PARAGRAPHE II : INTERPRÉTATION DES
DONNÉES ET PROSPECTIVE
A. LES DISPARITÉS COMME PREMIER OBSTACLE AU
DÉVELEPPEMENT DU SYSTEME EDUCATIF CAMEROUNAIS
1. DISPARITÉS DANS LA REPARTITION DU PERSONNEL
ENSEIGNANT DANS LES ECOLES PRIMAIRES ET PUBLIQUES.
« Dans l'analyse d'un système éducatif,
les considérations d'équité sont importantes en tant
qu'aspects descriptifs, mais aussi et surtout parce qu'on assigne à
l'éducation des objectifs en matière d'égalité des
chances. Il importe donc que soient offertes à tous les enfants des
conditions de scolarisation aussi équitables que possibles, quel que
soit le milieu géographique, le sexe de l'enfant et le niveau de revenu
de ses parents ». Aussi dans la mesure où l'on vise à ce que
les conditions d'enseignement soient homogènes sur le territoire d'un
lieu à l'autre, poursuivent les rédacteurs de la carte scolaire,
on devrait s'attendre à ce qu'il y ait une relation assez stricte entre
les effectifs scolarisés dans une école et le volume de
ressources (donc du personnel enseignant puisqu'il constitue la composante
majeure du budget éducatif) dont l'école dispose (idem :
89-90)
Or dans une analyse porté sur 8710 écoles
primaires publiques disposant des données complètes sur les
effectifs d'élèves et du personnel enseignant au cours de
l'année 2006/2007, la relation entre le nombre d'élèves et
le nombre de maîtres indique un retrait de 3 points sur 4 ans du
degré d'aléa par rapport à la valeur estimée
(estimation du RESEN, Novembre 2003) en 2002/2003 (45%). Ceci montre que la
politique menée pour résorber le problème de l'aléa
ne donne pas encore toute la mesure de son potentiel.
De l'avis des spécialistes, la politique de
contractualisation en cours doit être sous- tendue par les contraintes
d'une planification locale, afin de réduire le taux d'aléa de
manière significative. Plus concrètement, ces derniers pensent
que l'affectation/répartition du personnel enseignant doit respecter les
attributs des différents paliers décisionnels de la
décentralisation/déconcentration, à savoir :
- les Services Centraux (DHR) dans la répartition
équitable entres les provinces du pays ; les Délégations
Provinciales dans le cas des départements ;
- les Délégations Départementales pour une
répartition équitable au niveau des arrondissements et entre les
écoles de la région.
2. DISPARITÉS DANS LA REPARTITION DES ENSEIGNANTS
ENTRE LES PROVINCES DU PAYS.
Tableau 13 : Taille moyenne des écoles et
nombre moyen par école par province.
Provinces
|
Effectif moyen des écoles
|
nombre moyen
d'enseignants
|
Adamaoua
|
246,4
|
3,66
|
Centre
|
257,31
|
6,87
|
Est
|
233,71
|
4,75
|
Extrême -Nord
|
333,03
|
4,44
|
Littoral
|
243,7
|
6,26
|
Nord
|
362,75
|
5,25
|
Nord-Ouest
|
270,33
|
5,87
|
Ouest
|
318,96
|
6,64
|
Sud
|
148,42
|
5,14
|
Sud-Ouest
|
227,18
|
5,08
|
NATION
|
273,68
|
5,38
|
Source : Cellule de la planification- DPPC-MINEDUB/
Données issues du recensement 2006- 2007
La province est représentée par la taille
moyenne de ses écoles et par le nombre moyen d'enseignants par
école. Or le tableau ci-dessus illustre le fait que certaines provinces
bien qu'ayant une taille moyenne d'école plus élevée, ne
sont pas celles les mieux dotées en personnel enseignant. Ceci traduit
les disparités suivant le milieu géographique de scolarisation
dans l'allocation des ressources en personnel50. « Ces
disparités sont le fait d'une allocation d'emploi d'enseignants par le
Ministère directement aux écoles nécessiteuses sans prise
en compte des contraintes de la planification au niveau local. Cette
intervention directe au niveau des écoles contribue à accentuer
les disparités entre les provinces, voire entre les départements
d'une même province et finalement entre les écoles du pays »
(93).
En effet, le Rapport d'État du système
Éducatif (RESEN de novembre 2003) indiquait déjà le Sud
comme la province la mieux dotée en personnel enseignant tandis que les
provinces de l'Adamaoua et du Nord l'étaient moins. En 2006/2007, le
même constat demeure.
