2. ÉTAT DE LA QUESTION
2-1. LA PORTÉE DES TRAVAUX MAJEURS7
PORTANT SUR LA COOPÉRATION CAMEROUN-UNESCO
Raymond EPOTE (1976) est le premier à s'être
intéressé aux activités de coopération technique de
l'UNESCO au Cameroun. Son étude porte sur trois projets
spécifiques, à savoir : L'institut de pédagogie
appliquée à vocation rurale (IPAR-Yaoundé) ;
IPAR-Buéa ; institut national sur l'éducation (INE). Aussi,
parvient-il à un bilan mitigé des projets du fait de l'absence de
coordination au niveau de l'évaluation par les différentes
parties (UNESCO, PNUD et Cameroun), des problèmes institutionnels et la
carence d'une main d'oeuvre qualifiée. Surtout, l'auteur insiste sur le
fait que ces limites viennent se greffer autour d'un problème central
qui est celui de la difficulté des autorités camerounaises
responsables de l'éducation à montrer comment la philosophie de
la ruralisation de l'enseignement devra se traduire au sein des projets et
quelles méthodes précises devront être utilisées
pour rendre cette philosophie effective et opérationnelle. D'où
les experts UNESCO détachés sur le terrain évolueront en
dents de scie.
Jacqueline Toumba Kotto (1999) dans un rapport de stage de
D.E.S.S8 effectué au bureau sous régional de l'UNESCO
de Yaoundé, part d'une perspective historique et évolutive de la
coopération pour relever progressivement les nouveaux enjeux et champs
d'activités de cette coopération qui, globalement semble produire
des « résultats encourageants ».
MENYE ONANA Perpétue Félicitée (2003)
s'intéresse sur la préparation de la 32ème
session ordinaire de la Conférence Générale de l'UNESCO
par le Cameroun. Ici, l'auteur dans une perspective réaliste justifiera
sa démarche par le fait que « l'objet de l'étude de la
diplomatie et plus particulièrement l'étude de la théorie
des relations internationales, pour les étudiants des pays en
développement, est de chercher à changer l'environnement
international en la faveur de leur États ». Et le plus souvent,
cette entreprise se réalise par le biais de la « diplomatie
multilatérale au sein des organisations internationales ». (MENYE
ONANA, 2003 : 2). Plus précisément, il s'agit de voir comment le
Cameroun prépare la Conférence Générale de l'UNESCO
sous le prisme de son intérêt national, afin d'améliorer sa
visibilité diplomatique.
7 Il s'agit pour l'essentiel des travaux
universitaires, les revues et rapports provenant des instances
concernées ayant été délibérément mis
de côté, du fait de leur portée scientifique relative.
8 Diplôme d'Etudes Supérieures
Spécialisées
Au terme de son analyse, l'auteur tirera un avantage certain
dans l'acquisition d'un savoir opérationnel en diplomatie
multilatérale, même si elle relèvera une insuffisance des
moyens de communication humains et matériels alloués à la
commission nationale et à la Délégation Permanente, ainsi
qu'une absence de collaboration étroite au niveau du Cameroun.
Globalement, les différents travaux
sus-évoqués ont le mérite d'appréhender les
relations Cameroun-UNESCO dans un aspect bien spécifique qui, de ce
fait, en améliore l'intelligibilité.
Le mérite de Raymond Epote est d'avoir mené un
travail de terrain, d'où la portée empirique est
considérable. Toutefois, l'auteur semble moins s'intéresser aux
dysfonctionnements existants au sein de l'UNESCO même, problèmes
qui sont parfois communs à toutes les Organisations internationales.
Ensuite, il ne met pas véritablement en relief les raisons profondes qui
peuvent expliquer l'absence d'une plate-forme philosophique au sein des
pouvoirs publics camerounais. Enfin, il reste assez muet sur la clarification
de ce qu'il appelle « l'aspiration profonde des populations camerounaises
».
Jacqueline Toumba Kotto de son côté aborde les
relations Cameroun-UNESCO à partir d'une approche « historiciste
». Ce faisant, l'auteur appréhende l'organisation de ses origines,
afin de mieux évaluer son rôle dans un bureau hors siège.
Mais il s'agit moins d'un travail scientifique, qu'une exposition empreinte de
généralités, sans investigation profonde, des informations
sur l'UNESCO et de sa coopération avec le Cameroun. Ce d'autant plus que
« le résultat des différents travaux et études
effectués pendant le stage, (doivent rester confidentiels) » !
Menye Onana Perpétue, enfin semble scruter l'action du
Cameroun dans l'UNESCO sous le prisme de l'intérêt national
camerounais. Ce faisant, elle s'inscrit dans la veine réaliste qui,
à son avis, est plus que jamais nécessaire dans un contexte de
coopération multilatérale. Cependant, elle semble parler de l'
« intérêt national » sans spécifier la notion
dans son contexte actuel. Car autant il est vrai que l'intérêt
national nécessite une reconsidération dans la conjoncture
actuelle, autant il n'a pas exactement la même signification au sein des
« pays en développement », tant il est vrai que les
études menées en politique comparée y relèvent des
trajectoires spécifiques, et parfois contradictoires (Gazibo, Badie).
