité. La situation
n'est cependant pas impossible s'il s'agit d'impôts ou de contribuables
différents. Dans les trois (3) hypothèses, l'effet multiplicateur
de dépenses publiques risque d'être sérieusement
réduit. Le freinage sera cependant différent selon la
modalité retenue.
1. LE FINANCEMENT DU
DÉFICIT BUDGÉTAIRE PAR LA FISCALITÉ
Le financement d'un déficit budgétaire par un
accroissement de la fiscalité affaiblit très sensiblement l'effet
multiplicateur des dépenses publiques. Si l'économie fonctionne
toutefois selon les principes précédemment décrits,
l'équilibre budgétaire n'est pas incompatible avec un effet
multiplicateur.
L'augmentation des dépenses publiques G induit
un accroissement du revenu national :
Y = 1 x G/1 - c (1)
Si la hausse du déficit budgétaire induite par
l'accroissement des dépenses publiques est financé par une
augmentation de la fiscalité, cet accroissement des recettes fiscales
T induit une baisse du revenu national égale à c x
T/1 - c.
L'effet net de ces variations de sens inverse sera de
l'importance relative de G, T et de la valeur de la
propension marginale à consommer c.
On pourrait à la limite penser qu'une hausse des
dépenses publiques financée par un accroissement identique des
recettes fiscales n'exercerait aucun effet sur le revenu national.
Les pouvoirs publics accroissent simultanément les
dépenses publiques d'un montant égal à G et les
recettes fiscales T. Ils ne font pas varier le montant de
l'investissement et les dépenses de transfert. Les variables I
et R demeurent constantes.
Lorsque les variations simultanées des dépenses
publiques et des recettes fiscales ont épuisé tous leurs effets,
le nouveau revenu national d'équilibre est égal
à :
Y + Y = 1 x [Co - c (T + T) + cR + Io + Go + G]
(2)
En soustrayant l'équation (1) par (2), nous
obtenons :
Y = 1 x [-cT] + 1 x [G]/1 - c (3)
Dans la mesure où G = T, nous pouvons
écrire :
Y = 1x [-cG]/1-c + 1 x [G]/1-c
Y = 1x [G (1-c)]/1-c
Y = G
La conclusion à retenir de cette démonstration
de Haavelmo est qu'un accroissement des dépenses publiques
financé par une variation identique de la fiscalité accroît
le revenu national d'un montant égal à l'accroissement des
dépenses publiques. L'effet multiplicateur est très faible mais
il n'est pas nul. Il est égal à 1.
De manière plus générale, on peut
déduire que le maintien dans le temps de l'équilibre
budgétaire n'est pas incompatible avec un effet multiplicateur.
2. LE FINANCEMENT DU
DÉFICIT BUDGÉTAIRE PAR L'EMPRUNT
Si le gouvernement refuse d'accroître les impôts,
il peut recourir à l'emprunt. L'épargne se dirigera vers les
nouvelles émissions publiques si le taux d'intérêt est
supérieur à celui offert sur le marché par des titres de
même nature présentant un risque identique. Il devrait s'en suivre
une hausse des taux. A leur tour, les entreprises désirant
émettre des obligations pour financer leurs investissements devront
pratiquer des taux supérieurs à ceux du secteur public si elles
veulent attirer l'épargne privée.
L'ampleur de la hausse des taux d'intérêt
dépend de la présence ou non de ressources financières
oisives dans l'économie. S'il existe de l'épargne
inutilisée, l'accroissement de la demande de fonds ne conduira pas
nécessairement à une hausse très élevée des
taux. Si, en revanche, la demande des entreprises et des pouvoirs publics
excède les ressources d'épargne, les taux d'intérêt
auront tendance à s'établir à un niveau largement
supérieur à celui qui se serait manifesté en l'absence
d'emprunt public.
Cette forte présomption d'une hausse des taux
d'intérêt conduit de nombreux économistes à douter
de l'efficacité d'une politique budgétaire financée par
l'emprunt. Dans la mesure où l'investissement dépend du niveau
des taux d'intérêt, celui-ci diminue quand le taux augmente. Par
voie de conséquence, la demande globale diminue puisque l'investissement
en est l'un des principaux déterminants. Dans ces conditions, l'effet
positif d'un accroissement des dépenses publiques est partiellement ou
totalement réduit du fait de la dépression de l'investissement
productif. La capacité de la politique budgétaire à
relancer l'activité et à réduire le chômage est en
conséquence légitimement mise en cause.
La hausse des taux d'intérêt conduit à un
effet d'éviction dont l'importance dépend de la
sensibilité de l'investissement aux variations des taux
d'intérêt nominaux et de l'existence ou non des ressources
financières inutilisées.
Au Tchad et comme dans d'autres pays en voie de
développement, les dépenses publiques sont orientées vers
le financement des investissements publics qui, eux aussi, sont
orientés, vers des besoins de base et de lutte contre la
pauvreté.
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