Au total, toutes ces données indiquent bel et bien que
l'on est encore loin des objectifs fixés à Dakar. La grande
question est celle de savoir s'il est scientifiquement possible d'anticiper sur
2015 ? Raymond Quivy nous apporte quelques éclaircissements à ce
sujet :
« Un astronome peut prévoir longtemps à
l'avance le passage d'une comète à proximité du
système solaire parce que sa trajectoire répond à des
lois stables auxquelles elle n'a pas la capacité de se soustraire par
elle-même. Il
50 Il s'agit ici du point de vue des analystes de la
carte scolaire
n'en va pas de même en ce qui concerne les
activités humaines dont les orientations ne peuvent jamais être
prévues de manière certaine(...) Cela signifie-t-il que la
recherche en sciences sociales n'ait rien à dire qui intéresse
l'avenir ? Certainement pas, mais ce qu'elle a à dire relève d'un
autre registre que celui de la prévision. En effet, une recherche bien
menée permet de saisir les contraintes et les logiques qui
déterminent une situation ou un problème, elle permet de
discerner la marge de manoeuvre des `acteurs sociaux» et elle met au jour
les enjeux de leurs décisions et leurs rapports sociaux. En cela, elle
interpelle directement l'avenir et acquiert une
dimension prospective, mais il ne s'agit pas de prévision
au sens stricte du terme. » (Quivy, op.cit : 32)
B. PROSPECTIVE POUR 2015.
Le premier constat à faire est le fait que le forum de
Dakar est venu changer de manière considérable le système
éducatif camerounais, au point où d'aucuns parlent « d'effet
Dakar ». Ces changements relèvent des mesures institutionnelles
certaines prises au lendemain dudit forum, ainsi que des actions
concrètes menées sur le terrain. C'est ainsi que les chiffres
nous révèlent une avancée significative de l'environnement
éducationnel camerounais depuis 2000, par rapport à ce qu'il
était dans les années 1990. Toutefois, les mêmes
données nous interpellent sur l'étendu du chemin à
parcourir pour atteindre les objectifs de l'EPT à l'horizon 2015, en
particulier ceux relatifs à la Scolarisation Primaire Universelle.
Aussi plusieurs raisons nous amènent à avancer
de manière prospective, l'hypothèse selon laquelle le Cameroun ne
parviendra pas aux objectifs fixés pour l'horizon 2015.
1. DIFFICULTÉS LIÉES A L'ENVIRONNEMENT
INTERNE.
Le système politique camerounais semble incapable de
juguler certaines pesanteurs qui bloquent le processus de SPU. Sans
prétention à l'exhaustivité, nous pouvons noter entre
autres :
- Disparités et croissance
démographique : l'urbanisation galopante de la
société entraîne à son tour un accroissement sans
précédent du nombre et de la diversité des
élèves qui revendiquent presque à l'unanimité une
éducation de qualité. Or, comme nous avons pu le voir, l'offre en
éducation au Cameroun est continuellement inférieure à la
demande sans cesse croissante. De son côté, le
phénomène des disparités est une constance dans
l'environnement éducationnel camerounais. Il semblerait que les
autorités publiques ainsi que les partenaires internationaux ne le
considèrent à sa juste mesure. En effet, une observation
attentive de la
démarche des promoteurs de l'EPT ne présente pas
clairement l'action adéquate pouvant permettre de remédier
à ce phénomène. De manière spécifique, ni le
Plan national d'EPT, ni la Stratégie sectorielle ne présentent
véritablement une démarche cohérente et concrète
à même de mobiliser l'ensemble des acteurs, surtout sur la
manière dont ils devront se déployer sur le terrain. Cela
explique pourquoi l'EPT, après huit années de promotion reste un
mythe dans plusieurs de ces zones périphériques. Or, comme on le
sait déjà, l'épreuve de vérité reste ce que
perçoivent les acteurs sur le terrain. Et pour l'instant les espoirs
restent encore en deçà des attentes.
- Amorce lente du processus de
décentralisation : Mode d'aménagement du pouvoir au sein
de l'État, la décentralisation qui désigne le mouvement
inverse à la centralisation (Baguenard, 1996 : 6), informe
également l'environnement éducatif camerounais. En effet,
plusieurs raisons nous amènent à penser que l'avenir de la SPU au
Cameroun est lié au développement du processus de
décentralisation consacré par la Constitution du 18 janvier 1996.
Or en dépit de la promulgation des Lois portant sur la
Décentralisation et l'institution des Régions, force est de noter
que le processus peine à se matérialiser convenablement sur le
terrain. Le fait est que la centralisation pratiquée à
l'excès s'accompagne d'une forte tutelle de l'État qui absorbe
les autres forces vives à même de revitaliser tout en
décongestionnant le processus de développement. La
décentralisation qui favorise le développement local avec la
libération des nouvelles énergies et des nouveaux acteurs aux
stratégies diverses peut créer un cadre favorable pour l'EPT. En
effet, la décentralisation du système politique et administratif
entraînerait la décentralisation de la gestion du système
éducatif qui à son tour pourrait apporter des solutions plus
proches des besoins réels des populations riveraines. Ainsi, chaque
région pourrait avoir une stratégie propre qui resterait toujours
rattachée à la grande stratégie nationale.