De façon globale, ces différents travaux
semblent moins s'appesantir sur l'impact du contexte international dans
l'appréhension des relations Cameroun-UNESCO. En plus, le rôle
joué par l'individu est minoré lorsqu'il n'est pas simplement
ignoré ; d'où notre objectif
d'appliquer la méthode de la sociologie des organisations
à cette étude qui s'inscrit également dans la
littérature spécialisée des organisations
internationales.
2-2. LA COOPERATION CAMEROUN-UNESCO ET THEORIE DES
ORGANISATIONS INTERNATIONALES
L'intérêt porté aux Organisations
internationales est sans cesse grandissant, au regard des attentes
opérées à leur égard. On pourrait, sans
prétention à l'exhaustivité, citer la gestion des
problèmes de coordination dans la fourniture des biens publics mondiaux,
la santé, l'environnement, la paix. Elles permettent de définir
et stabiliser les droits de propriété des acteurs internationaux,
opèrent un minimum de redistribution des ressources à
l'échelle planétaire en dispensant une assistance technique, une
aide financière (Smoots et al..., 2006 : 405) Des demandes analogues
sont adressées à l'UNESCO dans le cadre de la protection du
patrimoine culturel mondial, de l'éducation de la santé, de la
communication, la science et les droits de l'Homme. C'est qu'une
pluralité d'activités relevant de ces différents secteurs
est opérationnalisée au sein des pays sous l'égide de
l'UNESCO qui, de ce fait est perçue comme un rempart contre les
aléas du système international issus de `l'anarchie hobbesienne'.
C'est pratiquement tous les aspects de la vie humaine qui relèvent peu
ou prou de sa compétence. D'où bon nombre de théories se
sont penchées sur la dynamique des organisations internationales. Dans
le cadre strict de notre objet d'étude, le fonctionnalisme de David
Mitrany semble le plus apte à poser la grille d'analyse la plus
convenable à l'étude de la coopération entre le Cameroun
et l'UNESCO.
David Mitrany qui en 1943 va publier A Working Peace
System, incarnera le fonctionnalisme, héritier de la
tradition fonctionnaliste. Théorie empirique mise en oeuvre par des
praticiens internationaux, elle se propose de renverser la tendance
internationale où chaque État était
considéré comme un « loup » par l'autre, afin
d'atteindre le stade de la « paix perpétuelle » chère
à Kant. Pour y parvenir, il était question de détourner
l'attention portée sur les États pour atteindre l'Homme. Ce
faisant, Mitrany substitua aux critères de la sécurité et
de l'intérêt qui sont flous et font généralement
l'objet des interprétations contradictoires, les critères de
paix, de bien-être et de participation comme finalité par
excellence de l'action internationale. Dès lors, des fonctions nouvelles
et précises vont de ce fait être envisageables en vue de
«développer le rôle et les attributions d'organisations
internationales fonctionnelles, seuls acteurs en mesure de remplacer
la confrontation par la
coopération ». Une telle approche très
technicienne de la vie internationale brillait de par sa progressivité
et son empirisme (ibidem : 96).
Toutefois, l'on observe que l'évolution de la
coopération avec les organisations internationales en Afrique
n'obéit véritablement pas au schéma tracé par les
adeptes de la théorie fonctionnaliste. Parce que les Pays en
développement (PED) sont des bénéficiaires de l'assistance
technique internationale, parler de la coopération Cameroun-UNESCO,
c'est également parler de l'assistance technique de l'UNESCO. Or le
principal défaut de ce courant de pensée, à en croire
Jean-Jacques Roche, c'est la prétention irréversible d'un tel
processus qui préconise le primat de la « nécessité
» sur la volonté politique, l'union politique devant
nécessairement être la résultante automatique de l'union
économique. (Roche, 2001 : 98) Pourtant, une lecture attentive des
régimes politiques sub-saharienne semble indiquer que l'État
n'est pas vraiment prêt à partager sa souveraineté, ciment
par excellence de sa revendication du monopole de la contrainte. De même
en Afrique tout comme ailleurs, « la dimension politique de la
coopération et son autonomie apparaissent souvent comme des facteurs
essentiels », certaines agences des Nations unies réputées
plus `fonctionnelles' et les plus techniques comme l'Unesco et l'Organisation
internationale du travail ont souvent été politisées
» (Smoots et al..., op.cit : 238).
Mais tout de même, le mérite de cette double
école qui se distingue du réalisme comme de la simple
coopération intergouvernementale, ressortit du fait qu'elle se
présente comme « des méthodes de découverte et
d'apprentissage d'un vouloir vivre en commun des États » (Roche,
op.cit : 99) C'est dire que l'émergence des institutions internationales
obéit à une volonté de créer un cadre favorable
à l'accession aux solutions « rationnelles » à travers
un effort de « dépolitisation » de certains enjeux.
Finalement, en dépit des critiques portées aux idées
fonctionnalistes et néo-fonctionnalistes, force est de noter que Mitrany
lui-même « a dû reconnaître en 1946 que l'Organisation
des Nations unies ne correspondait pas autant qu'il le souhaitait à ses
idées, sauf pour ce qui concernait les agences
spécialisées » (Smouts et al, idem : 238), à l'instar
de l'UNESCO ! L'exploration de la pertinence de la thèse de Mitrany dans
un État sub-Saharien va ainsi constituer le socle de notre
problématique.
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