C'est que la décentralisation, tout en respectant les
principes de l'unité et de l'indivisibilité nationale
constitutionnellement proclamée, devrait encourager en même temps,
la diversité locale législativement organisée. (Idem) La
décentralisation du système éducatif camerounais qui est
fonction du processus de décentralisation du système politique ne
serait effective que dans la mesure où les autorités locales
auront le pouvoir d'élaborer des politiques locales d'éducation
plus sensibles aux sensibilités des riverains, avec la liberté
que leur attribue la législation, sans être soumises aux
contraintes hégémonistes des autorités administratives
d'État. La grande diversité du pays sur le plan physique et
humain exige plusieurs approches dont l'opérationnalisation ne pourrait
mieux s'effectuée que dans le cadre d'une décentralisation
poussée. Ainsi, les trois provinces septentrionales connaissent des
difficultés au niveau de la scolarisation des filles ;
l'Extrême-nord restant toujours la plus sous scolarisée des
provinces du Cameroun. De même, la scolarisation est également
fort modeste à l'Est, avec des difficultés d'accès des
jeunes filles dans le secondaire. Les priorités étant changeantes
en fonction des régions, toute politique devrait donc tenir compte de
ces particularités, et « être précédée
d'études permettant de préciser la manière d'aborder les
problèmes et les populations » (Abéga, op.cit : 29) Alors
que s'est produite une dangereuse et profonde césure entre la
société civile et le personnel politique (idem : 123), la
réussite de la décentralisation de l'éducation qui suppose
une proximité certaine, pourrait en outre faciliter une
nécessaire réconciliation, à même de réaliser
un cadre prédisposant à la démocratie locale et partant,
au bon déroulement des programmes d'action en faveur de
l'opérationnalisation de l'EPT.
- Absence d'un cadre favorable au développement
participatif : le développement participatif suppose que tous
les acteurs, y compris les riverains puissent apporter leur contribution
à la mise en oeuvre des projets pour le bien de tous. Pourtant, en
dépit des grandes campagnes de sensibilisation notifiant l'importance de
la contribution de « tous », l'on observe toujours une tendance
à la marginalisation, logique de rente y oblige, des acteurs capable d'y
apporter une contribution significative. Or « quel que soit le chemin le
plus adapté pour y parvenir, l'objectif final demeure un
mécanisme englobant rassemblant, sous l'autorité du gouvernement,
l'ensemble des acteurs qu'ils viennent du gouvernement, de la
société civile, des bailleurs, des agences bi et
multilatérales, ou du secteur privé. » (Dakar +7, 2007 :
72)
Le cas de la CEDEAO présente une volonté
politique manifeste, mais avec des réalisations concrètes qui se
font attendre. Cette situation, en dépit de la concrétisation par
la SADC du protocole sur l'éducation et la formation par les programmes
communs, n'est que le reflet au sein de l'UA d'une nouvelle décennie de
l'éducation handicapée d'un mécanisme de suivi sans moyen.
En réalité, il manque un système fiable et permanent
d'information et de transmission des rapports entre les Bureaux UNESCO en
Afrique. D'où les perspectives sous- régionales et
régionales présenteraient un bilan global plutôt
décevant. D'où également la nécessité d'un
véritable agenda régional d'action. Enfin, parce qu'une
considération essentielle pour l'ensemble des mécanismes aux
niveaux régional, sous-régional et national, réside dans
leur étroite liaison et leur complémentarité, une
rénovation des mécanismes nationaux de coordination de l'EPT
s'impose, avec l'aide d'un agenda régional de suivi.
- Faible mobilisation de la société
civile : la société civile, dans la perspective de
Fatton, désigne « la sphère privée constituée
d'activités économiques, culturelles et politiques
résistant aux incursions de l'État ». Elle
doit faire face au sud du Sahara à la puissance coercitive de
l'État dont la structuration prédominante correspond à un
« gouvernement prédateur » (Owona Nguini) Partenaire pourtant
indispensable de développement, son impact sur
l'opérationnalisation de l'EPT reste faible, du fait de l'opportunisme
de certains d'une part, d'autre part de la difficile convivialité
`historique' persistant entre elle et la société politique
camerounaise. La société civile en effet, reste un potentiel
assez inexploré. Nonobstant le fait qu'elle soit
généralement invitée lors des différents fora et
assises, la mise en oeuvre des projets révèle que très peu
de mécanismes formels de participation de la société
civile sont effectivement mis en place. Considérée comme un
facteur déterminant quant à la sélectivité des
projets et programmes EPT, les stratégies éducatives
développées par la société civile, parce que
mettant l'accent sur la réduction des inégalités,
permettent d'intégrer les populations et zones les plus
défavorisées, « qui seraient autrement
écartées des systèmes éducatifs classiques ou des
programmes d'aide sectoriels » (Dakar +7, op.cit : 63) Qui plus est, la
capacité d'information et de mobilisation des populations constituent
l'autre contribution majeure des ONG et associations de la
société civile. Pourtant, les évaluateurs des
mécanismes de coordination de l'EPT en Afrique Subsaharienne ont reconnu
un grand potentiel de la société civile africaine, notamment dans
sa riche tradition communautaires et de politiques éducatives
originales.
De l'avis de la présidente de la société
civile « Cameroon Education for All Network » (CEFAN), le droit
à l'éducation, en dépit des « nobles »
engagements en faveur de l'EPT, reste encore pour beaucoup un rêve en
ceci qu'il tarde toujours à se traduire dans la réalité.
Dans son allocution prononcée à Yaoundé, lors de la
Cérémonie de lancement officiel de la Semaine de l'EPT en 2008,
elle décrit les multiples résistances à la
décentralisation de l'éducation, la faible implication de la
société civile et des parents d'élèves, comme
obstacles essentiels à l'atteinte de la SPU de qualité à
l'horizon 2015. Celle-ci dépend désormais de la capacité
de l'État à négocier, communiquer et coordonner. Si elle
reste convaincu que celui-ci ne peut plus se contenter d' « organiser et
de contrôler » seul la mission d'éducation, si son appel
consiste à la rupture avec la vision classique « qui voudrait que
l'État soit en amont et en aval de toutes les actions éducatives
», ce n'est pas seulement parce que l'école n'est plus seulement
l'affaire des autorités scolaires et des enseignants, mais de toute la
communauté. C'est aussi parce que l'éducation constitue un enjeu
capital pour l'ensemble des acteurs du champ social. Il s'agit donc d'un appel
à la culture et à l'extension des « complicités
» et des « solidarités », afin d'accroître les
capacités de négociation sociale et de communication à
même de réaliser les consensus et les compromis dynamiques qui
fondent l'esprit partenarial.
- Absence d'une stratégie cohérente de
coopération avec l'UNESCO (Voir également limites de la
stratégie sectorielle et du plan d'action national) : De l'avis des
évaluateurs du processus de Dakar51, le devenir des instances
de l'EPT est intimement lié aux orientations sociétales
visées par l'action internationale et aux choix stratégiques
adoptés pour les atteindre. La situation actuelle est d'autant plus
préoccupante que c'est à l'échelon national que les
mécanismes spécifiques apparaissent les plus précaires.
Depuis Dakar et sur l'ensemble des pays africains, les Forums,
Secrétariats et Coordinations Nationales souffrent de dysfonctionnements
plus ou moins prononcés, qui poussent certains à remettre en
cause les fondements même de leur légitimité et
utilité. Toute réflexion prospective sur les mécanismes
d'évaluation, de coordination et de suivi de l'EPT doit
inévitablement s'insérer dans le contexte d'une harmonisation sur
le plan national de l'action de l'ensemble des partenaires du
développement. Parallèlement à l'action
déterminante des gouvernements, les agences des Nations Unies et PTF
doivent impérativement investir les espaces de dialogue, là
où ils existent et sont opérationnels, pour en faire les
véritables catalyseurs du partenariat tripartite que Dakar appelait de
ses voeux.
2. INSUFFISANCES LIEES A L'ENVIRONNEMENT
INTERNATIONAL
- Relâchement des partenaires techniques et
financiers : Après une forte mobilisation financière
international qui, en plus plaçait l'Afrique au centre de ses
priorités, la part de ce continent dans l'APD connaît une nette
régression depuis 2003. Alors que l'aide au développement
représentait 44% au début des années 1990, 38% en 2003,
37% l'année suivante, en 2005, l'APD ne représentait plus que
33%. Cette tendance qui ne s'est guère améliorée
aujourd'hui soulève des inquiétudes en ceci qu'elle
suggère une stagnation de l'effet mobilisateur du Forum de Dakar. Ces
inquiétudes hantent également l'esprit des rédacteurs des
rapporteurs du suivi de Dakar, pour qui le financement de l'EPT jusqu'en 2015
ne semble pas à l'heure actuelle assurée : « alors que les
réallocations de l'aide en faveur de l'Afrique et de l'éducation
n'ont pas été à la hauteur des engagements pris,
l'estimation du besoin de financement extérieur de l'EPT à
l'horizon 2015 a été revus à la hausse » (Dakar +7
:9) De l'avis de nos spécialistes, les versements d'aide
extérieure jusque là ont été largement en dessous
des besoins estimés pour l'atteinte de la SPU en 2015, d'où le
rattrapage de ce retard accumulé nécessiterait le double des
montants de l'aide observés en 2005.
51 Notamment dans le document paru en 2007 et
intitulé Dakar +7
Dans un nombre significatif de pays dépendants de
l'aide internationale, des difficultés relatives à la
coordination des PTF intervenant sur l'EPT sont légions. C'est le cas du
Gouvernement nigérian dont la conduite semble être dictée
par les bailleurs intervenant avec la prétention de
bénéficier « d'une meilleure compréhension de la
façon dont le système éducatif devrait fonctionner en vue
d'une efficacité maximale. » (Idem : 60) Il convient de noter
également que ces difficultés de coordinations minant les
rapports entre États et PTF ne constituent (entre autres) que le reflet
d'une certaine hiérarchisation des positons au sein de la
communauté internationale et nationale des PTF, où le potentiel
de financement prédomine sur les capacités d'expertise et de
répartition des rôles décidée à
l'échelon international. Remarquons à cet effet que l'acronyme
PTF, si réducteur soit-il, désigne des organismes
complémentaires certes, mais différents aussi. Il s'agit des
partenaires techniques d'un côté, d'autre part des partenaires
financiers. D'où il en résulte au niveau national des
difficultés de coordination et d'orientation générale des
projets éducatifs. L'évaluation des experts penchés sur le
cas du Cameroun est révélatrice à ce propos : « au
total, la coordination au sein des partenaires techniques et financiers semble
plus relever d'une déclaration d'intention que de la
réalité. L'harmonisation des interventions des partenaires au
développement en vue d'une meilleure complémentarité de
leurs actions n'est pas effective au Cameroun. On peut même dire que les
intérêts politiques divergents et les rapports de forces
déséquilibrés au sein de ces acteurs ne permettent pas
qu'on puisse véritablement parler de coordination. Les partenaires
disposant de plus de moyens financiers pour le secteur de l'éducation au
Cameroun (Banque Mondiale, France, Japon) sont les plus enclins à des
démarches solitaires ou, au mieux, à l'alignement des autres
partenaires sur leurs priorités. » (Idem : 61)
- les couacs internes propres à l'UNESCO
: Institution spécialisée DE L'ONU, l'UNESCO, en plus de
faire face à des difficultés internes et fonctionnelles, ne
permet pas une bonne lisibilité de ses programmes. En effet, la mission
de l'UNESCO qui est d'accompagner le processus d'EPT au sein des États
est d'une importance sans précédent. Il n'est pas sûr
qu'elle en dispose pour autant des moyens nécessaires et adéquats
à même de lui permettre de mener à terme cette tâche
`difficile'. A l'évidence, si la quasi-totalité des pays au sud
du Sahara saluent l'action des bureaux régionaux dans la mise en place
des cadres facilitant la coordination des ressources en faveur de l'EPT (aide
logistique et soutien financier), il semble que l'UNESCO sur le terrain
présente des signes majeurs d'essoufflements. En effet, sa place
centrale de chef de file pour la coordination des mécanismes EPT est
quelque fois contestée par nombre de pays (Cameroun, Gabon Nigeria,
Congo, Namibie) qui critiquent le manque d'implication de l'UNESCO sur le
terrain du soutien à l'EPT.
Ainsi, l'on peut s'interroger avec quelque raison sur la
capacité de l'UNESCO à peser sur les stratégies
éducatives en cours. Il s'agit là d'une problématique
structurelle qui ne semble pas avoir véritablement été
résolue par les réformes des nations unies sur le recouvrement de
la plénitude des institutions spécialisées. C'est que la
position de chef de file des bureaux hors-siège est «
officiellement » entérinée par l'ensemble des «
partenaires », surtout dans les domaines relevant de la finance. C'est le
cas du bureau de Yaoundé où « les principaux `bailleurs de
fonds» du secteur, que sont l'Agence Française de
Développement et la Banque Mondiale, estiment (à demi mot) que,
plus que les partenaires techniques, ce sont les partenaires financiers, qui
apportent effectivement les financements dont le secteur a besoin ». Un
autre constat est celui du relâchement de la stratégie
volontariste de soutien politique, logistique et technique aux dispositifs EPT
existants, les coordonnateurs et animateurs des plans EPT acceptant
difficilement leur marginalisation par l'UNESCO et les autres partenaires.
3. L'ÉDUCATION CAMEROUNAISE SOUS L'ÉTAU DU
SYSTEME POLITIQUE
Dans la perspective de Jean Leca, toute question relative aux
enjeux sociaux est potentiellement politique. Il suffit à cet effet que
les autorités publiques l'intègrent dans leur agenda. Interroger
l'éducation camerounaise, c'est aussi interroger son système
politique. Non seulement parce que l'éducation reste de façon
sibylline considérée comme la clé de développement
de toute nation, encore moins uniquement le fait de la saturation des
diplômés qui désormais fait du chemin éducationnel
une voie de moins en moins fiable vers l'emploi. Les problèmes que
connaît l'éducation camerounaise sont consubstantiellement
liés aux carences du système où la victoire de la «
relationocratie » sur la « méritocratie » constitue une
profonde entorse, non seulement sur l'extension d'une éducation de
qualité, mais aussi à la péréquation
éducation-emploi au Cameroun. (Tchenzette) Un tel tableau qui remet en
cause la question égalitaire au sud du Sahara n'épargne pas
l'environnement éducationnel où « la déception guette
l'observateur averti de la mise en oeuvre du droit à l'éducation
en Afrique centrale » (Mbeyap Kutnjem) Aussi, pense-t-on que la mise
à terme des inégalités et disparités dans
l'accès à l'éducation passe également par la
consolidation de la démocratie et du développement, laquelle ne
serait effective qu'au sein d'un État moins centralisateur ouvert
à la participation de tous. Un cas observé à
l'Extrême-Nord au Cameroun fait montre de la réalité selon
laquelle le devenir de l'éducation est lié au Politique.
Région la plus défavorisée,
l'Extrême-Nord connaît le taux de scolarisation le plus bas du
Cameroun. En 1991, il était de 44,31%, dont 71,9 en zone urbaine, et
37,46% en zone rurale, alors que la moyenne nationale était
supérieure à 76% (Abéga, op.cit :130) Officiellement, les
causes de la sous-scolarisation étaient la résistance des
parents, l'exode au Nigeria, l'utilisation des enfants comme main d'oeuvre
agricole ou pastorale, enfin les mariages et grossesses précoces pour
les filles. Pourtant, les trois années suivantes vont connaître
une croissance progressive du nombre d'école, due aux initiatives des
parents qui ont respectivement créé 36, 13 et 20 écoles
dans les Mayo Tsanaga, Sava et Danay. A cet effet, une appréciation
différente pourrait avec quelque raison, penser que ces
établissements ouverts à l'initiative des comités locaux
de développement, constituent le reflet du dynamisme insufflé
dès 1990 par les lois ouvrant la voie à l'ère du
libéralisme. Aussi, Séverin Cécile Abéga, tout en
s'interrogeant sur la survie de ces initiatives prises dans un contexte de
misère effrénée, a pu conclure que : « le
problème fut aussi politique, celui des droits de l'homme et des
libertés individuelles puisqu'on voit comment une population
habituellement indexée pour sa résistance à la
scolarisation et sa `mentalité» a pu à partir d'un
changement politique, exprimer son dynamisme dans un secteur où elle
était défavorisée » (ibidem : 132) Le fait que la
situation n'est guère changée aujourd'hui52 est la
preuve que l'école n'est pas encore perçue et vécue par la
majorité des populations comme une réalité
intégrée ou naturelle. D'une manière
générale, les manifestations et causes de la crise des
systèmes éducatifs sont à la fois internes à
l'école, en même temps qu'elles s'expliquent par son environnement
défaillant. C'est que « les choix éducatifs ont
fondamentalement une dimension politique qui conduit à des arbitrages
entre les intérêts et des finalités opposées »
(Hugon) Et si l'on peut observer qu'en dépit des efforts croissants
consacrés à la scolarisation, la formation du capital humain n'a
guère conduit à une réelle croissance économique,
c'est peut-être parce que les régimes «
néo-patrimoniaux », obstacle à l'émergence d'un
État de droit véritable, n'ont pas été
véritablement gommés en Afrique.
De l'avis de Joël Bertrand, une meilleure
compréhension de l'éducation en Afrique pourrait passer par la
considération du mode de fonctionnement des sociétés dans
lesquelles s'insèrent ces systèmes éducatifs. A cet effet,
si l'on convient avec Médard que le
néopatrimonialisme53 constitue la caractéristique
essentielle des sociétés sub-Sahariennes, l'on
52 Magloire Kede Onana dans son ouvrage paru en 2007
aux éditions l'Harmattan présente un tableau identique du
septentrion où les jeunes enfants scolarisables passent l'essentiel du
temps derrière le bétail, où les parents continuent
à résister d'envoyer leurs filles à l'école, et
où l'on est parfois obligé en échange de leur distribuer
des produits PAM (Projet Alimentaire Mondial) pour qu'ils acceptent
53 A comprendre l'effacement de la distinction entre
sphères publique et privée, et un de ses corollaires qui est
l'utilisation des positions dans l'appareil d'État comme canaux de
redistribution de la ressource nationale
comprend le rôle majeur de l'État qui s'est
institué comme l'acteur économique exclusif captant et organisant
la distribution de la richesse du pays sur le mode clientéliste au
profit de l'élite installée aux commandes.
Instrumentalisée par la reproduction élargie du système,
l'éducation l'est également du fait qu'elle sera mise au coeur de
ce qui garantirait la paix sociale, à travers la légitimation du
phénomène de différenciation entre élite
privilégié et masse de la population. Un tel
phénomène d'extensibilité continue de l'élite, qui
s'appuyait sur l'absorption constante des nouveaux diplômés peu
nombreux face aux besoins immenses des pays nouvellement indépendants,
valait dans un contexte d'expansion économique continu. Mais lorsque la
crise surgit, que la ressource se fait rare face à une implosion
démographique croissante, les perspectives se renversent ; et ce qui est
généralement considéré comme une crise de la baisse
des ressources, peut aussi se présenter comme celle du
système54. Et parce que la fonction de sélection
sociale de l'éducation subordonne celle de formation des Hommes au plein
sens du terme, « nombre de dysfonctionnement qui peuvent être
observés tiennent moins au système éducatif lui-même
qu'ils ne renvoient au social dans sa globalité. C'est-à-dire au
politique, dans son sens le plus plein » (Bertrand)
4. L'EPT : MYTHE OU RÉALITÉ ?
L'engagement pris par la communauté internationale en
faveur de la perfection de la société des savoirs est une
initiative à saluer, en ce sens qu'elle est une preuve que les acteurs
internationaux ne restent pas insensibles aux grands problèmes
contemporains. Cet engagement traduit également la volonté des
uns et des autres à mener une lutte sans merci aux fléaux dont
fait face l'humanité. Or tout au long de son histoire, cette
dernière nous a toujours démontré que rien ne peut
vraiment stopper la détermination des hommes engagés ensemble
dans la réalisation d'une oeuvre humaine. L'EPT ne restera un mythe que
si les différents acteurs s'abstiennent de revisiter leurs
systèmes de valeurs respectifs pour la réalisation du « bien
commun », s'ils n'acceptent de sacrifier des logiques individualistes sur
l'autel de l'intérêt supérieur de l'humanité. A
l'inverse, elle sera une réalité à partir du moment
où l'on parviendra à mettre la locomotive des projets sur les
rails du développement participatif.
En effet, les difficultés sus-évoquées
pourraient être transcendées dès lors que l'action de
développement est conçue comme « un processus
d'apprentissage inséré dans un ensemble
54 Et notre auteur de prendre l'exemple des familles
rurales pour qui l'éducation des enfants est un investissement social,
l'espoir d'une mobilité sociale par délégation. Or
à partir du moment où cette voie semble bouchée, il
devient difficile pour les parents essoufflés par la crise, de continuer
à y investir
de processus décisionnels effectués par les
différents sociaux engagés dans le déploiement d'un
dispositif de développement » (Tommasoli, op.cit : 214) Ici, la
mise en oeuvre au cours des programmes, des mécanismes de
rétroaction à même de rendre opérationnelle
l'expérience acquise, est indispensable.
Tout le débat lancé autour de la politique
camerounaise de coopération est relancé ici dans la mesure
où c'est au sein de son territoire qu'un certain nombre de projets
relatifs à l'EPT est sensé s'appliquer. D'où tout
l'intérêt de l'approche décisionnelle. Car la
décision ne devrait uniquement pas s'arrêter sur le choix d'une
option parmi les possibilités envisageables. Décider, c'est
inclure également la recherche permanente des informations nouvelles
capable de provoquer une correction progressive des choix adoptés sur la
base de ces informations. La difficulté avec la planification, c'est
qu'elle présuppose un décideur rationnel capable d'opérer
des choix optimum à partir des données mises à sa
disposition. Pourtant, la réalité à modifier est sans
cesse fluctuante, mouvante et complexe qu'elle récuse toute
rationalité linéaire.
Pour parvenir réellement à l'EPT, il n'est pas
nécessaire de changer le cadre existant. Il s'avère juste
essentiel d'y inclure le principe du développement participatif qui
« met particulièrement l'accent sur le caractère
procédural et flexible de la planification, sur la
nécessité de se confronter continuellement avec les acteurs
sociaux engagés, à différents titres, dans une
intervention, et sur l'opportunité de définir des dispositifs de
changements qui constituent, de façon consciente, des terrains de
dialogue et de confrontation entre les différents savoirs » (op.cit
: 223) A cet égard, il s'oppose aux schémas de planifications
rigides observés au sein des institutions en charge de la promotion de
la coopération. (Idem) L'intérêt d'une approche
participative est essentiel dans la promotion de la coopération
intellectuelle envisagée au sein de l'UNESCO en ceci qu'elle joue un
rôle analogue à celui que Blaise Pascal et Maurice Kamto assignent
à la pensée. A savoir être apte à percevoir
derrière l'illusion, ramener constamment à l'essentiel dans
l'ordre des sociétés humaines. La pensée tout comme le
développement participatif fait la grandeur de l'homme. Et si elle nous
semble indispensable pour le bon déroulement du processus d'EPT, c'est
parce qu' « il faut que soit réduite à l'irréductible
la place du hasard dans la gestion du destin des hommes » (Kamto, 1993
:114)
Pour toutes ces raisons nous pensons que le concept d'EPT
n'est pas encore appréhendé à sa juste cause. Car comme le
rappelle Jacques Maritain, « plus une idée est grande au regard de
la faiblesse et des misères de la condition humaine, plus on doit
être
prudent à la manier. (...) Et plus attentif on doit
être à ne pas demander sa réalisation immédiate
» (Ramel, 2OO2 :344)
L'ampleur des changements observés en huit
années d'action en faveur de l'EPT, ainsi que
l'imprévisibilité croissante des trajectoires du changement,
imposent une reconsidération de la notion du temps, « d'un temps
qui non seulement s'accélère, mais s'écarte des balises
à partir desquelles on l'évaluait » (Laïdi, in Smouts,
1998) Dans la perspective que nous envisageons l'opérationnalisation de
l'EPT, 2015 n'occupe plus une place primordiale et cesse d'être le point
phare focalisant l'attention des acteurs55. Ce qui est essentiel
ici, c'est de s'assurer de la mobilisation de tous les acteurs sociaux actifs
quels qu'ils soient, dans la marche concertée et intégrée
vers l'EPT. Il s'agit en d'autres termes d'avancer tout en se laissant guider
par la voix des autres, surtout les plus marginalisés. Pour être
plus clair, notre propos est d'avancer qu'il existe une « affinité
élective » entre l'approche participative et l'atteinte des
objectifs fixés au forum de Dakar.
Ainsi, reconnaître le caractère construit des
modes d'organisation et d'actions collectives, c'est reconnaître le
caractère construit des types de changement devant être
impulsés par le processus d'EPT. (Crozier, 1977 : 29) Celui-ci ne
saurait obéir à une logique d'imposition ou la traduction dans
les faits d'un « modèle a priori conçu au départ par
des sages quelconques et dont la rationalité devra être
défendue contre les résistances irrationnelles des acteurs »
(ibidem) Le changement dans la perspective de Crozier, « n'est ni le
déroulement majestueux de l'histoire dont il suffirait de
reconnaître les lois ni la conception et la mise en oeuvre d'un
modèle plus `rationnel» d'organisation sociale. Il ne peut se
comprendre que comme un processus de création collective à
travers lequel les membres d'une collectivité donnée apprennent
ensemble, c'est-à-dire inventent et fixent de nouvelles façons de
jouer le jeu social de la coopération et du conflit, bref, une nouvelle
praxis sociale, et acquièrent les capacités cognitives,
relationnelles et organisationnelles correspondantes. C'est un processus
d'apprentissage collectif permettant d'instituer de nouveaux construits
d'action collective qui créent et expriment à la fois une
nouvelle structuration du ou des champs ». (Idem : 30) Enfin, « ce
n'est pas tant la rigueur des principes, la rationalité du modèle
proposé ou la pureté des intentions qui commandent les
résultats d'une action et d'une réforme, mais l'impact de
celle-ci sur les mécanismes de jeux, les construits et les pratiques et
comportement réels qu'ils recouvrent afin d'en comprendre le rôle
et la signification dans
55 Rappelons nous que dans le cadre de Jomtien,
l'année 2000 constituait l'échéance. Or plus on s'y
rapprochait, plus les engagements pris étaient renvoyés aux
`calendes grecques'
l'ensemble social et d'en mesurer la force de
résistance et la capacité d'évolution » (Idem :
31)
Au bout du compte, l'Afrique ne pourrait traduire le mouvement
international en faveur de l'EPT au mieux de ses intérêts qu'en
« organisant ses capacités de gouvernement et de
développement avec une forte consistance temporelle ». Ce qui passe
nécessairement par la mise en oeuvre des Plans d'Actions Nationaux (PAN)
récusant « le temps des rentes et les rentes de temps, favorisant
l'émergence d'un temps propulsif et compétitif en phase avec le
temps mondial et sortant de l'historicité autoritaire » (Owona
Nguini) Le temps inerte et coagulé qui semble construire son lit au sein
des mécanismes d'EPT, devrait céder la place au temps
motorisé et autonomiser à même d'insuffler une nouvelle
dynamique, non seulement aux engagements pris à Dakar, mais aussi
à l'ensemble des programmes de développement
opérationnalisés quotidiennement au sein des États
membres. Dans le chapitre suivant, nous allons explorer quelques uns de ces
programmes financés au sein du territoire camerounais.
|
|